© Michel Fingerhut 1995-8 ^  

 

Pierre Bridonneau:
Oui, il faut parler des négationnistes (L'école révisionniste)
2-204-05600-6 © Éditions du Cerf 1997
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Nous remercions Pierre Bridonneau et les Éditions du Cerf de nous avoir autorisés à reproduire ces textes.
Thèse de Roques (voir notre introduction, p. 19), p. 251. Les Temps modernes, n° 407, juin 1980. Le Mensonge d'Ulysse, Paul Rassinier, 6e éd., La Vieille Taupe, 1979, p. 26. Éd. Ramsay, 1979, p. 76. Le Mensonge d'Ulysse, p. 30. Ces " Observations complémentaires " constituent un fascicule de 25 pages dactylographiées, comprenant en tête la date du 12 janvier 1983 (à droite) et professeur R. Faurisson (à gauche). Je les ai reçues dans le cadre d'un envoi anonyme à plusieurs universitaires nantais, dans la semaine du 23 au 30 juin 1986. Le Mensonge d'Ulysse, p. 27. Thèse, note p. 4. Le Monde, 29 décembre 1978. L'Odeur et la Peur, Éd. du Cerf, 1984. Dans son article " Keine Vergasung in Dachau " (Pas de gazage à Dachau), Die Zeit, n° 34, 19 août 1960. Le Monde, 16 janvier 1979. Le Mythe d'Auschwitz, La Vieille Taupe, 1986, chap. Il, n. 10.

L'école révisionniste

« Paul Rassinier, l'initiateur auquel se réfère chaque historien de l'école révisionniste22 [...] », écrit Henri Roques.

Et sa soutenance débute ainsi: « Ma découverte du récit de Gerstein remonte à près d'un quart de siècle.

J'étais à cette époque, et depuis quelques années, un lecteur de Paul Rassinier. » (Cassettes.) Voilà nommé « le plus célèbre des auteurs révisionnistes », selon Robert Faurisson, « l'auteur du Mensonge d'Ulysse, livre admirable qui contient tout », selon Pierre Guillaume qui l'éditera. « Honnêteté intellectuelle sans haine, passionné de vérité, esprit chevaleresque [...]. » (Cassettes.) Les compliments se succèdent dans la bouche de Henri Roques, en alternance avec les titres des ouvrages de Rassinier.

Instituteur, professeur d'histoire et de géographie dans un CEG, il adhère au parti communiste à seize ans, en est exclu dix ans plus tard, participe à différentes tentatives d'unification du mouvement révolutionnaire (Révolution prolétarienne, Cercles communistes démocratiques), adhère au parti socialiste (tendance Marceau Pivert, puis Paul Faure). Co-fondateur du mouvement de résistance Libération-Nord, il est arrêté en octobre 1943 et déporté à Buchenwald puis à Dora. À son retour, il est élu député socialiste à la deuxième constituante, mais il est battu le 10 novembre 1946, le parti communiste lui ayant retiré ses suffrages. Il meurt le 28 juillet 1967.

Paul Rassinier occupant la première place de l'école révisionniste française et étant cité quatorze fois dans les cinq premières minutes de l'exorde de Henri Roques, il est nécessaire de le présenter un peu plus en détail.

« Connaître Rassinier est indispensable si l'on veut bien comprendre le fonctionnement et les différents courants de la pensée révisionniste. Pas un auteur, parmi eux, qui ne s'en réclame et ne lui reconnaisse la paternité de cette pensée », écrit Nadine Fresco23.

J'ai lu Le Mensonge d'Ulysse avec intérêt et une certaine mélancolie. En effet, Paul Rassinier avait le matricule 44364 à Buchenwald et moi, le matricule 44757. Nous avons dû faire partie du même convoi de Royallieu à Buchenwald et j'aurais probablement abouti à Dora en sa compagnie si une pneumonie double ne m'avait obligé à prolonger mon séjour à Buchenwald. Ce ne fut qu'un mois plus tard que je fis partie d'un transport pour Harzungen, un commando extérieur de Dora.

