© Michel Fingerhut 1995-8 ^  

 

Pierre Bridonneau:
Oui, il faut parler des négationnistes (Introduction)
2-204-05600-6 © Éditions du Cerf 1997
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Nous remercions Pierre Bridonneau et les Éditions du Cerf de nous avoir autorisés à reproduire ces textes.
Les Temps modernes, n° 407, juin 1980. Cassettes. Le Quotidien de Paris, 29 mai 1986. Le Monde, 21 juin 1986. Libération, 16 juin 1986. Cassettes.

Introduction

« Le 15 juin 1985 s'est tenue à l'université de Nantes la soutenance d'une thèse de doctorat d'université intitulée: "Les 'confessions' de Kurt Gerstein. Étude comparative des différentes versions. Édition critique". Le jury de thèse était constitué des professeurs Rivière (Nantes), Allard (Lyon-III) et Zind (Lyon-Il). À la suite de cette soutenance, Henri Roques a obtenu le titre de docteur, avec la mention très bien. »

Ainsi débutait un pamphlet de Pierre Guillaume, directeur de La Vieille Taupe, éditeur de l'école révisionniste. Daté du 30 juin 1986, il précédait de peu l'annulation de cette même thèse de Henri Roques, prononcée le 2 juillet par Alain Devaquet, ministre délégué chargé de la Recherche et de l'Enseignement.

Ce pamphlet figurait dans un choix de matériel de propagande -- livres, brochures ou articles -- qu'un certain nombre d'universitaires nantais reçurent par la poste à cette époque. L'expéditeur était anonyme, mais les textes parlaient d'eux-mêmes! la contre-offensive révisionniste était lancée.

Le pamphlet de Pierre Guillaume s'attachait essentiellement à la thèse de Henri Roques. Dans un style caractérisé par l'enflure et la redondance, il dénonçait le scandale que cette thèse avait déclenché: « cabale, charivari médiatique, formidable mobilisation médiatique, tous les ingrédients du procès de sorcières, connivence avec l'infâme, tiédeur dans la dénonciation du malin... ».

L'injure fleurissait: « L'extrême connerie néo-académique, les quatre-vingts universitaires parfaitement incompétents et mal informés qui ont commis la forfaiture intellectuelle... » et, plus loin: « Les soixante et onze connards qui déshonorent la carrière académique. » Pierre Guillaume reprochait aux universitaires nantais d'avoir dénoncé une thèse « qu'ils n'avaient pas lue », en faisant confiance aux instigateurs de la pétition « qui, eux-mêmes, avaient tout au plus feuilleté la thèse en question ».

Pierre Guillaume poursuivait: « La thèse de Henri Roques n'était pas destinée au grand public et ne visait pas une large diffusion. » À cela, Philippe Bernard répondait: « La soutenance de cette thèse n'était que le premier volet de l'opération publicitaire organisée par les révisionnistes désireux de relancer le débat sur les chambres à gaz. Dans des livres, des tracts, ils n'ont pas tardé à se gausser de la première reconnaissance de leurs idées par une université française. Dès lors, le secret ne pouvait tenir bien longtemps [l]. » Dans une circulaire de La Vieille Taupe de janvier 1986, Pierre Guillaume signalait la soutenance de la thèse de Henri Roques en donnant un intitulé erroné: « Les confessions du SS Kurt Gerstein ».

Or Henri Roques s'était bien gardé de faire figurer le label SS dans le titre, ce qui aurait pu signaler prématurément l'entreprise. L’édition critique des « confessions » d'un certain Kurt Gerstein, dans le département de lettres modernes, avait peu de chances d'attirer l'attention de la présidence de l'université.

La circulaire continuait ainsi: « Cette thèse, qui ruine le crédit jusqu'ici accordé à ce "témoignage" à l'origine du mythe des chambres à gaz, a obtenu la mention très bien. » Le mot « témoignage » était entre guillemets.

« Un bon révisionniste, écrivait Nadine Fresco, se doit de savoir manier habilement ces petits crochets, souvent fort utiles16. » Ici, la fonction métalinguistique des guillemets met en doute la qualité de ce témoignage qui, d'après Pierre Guillaume, serait à l'origine du mythe des chambres à gaz.

Sur le plan commercial, la circulaire de La Vieille Taupe proposait: « La thèse de Henri Roques (2 volumes reliés, 373 pages) est disponible chez l'auteur qui la reproduit sur demande à prix coûtant.

Elle peut être commandée à La Vieille Taupe (300 F franco de port, délai: 1 mois environ. L'exposé introductif de cette soutenance enregistré sur cassette est disponible à La Vieille Taupe (50 F franco de port). » Par parenthèse, le coût de la reproduction de la thèse était de l'ordre de quatre-vingts francs.

