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Elisabeth Fleury:
Le camp de Mérignac. Le zèle de Maurice Papon. L'arrivée à Drancy. Le départ vers Auschwitz. Le "train de la mort". Le "camp de la mort". La "marche de la mort".
Propos recueillis par Elisabeth Fleury
in l'Humanité (18 mars 1998) © L'Humanité 1998
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Le camp de Mérignac

C'était un petit camp, entouré d'une haute palissade, de fils barbelés et de miradors. Presque rien à manger. Aucune hygiène. Pas d'infirmerie. Un camp de passage. Je n'y ai jamais vu d'Allemands. Uniquement des Français. Un soir, profitant d'une alerte aérienne, Maurice et Marcel ont essayé de s'évader. Marcel a réussi. Mais Maurice a été repris et enfermé dans la baraque aux otages. Les policiers nous ont battus pour avoir des renseignements sur Marcel. Un jour, comme je leur disais que j'étais trop jeune pour être enfermé, l'un d'eux a dit: 'De toute façon, tous les juifs seront déportés.'

Le zèle de Maurice Papon

'Maurice Papon a aussitôt envoyé à la Gestapo un avis de recherche du 'Juif Zyguel Marcel'. Pendant ce temps, au camp, nous étions séparés les uns des autres. Quand j'ai revu mon frère Maurice, c'était le jour du départ pour Drancy. J'ai demandé à être avec lui. Les gardiens nous ont menottés l'un à l'autre pendant tout le voyage. Dans mon compartiment, l'inspecteur en civil a dit : 'Si vous avez des cartes d'alimentation, vous pouvez me les donner. Vous n'en aurez plus besoin.'

L"arrivée à Drancy

'Notre père est arrivé, catastrophé. C'était épouvantable de nous retrouver ici... Le camp était immense, une vraie fourmilière. Ça circulait dans tous les sens. Les gens arrivaient, repartaient. Une agitation incroyable. Au bout de cinq jours, on a été envoyés vers Pithiviers. Là, on dormait sur de la paille. On a rapidement été couverts de puces.'

Le départ vers Auschwitz

'A la sortie de Pithiviers, les flics français fouillaient les bagages et ramassaient tout ce qui les intéressait. A la gare, on a été remis aux Allemands. Ils avaient des listes sur lesquelles ils pointaient nos noms avant de nous faire monter dans les wagons à bestiaux. Très brutalement. Mon père, mon frère et moi, nous avons été mis ensemble. Pas ma soeur. Je l'avais aperçue, de loin, à la sortie du camp. Je ne l'ai plus jamais revue.'

Le "train de la mort"

'On était une centaine. Il fallait se relayer près de deux petites fenêtres fermées avec des barbelés. Rien à manger. Un fût en métal, pour faire ses besoins, qu'on devait vider par la fenêtre. Il en tombait autant dedans que dehors... A deux ou trois reprises, les Allemands ont ouvert les portes des wagons et autorisé deux ou trois personnes à aller chercher de l'eau à l'unique robinet de la gare. Pour mille personnes... Et tout le monde n'avait pas un récipient.'

Le "camp de la mort"

'Dans une petite gare, Eichtal, les Allemands ont ordonné aux hommes valides de descendre, environ 150. Le train est reparti, avec les femmes, les vieillards et les enfants. De ce moment-là, je n'ai plus connu de l'allemand que des cris et des insultes. Ponctués par des coups. Trois ans de 'Zwangsarbeitslager' (camp de travaux forcés nazi, NDLR), avec la faim, le froid, le vent glacial... je ne sais pas comment, à mon âge, j'ai pu survivre. Mon frère et moi étions chargés, le soir, d'enterrer les camarades morts dans la journée. J'ai pris leurs cadavres nus dans mes bras. Lors de l'appel, certains ne pouvaient plus se lever. Ils savaient qu'ils allaient mourir. Ils s'accrochaient à nos pyjamas. Un jour, mon père souffrant a été envoyé dans un soi-disant 'camp sanitaire'. Par dignité, on a fait semblant d'y croire. On s'est dit 'Au revoir, à bientôt'. Mais on savait...

La "marche de la mort"

'Début 1945, les Allemands ont décidé d'évacuer le camp où nous nous trouvions: Auschwitz III. On entendait les bombardements tout proches. Ils ont distribué une boule de pain et un peu de margarine à chacun. Rien de plus pendant douze jours de marche. On n'avait pas le droit de s'écarter du rang, ni de s'arrêter, même pour faire ses besoins. Le moindre traînard était immédiatement exécuté. Chaque jour, quatre-vingts camarades mouraient. Un jour, quelqu'un m'a prévenu que mon frère ne pouvait plus se relever. Il n'en pouvait plus. Il m'a dit: 'Laisse-moi, sinon nous mourrons tous les deux.' Finalement, je ne sais comment j'ai réussi à le persuader: il s'est levé comme un automate. Et nous sommes arrivés à Buchenwald. La résistance y était bien organisée. En avril, quand les Américains sont arrivés, le camp venait d'être libéré par les armes. Nous n'avons pas tué les nazis: nous les avons remis vivants aux Alliés.'

Propos recueillis par ELISABETH FLEURY

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