J'ai retrouvé chez Rassinier bon nombre d'observations que j'avais faites dans les camps.

Ainsi, il écrit: « En allant à la corvée de pierres, j'ai lu un jour "Jedem das Seine" et les rudiments d'allemand que je possède m'ont fait traduire: à chacun sa destinée. Tous les Français sont persuadés que c'est la traduction de la célèbre apostrophe que Dante place sur la porte des Enfers: Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir. »

Et, un peu plus loin: « Jirczah [un avocat tchèque dont il fait connaissance] prend pour la première fois contact avec les Français. Il les regarde avec curiosité. Avec pitié aussi: c'est ça, les Français? [...] Mon scepticisme et la façon dont je me tiens presque systématiquement à l'écart de la vie bruyante du Block le rapprochent de moi24. »

Le révisionnisme est en germe dans ces quelques lignes. Ce ton méprisant, donneur de leçons! Cette généralisation à partir de quelques bribes de conversation: « Tous les Français »! Nous étions une vingtaine de membres du Corps franc Pommiès, dont certains parlaient couramment l'allemand, auxquels il n'a pas fait l'honneur de s'adresser afin d'effectuer sa petite enquête sur la traduction de Jedem das Seine. Par parenthèse, je ne suis pas germaniste et je ne m'étais pas posé la question. Mais l'allemand m'aurait semblé bien synthétique pour résumer en trois mots une apostrophe en comprenant sept en français et six en italien: Lasciate ogni speranza, voi ch' entrate.

Je me retrouve en pensée dans ce pandémonium qu'était le petit camp de quarantaine, à Buchenwald. Six cents par bloc, six cents clochards. Après le bain au Crésyl, on nous avait donné des défroques ramassées aux quatre coins de l'Europe et il nous arriva de rire de nos dégaines. Là encore se manifeste un trait révisionniste: l'absence complète d'humour. C'était ça, les Français, y compris Rassinier: une cohue de clodos.

Si l'on passe sur ces réflexions désagréables, le premier volet du Mensonge d'Ulysse est intéressant. Il s'agit d'une expérience vécue, et elle avait été publiée seule, en 1948, sous le titre: Le Passage de la ligne.

Malheureusement, il y a une seconde partie (éditée en 1950 sous ce même titre du Mensonge d'Ulysse) qui concerne l'expérience des autres. Paul Rassinier jette un regard critique -- ô ce regard critique déjà révisionniste! -- sur le témoignage d'autres déportés, et les blâmes pleuvent comme ceux d'un instituteur sur les élèves qui ont rendu une copie imparfaite. L'un a parlé de cent vingt-cinq -- et non cent -- déportés par wagon. Un autre a oublié le demi-litre de café du matin (c'est plutôt le mot « café » qu'il aurait fallu réviser) ou la rondelle de saucisson. Un autre a vu piquer au coeur des inaptes au travail alors que ce genre de pratique n'existait pas dans le camp où il se trouvait, mais dans d'autres. Un autre a confondu le père, ex-député communiste, avec son fils. La liste est longue. Déportés, à vos plumes: révisez, révisez.

Dans son livre Assez mentir, Olga Wormser-Migot écrit, au chapitre intitulé « Collaborateurs, révisionnistes et néo-nazis »: « Pour Paul Rassinier, un ancien communiste interné au camp de Buchenwald, était communiste tout ce qu'il n'aimait pas25. »

En effet, l'organisation intérieure des camps, à cette époque, était entre les mains des communistes qui l'avaient conquise après une lutte sanglante contre les Verts, (couleur du triangle renversé, cousu sur la poitrine et désignant les droits communs), mis en place par la SS lors de la création des camps.

