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Sylvie Braibant:
Une biographie de Primo Levi: Primo Levi, ou la tragédie d'un optimiste
in Le Monde diplomatique (juin 1997) © Le Monde diplomatique 1997
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Nous remercions Le Monde diplomatique de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.
Primo Levi, ou la tragédie d'un optimiste, Jean-Claude Lattès, Paris, 1996, 696 pages, 175 F.
Si c'est un homme, Julliard, Paris, 1987, et Robert Laffont, Paris, 1996.
La Trêve, Grasset, Paris, 1963 et 1988 ; Le Système périodique, Albin Michel, Paris, 1988, et LGF Biblio, Paris, 1995 ; Les Naufragés et les Rescapés, Gallimard, Paris, 1989.

Les raisons qui acculèrent Primo Levi à se jeter dans une cage d'escalier le 11 avril 1987 resteront à jamais incertaines. L'écrivain italien ne laissa aucun indice permettant d'éclairer son geste, d'autant plus inexplicable qu'il avait plusieurs fois condamné le suicide, même dans les moments d'ultime douleur. Nombre de commentateurs s'empressèrent d'établir un lien avec son séjour à Auschwitz, comme ils l'avaient fait avant pour d'autres rescapés, dont le philosophe autrichien Jean Amery, codétenu de Primo Levi. Lui-même n'avait-il pas écrit que « le suicide admet une nébuleuse d'explications » ?

Cet acte tragique marquait une fin, mais il relançait avec une intensité nouvelle les questions que, depuis quarante ans, l'écrivain posait avec obstination.

Comment vivre après Auschwitz ? Comment écrire et penser après les génocides des juifs et des Tsiganes ? La poésie a-t-elle encore un sens au coeur de la nuit concentrationnaire nazie ? Autant d'interrogations qui ne cessèrent de hanter Primo Levi, comme elles tourmentèrent Hannah Arendt ou Theodor Adorno.

Primo Levi s'était « condamné à parler d'Auschwitz, à être le gardien de sa mémoire », analysa le critique italien Cesare Cases. Toute son oeuvre s'organise autour de cette expérience ultime. Sa force réside dans une écriture dépouillée de toute scorie, de tout pathos, condensé de son approche de chimiste (métier qu'il ne cessa d'exercer) et de ses souvenirs des camps.

Myriam Anissimov a compris que, pour raconter cette vie1, il lui fallait épouser cette concision, cette clarté, ce tâtonnement scientifique qui avance par hypothèses et n'affirme qu'avec des preuves.

Primo Levi convint lui-même que « sans » Auschwitz - mais tout est contenu dans ce « sans » -, son existence n'offrait rien que de très banal : le déroulé logique d'un fils de bonne famille, dans un Piémont tout tolérant aux juifs, promis à un avenir serein entre famille et travail, s'échappant parfois pour des courses en montagne. L'avènement du fascisme, un engagement tardif dans la Résistance (le groupe Justice et Liberté), l'arrestation puis la déportation firent voler en éclats toutes ses certitudes.

Le parcours de Primo Levi ensuite, témoin et écrivain, fut semé d'embûches, d'errances et de souffrances. Il lui fallut presque vingt ans pour sortir de la confidentialité sa chronique d'Auschwitz, Si c'est un homme2, pourtant jetée en un souffle sur le papier dès son retour. Désormais diffusé à travers tous les continents, le manuscrit fut alors repoussé par des éditeurs italiens, cependant issus de la Résistance. Le monde n'était pas prêt.

Malgré d'autres oeuvres majeures - La Trêve, Le Système périodique ou Les Naufragés et les Rescapés3 -, Primo Levi ne fut jamais reconnu comme écrivain à part entière de son vivant. Il restait un témoin avant tout. Son talent littéraire ne fut consacré qu'après sa mort.

Honnête homme, il vécut douloureusement les attaques venues de gauche lui reprochant un engagement social trop mou, et celles issues de la communauté juive n'acceptant pas ses prises de position (timides) dans le conflit israélo-arabe.

Enfermé dans toutes ces contradictions, sans compter celles de la famille, la retraite lui fut difficile, d'autant qu'au début des années 80 l'avènement des thèses négationnistes furent comme un cinglant soufflet à l'objectif de toute une vie : lutter contre l'oubli.

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