À notre connaissance, c'était la première fois qu'une thèse d'université faisait l'objet d'une telle publicité, avec vente d'une cassette à l'appui. Mais Pierre Guillaume affirmait qu'elle ne visait pas une large diffusion.

« Ce n'est pas une thèse d'histoire, mais une thèse de lettres », prétendait l'éditeur de La Vieille Taupe.

Lui faisant écho, le professeur Allard, président du jury, dans une déclaration communiquée à la presse le 17 juin, déclarait: « La thèse de Henri Roques n'est pas une thèse d'histoire, mais de critique de textes. »

Il est alors instructif d'écouter une des cassettes de la soutenance. Le professeur Rivière, rapporteur, s'exprime ainsi: « Comme vous le savez, j'ai pris le train en marche, après un certain nombre de péripéties puisque je n'étais pas le directeur de recherches initial de ce travail, direction d'ailleurs un peu difficile dans la mesure où je ne suis pas historien et, je pense très peu germaniste, pour ainsi dire pas, alors je ne peux juste juger que sur la méthode d'édition des textes et sur la manière dont vous les avez présentés, ce qui fait que je serai donc assez bref17. »

Quant au professeur Allard: « Bien que je ne sois pas un historien et que je ne sois même pas, en qualité de germaniste, un spécialiste de l'Allemagne du XXe siècle [...]. » (Ibid.) Et, un peu plus loin: « N'étant personnellement ni spécialiste d'histoire contemporaine ni même de littérature allemande du XXe siècle [...] et pour le médiéviste que je suis [...]. » (Ibid.)

Ce jury comprenait donc deux médiévistes -- on nage en plein Moyen Âge au XXe siècle! -- qui, sauf à croire qu'ils font assaut de modestie, sont, selon leurs propres déclarations, peu compétents en la matière. Alors que diable allaient-ils faire dans cette galère révisionniste?

Maintenant, pourquoi le professeur Rivière, d'emblée, croit-il bon de proclamer: « Je ne suis pas historien » et pourquoi le professeur Allard lui emboîte-t-il le pas: « Bien que je ne sois pas un historien », s'il n'était pas question d'histoire?

Là où l'affaire se complique encore, c'est que le rapport du recteur Dischamps, menant une enquête administrative à la demande de M. le ministre Alain Devaquet, précise que M. Jacques Vilaine, administrateur provisoire de l'université de Nantes, avait approuvé la composition du jury proposé par le professeur Rivière, soit deux professeurs de Lyon, le professeur Allard, spécialiste de langue et littérature germaniques à l'université Lyon-III, le professeur associé Zind, spécialiste de l'éducation à l'université Lyon-II, un assistant non docteur de l'université de Nantes, M. Thierry Buron, à titre consultatif, et le professeur Rivière comme rapporteur. C'était donc un jury de quatre membres qui avait été constitué pour la soutenance de la thèse de Henri Roques, et non de trois comme le prétendent Pierre Guillaume dans son pamphlet, et le professeur Allard dans sa déclaration à la presse. Pourquoi ces affirmations mensongères? Parce que seuls trois professeurs ont fait acte de présence à la soutenance et que le procès-verbal de soutenance comporte quatre signatures. Monsieur Thierry Buron, absent, a déclaré sur l'honneur que ce n'était pas sa propre signature qui figurait au bas de ce procès-verbal.

Pierre Guillaume a eu beau écrire: « on peut faire confiance aux Torquemadas de l'administration pour trouver à tout prix un vice quelconque pour annuler le doctorat de Henri Roques », la soutenance était viciée à la base et la manipulation n'était pas du côté du ministère.

Mais, après tout, qu'est-ce que Thierry Buron, historien, aurait bien eu à faire à cette soutenance d'une thèse de lettres puisque deux médiévistes se trouvaient là pour débattre de ces textes du XXe siècle et qu'une bonne partie de la soutenance se passe à discuter de la traduction de textes allemands avec un rapporteur qui s'avoue lui-même très peu germaniste!

