© Michel Fingerhut 1995-8 ^  

 

Samuel Radzynski:
La résistance dans les camps d'Auschwitz
in Après Auschwitz n° 268 (octobre 1998) © Amicale des déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie 1998
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Nous remercions l'Amicale des déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.

Je m'en tiendrai à certains aspects de la résistance au camp de Monowitz (Auschwitz 111) où je suis resté des premiers jours de janvier 1944 au 18 janvier 1945.

Je n'ai été à Birkenau que durant 48 heures environ après mon arrivée le 26 juin 1943, d'où je suis parti à Jawischowitz, où j'ai été affecté à la mine. Les principaux faits concernant la résistance dans ce camps sont relatés dans « Jawischowitz, annexe d'Auschwitz ».

J'ai été transféré de Jawischowitz à Monowitz grâce à la résistance qui était implantée à la Schreibstube (secrétariat général).

Fort heureusement pour moi, en raison de mon état physique, un autre camarade, Victor Malik, arrivé le 15 août 1942, après son internement au camp du Vernet (France), m'accompagnait. Nous étions mutés à Monowitz comme spécialistes électro-mécaniciens!

Nous aurions dû transiter par Auschwitz, où nous avions le contact avec le groupe de résistance. Mais nous sommes arrivés directement à Monowitz. En quarantaine!

Premier écueil, grain de sable qui aurait pu nous être fatal.

Puis-je rappeler que le principe premier dans un mouvement de résistance était de s'informer, afin d'alimenter la réflexion pour pouvoir informer et agir.

A Monowitz, comme à Jawischowitz, la résistance était à l'affût de tous mouvements: arrivées ou départs.

C'est ainsi qu'un inconnu de nous deux cherchant à s'informer sur et par les nouveaux venus (nous étions une dizaine) demande à Victor d'où il venait: « De France » lui répond-il. «  Où étais-tu en France »? « Au camp du Vernet ».

C'était le sésame ouvre-toi.

« Es-tu seul? » « Non, je suis avec un jeune Français », « Son nom? » «  Georges » (mon prénom clandestin lors de mon arrestation).

Trois jours plus tard, j'étais alors en état de me déplacer, nous nous rendons dans un bloc après l'appel et nous rencontrons le premier inconnu et un second. Ils me posent deux questions:

« Tu es bien Georges le Rouquin?  » (c'était ma couleur de cheveux) et ensuite: « Tu avais un frère qui se prénommait Pierre?  » (c'était le prénom clandestin de mon jeune frère Maurice, abattu le 10 mars 1943 lors d'une action de son groupe de résistance à Paris).

Le 27 mars 1943, j'étais arrêté par la Brigade spéciale avec d'autres camarades de mon groupe dans la première affaire dite des jeunes de la M.O.I.

Nos deux inconnus étaient Alfred Besserman et Idel Korman. Ils avaient été arrêtés dans la deuxième affaire M.O.I. de Paris en juillet 1943. La troisième affaire M.O.I. de Paris en novembre 1943 est plus connue par l'inoubliable « Affiche rouge ».

Le contact était rétabli. Nous revenions à l'espérance, nous avions rétabli le chaînon manquant.

Jusqu'en juin 1944, j'ai été affecté au Kabel Komando (des câbles), puis dans un autre, d'électro-mécaniciens, et enfin dans un de soudeurs.

C'est dans ce dernier que j'ai pris contact avec un jeune Français de Lyon qui travaillait sur le chantier comme requis du S.T.O.

Etablir le contact, bien sûr nous parlions la même langue, nous étions du même âge. Mais lui était en civil et moi en rayé. A force de prudence et de ruse, je lui parle et lui fais une demande: « Peux-tu me procurer un crayon? » Etonné il me répond: « Oui, mais c'est bien la première fois qu'un rayé me demande autre chose que de la nourriture ». La glace était rompue, le lendemain il m'apporte un crayon et est d'accord pour prendre un courrier pour la France.

Le surlendemain, je suis victime d'un accident sur le chantier de la Buna, encore un fil rompu.

Je suis hospitalisé et mes activités prennent un nouveau cours. Je me rétablis et les camarades de la Résistance parviennent à me faire affecter à l'hôpital du camp, qui est devenu un des points où elle est le mieux ancrée.

La quasi totalité des médecins sous l'autorité du Pr. Robert Waité (ancien Président du Comité international d'Auschwitz) nous est favorable.

Le secrétaire Léo Stasiak, polonais juif arrêté en Pologne en septembre 1939, déporté à Buchenwald, est arrivé en août 42, ainsi que Ludwig Hess, gardien de nuit, allemand juif arrêté en 1935 et d'abord interné à Orianenbourg et Dachau, tous deux témoins au procès d'I.G. Farben en 1947 à Nuremberg.

D'autres noms me reviennent peut-être parce que j'ai eu plus de rapport avec eux qu'avec d'autres, ce sont:

Le Dr Cuenca, ORL venant de Grèce et qui m'hébergeait dans son bloc où la paillasse de mon châlit était pleine de linge organisé! (volé) dans le local de la désinfection jouxtant les baraques de l'hôpital.