En face de cette curieuse thèse, les enseignants du département de littérature comparée de la faculté de lettres de Nantes ont précisé, le 11 juin 1986, par voie de presse: « Par son objet, ses matériaux et sa méthode, cette thèse relève très clairement non de la littérature comparée (pas plus d'ailleurs que de la littérature française) mais de l'histoire contemporaine et, très précisément, de l'étude des entreprises d'extermination menées par le IIIe Reich. »

Henri Roques s'était d'abord inscrit à l'université Paris-IV et avait travaillé sous la direction du professeur Rougeot. Le désistement de ce dernier, le 6 mars 1985, obligeait notre candidat à trouver rapidement une solution de rechange. En effet, un nouveau système de doctorats allait être mis en place après la fin de l'année universitaire 1984-1985 et, sous ce nouveau régime, Roques n'aurait pas eu les titres nécessaires pour soutenir sa thèse. Le 10 mars, le professeur Rivière accepte de remplacer le professeur Rougeot. Le dossier arrive à la présidence de l'université de Nantes le 21 mars. Le rapport Dischamps précise:

Compte tenu des délais matériels nécessaires à la poursuite de cette préparation de thèse, à la rédaction, à la frappe, au tirage et à la distribution de la thèse aux membres du jury, ainsi qu'aux délais de constitution et de réunion dudit jury, monsieur Roques n'a pas pu réellement travailler sous la direction de monsieur Rivière. Inscrit le 17 avril 1985 à l'Université de Nantes, la composition du jury de la thèse de monsieur Roques, a été proposée le 26 avril au président Vilaine par monsieur Rivière, soit neuf jours plus tard seulement. Il est donc évident que le transfert du dossier de monsieur Roques à l'Université de Nantes n'a pas pu correspondre à une quelconque recherche effective dans cette université sous la direction de monsieur Rivière. Monsieur Rivière l'a d'ailleurs explicitement reconnu en ces termes: « Monsieur Roques a très peu travaillé sous ma direction. Sa thèse était pratiquement achevée. Il avait déjà déposé en Sorbonne les exemplaires de soutenance. Je lui ai seulement demandé d'enlever ou de modifier un certain nombre de passages qui me semblaient dépasser les limites de cette thèse. Il tirait certaines conclusions qui allaient beaucoup trop loin, visant à nier l'existence des chambres à gaz, ce que l'on ne pouvait pas conclure du seul rapport Gerstein. Le problème de leur existence demeure entier. »

 

On peut avoir un doute sur la sincérité du professeur Rivière dans la fin de cette déclaration si on la compare aux propos qu'il tient durant la soutenance.

À côté du professeur Rivière « qui a pris le train en marche », le professeur Allard déclare, dans la seconde cassette de soutenance: « J'étais un profane quand j'ai analysé le cas Gerstein pour venir ici. » Bref, cette thèse a été soutenue à la va-vite dans le département de lettres modernes, bien qu'elle relevât de l'histoire, devant un jury incomplet. Le rapporteur n'en avait pratiquement pas assuré la direction et le président ignorait même, peu auparavant, qui était l'auteur de ces « confessions ». Tous deux étaient des spécialistes du Moyen Âge.

À écouter les cassettes de soutenance, on se convainc très vite que le jury ne pose pas les questions essentielles à Henri Roques qui, d'emblée, déclare: « Mon premier but, il est très simple: servir la vérité. »

Cette déclaration ne pèse pas lourd devant les révélations sur ses activités néo-nazies. Longtemps correspondant à Paris d'une revue émanant du Nouvel Ordre européen, mouvement néo-nazi dont le siège est à Lausanne18. Henri Roques a occupé, de 1955 à 1958, sous le pseudonyme de Henri Jalin, les fonctions de secrétaire général de la Phalange française, groupuscule d'extrême droite dissous au lendemain des événements du 13 mai 195819. Sur une photocopie du journal

Fidélité, organe de combat de la Phalange française, comprenant un article de H. Jalin, alias Henri Roques, on peut lire: « Nous sommes antisémites20. »

En face de lui, un jury complaisant composé d'un rapporteur cité dans le livre de J.-M. Théolleyre, Les Néo-nazis, comme collaborateur de la revue Europe-Action, d'un président intervenant aux journées d'études du GRECE et d'un autonomiste alsacien, qui couvrent Henri Roques de fleurs: « On ne peut que vous féliciter de contribuer à rétablir par votre travail une vérité fondée sur la critique positive. » (Rivière.) « J'en suis resté médusé par la pertinence, la force, la logique, la dynamique persuasive de votre argumentation. » (Zind.) « Votre thèse est bonne, elle est même excellente21. » (Allard.)

Elle a quand même été annulée.

Je faisais partie de ces quatre-vingts universitaires « parfaitement incompétents représentant l'extrême connerie néo-académique », selon les termes de Pierre Guillaume, mais, quoi qu'il en dise, parfaitement informés. Nous avons étudié cette thèse, des mois durant, et les principaux ouvrages de la bibliographie fournie. Nous avons écouté les cassettes de soutenance jusqu'à l’écoeurement. Contrairement au président Allard qui déclare: « Il y a des réflexions que je me suis faites assez spontanément [...] » (ibid.), nous avons préféré creuser un peu plus sans succomber aux évidences.

Commençons par donner quelques renseignements sur l'école révisionniste.

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