Noha Trajster, polonais juif et Karel Minc, tchèque juif travaillant à la cuisine du KB (Krankenbau: hôpital), Eric Markowitch, allemand juif, infirmier... Seuls Léo Stasiak et Noha Trajster sont encore vivants.

Et ceux, innombrables, enfouis dans ma mémoire, combien sont-ils?

En juin 1944, cela faisait un an de survie, c'était chose peu courante.

Mon travail au KB me donnait toute latitude pour circuler dans le camp de jour comme de nuit, car je portais le brassard marqué H.K.B. Cette situation me permettait d'assurer la liaison entre les camarades de tous les blocs. En outre, mon travail officiel consistait à recueillir dans les baraques les rations alimentaires des déportés rentrant au KB au retour des commandos.

Je redistribuais les rations des morts ou de ceux qui mourraient avant que celles-ci aient pu leur être remises, parmi ceux connus de nous et aussi à des inconnus lorsque nous avions réussi à récupérer assez de nourriture. Mais la source principale venait de la cuisine du camp dont le Kapo était un communiste allemand Zep, interné depuis 1933.

Deux amis venant de Jawischowitz y travaillaient aussi, l'un Héliénitch, que j'avais connu dans ce camps, était un ancien volontaire des Brigades Internationales d'Espagne, l'autre, toujours vivant était arrivé blessé, un doigt arraché dans la mine, Maurice Livartowsky.

Outre l'aide matérielle toujours insuffisante, la diffusion de l'information revêtait une importance particulière car elle pouvait être une source d'espoir. Pour l'essentiel cette information était verbale.

Pourtant à deux reprises nous avons utilisé l'écrit, la première fois le 6 juin 1944 lors du débarquement en Normandie, la seconde fois après l'annonce de la libération de Paris le 25 août 1944.

Nous avons rédigé à l'aide de papier carbone, pour ces deux événements, une feuille manuscrite à une dizaine d'exemplaires en français, allemand et polonais.

C'est Ludwig Hess (gardien de nuit) et Léo Stasiak qui assuraient la veille à l'extérieur. La transcription a été assurée par Alfred Besserman pour le texte polonais et par moi pour la version française et allemande.

Le rêve de chaque déporté c'était la liberté. Dès août 1942, l'organisation de la Résistance eut pour but de créer les conditions de l'évasion et pour ce faire, de tenter une liaison avec l'extérieur.

Cette liaison a pu se réaliser grâce à un camarade polonais: Alfred Panic. Celui-ci était arrivé au camp en janvier 1943. Il était mineur, originaire de la région et avait travaillé à Bielchowice. Son cousin W. Kostka habitait Borowa Wiecz. Les deux Alfred Besserman et Panic furent affectés à un flack commando situé à plusieurs kilomètres à l'extérieur du camp, la garde était assurée par un réserviste âgé de la Wehrmacht. Nos deux camarades parvinrent à le circonvenir, mais il réclamait d'être dédommagé. Nous n'avions pas de valeurs. C'est grâce aux femmes du camp d'Auschwitz que nous avons pu nous en procurer.

En juillet 1944, une ambulance avec une dizaine de femmes déportées et malheureusement atteintes de démence venaient pour subir un traitement par électrochoc (non mortels) qu'un médecin SS voulait faire pour sa thèse. Les Résistants avaient neutralisé cet appareil.

Deux infirmières déportées les accompagnaient, elles sont encore vivantes, ce sont Rose Besserman, l'épouse d'Alfred, et Siporka Gontrik dont le mari Valdemar était également à Monowitz.

Ce sont elles qui transportaient le « trésor de guerre (des bijoux) » et j'étais chargé de le réceptionner pour le remettre à un autre camarade à l'extérieur du K.B.

Ce sont, narrés en quelques lignes, deux années d'effort, de ruse, de patience, de ténacité, de chance pour créer une liaison avec l'extérieur.

Les événements se sont précipités, et le 18 janvier 1945 c'était l'évacuation.

Nous n'avons pu durant le début de la marche de la mort organiser une évasion collective. Il nous fallait donc tenter l'évasion par petits groupes. Jusqu'à l'embarquement à Gleiwitz après 45 kilomètres de marche forcée et meurtrière, seuls huit camarades en quatre

groupes de deux ont réussi à rejoindre la cache prévue chez W. Kostka, dont le nom figure dans la liste des Justes. Libres, nous étions libres.

Huit survivants dont: un Allemand, Léo Hauser, décédé ; deux Français, Alfred Besserman, décédé, Samuel Radzynski ; cinq Polonais, Musceslaw Manelli, décédé, Alfred Panic, décédé, Roman, disparu, Leo Stasiak, Noha Trajster.

Sur la tombe d'Alfred Panic figure cette seule inscription:

ALFRED PANIC
19-10-1906 - 23-09-1986
KL. AUSCHWITZ

Je ne tiens à glorifier personne ni à embellir aucune situation, mais je crois pouvoir dire que la plupart des résistants dans les camps l'étaient déjà avant d'être arrêtés.

Si le fait d'être résistant est un engagement personnel, seul j'aurais succombé, broyé par la machine infernale et inhumaine du nazisme exterminateur.

Samuel Radzynski
matricule 126170

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