C'est bien là le début de la dérive qui conduisit Rassinier à minimiser le rôle de la SS dans l'existence des camps et à reporter toute la responsabilité des horreurs sur la Häftlingsführung (direction interne des camps par les détenus eux-mêmes). Il est exact que la grande majorité des coups que nous recevions nous était administrée par des membres de la H-Führung, Kapo (chef d'un commando de travail) ou Vorarbeiter (chef d'une équipe de travail), Blockältester (chef de bloc) ou Stubendienst (homme de chambre au bloc). Il est exact que ces hommes formaient une sorte de mafia qui vivait grassement sur les rations et les colis des déportés. Mais qui portait la responsabilité d'avoir établi ce système? Le nazisme. Qui assurait le maintien de ce système? La SS.

On nous rétorquera que ce ne sont pas les nazis qui ont inventé les camps de concentration ou d'internement, et Rassinier -- évidemment -- ne manque pas de préciser: « Le National-Socialisme, les SS, étaient revenus à ce moyen classique de coercition26. »

Le mot « revenus » prend ici tout son sens révisionniste. Qu'on me permette cette réflexion personnelle: il faut avoir vraiment l'esprit tordu pour écrire cela au sortir d'un camp nazi. Le nazisme n'a pas inventé le système, mais il en a fait un modèle de perfection.

On cite volontiers dans certains milieux cette anecdote: Goering, lors de son arrestation, donna à un officier anglais qui lui reprochait les camps de concentration une définition commençant ainsi: « inventés par les Anglais pendant la guerre contre les Boers ». Faurisson, dans ses Observations complémentaires27, en attribue l'origine à la guerre civile américaine.

Mais cette recherche de paternité est fallacieuse. Un assassin aura beau rappeler que Caïn l'a précédé dans cette voie, il sera quand même condamné.

Pour en revenir à la H-Führung, tentons une comparaison. Un homme lance contre vous un chien qui vous mord: qui est responsable, le maître ou le chien? Les SS établissent un système de camps où l'encadrement intérieur est constitué de détenus choisis par eux et qui font preuve d'une extrême brutalité. Rassinier reporte l'entière responsabilité sur ces derniers.

C'est trop facile. Un chien peut être dressé à mordre, un homme n'a pas besoin de dressage: « Power tends to corrupt and absolute power corrupts absolutely », écrivait John Emerich Dalberg, lord Acton (Le pouvoir a tendance à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument).

L'homme finit toujours par abuser, plus ou moins, du pouvoir qui lui est octroyé. Cela se traduit dans la vie courante par de petits riens, des faveurs, des passe-droits, des nominations, des scandales étouffés (ou non), parfois plus. Mais la société concentrationnaire est par essence même une société basée sur la force. Le faible n'est pas soutenu, mais méprisé et broyé. Le faible, c'était en particulier le musulman, cet épouvantail squelettique ainsi appelé à cause de son teint terreux, qui s'effondrait un jour comme une marionnette désarticulée. Dans cette société où la force dit le droit, les hommes ayant reçu une fraction du pouvoir, qui les dispensait de travailler et leur donnait la possibilité de toucher des rations supplémentaires, cherchaient à conserver ce privilège en faisant usage de la force. Lorsqu'en eux un sadique ne dormait que d'un oeil, alors régnait la terreur.

C'était d'ailleurs un cercle vicieux dont ils risquaient d'être les victimes pour peu que le pouvoir ne les protégeât plus. Nombreux furent les règlements de compte durant l'existence des camps. À la Libération sonna l'heure de la vengeance. J'ai toujours devant les yeux ce kapo flamand, assailli à coups de sabots par une meute de déportés squelettiques et qui demeura longtemps étendu sur le carrelage d'une salle d'eau. Des bulles sanglantes s'échappaient de ses lèvres boursouflées et il creva là, comme un rat, sans que personne ne lui prêtât secours.

« Ils ne travaillent pas. Ils sont gras. Ils nous répugnent », écrit Rassinier28.

Jalousie et amertume bien légitimes que nous avons tous ressenties en serrant la ficelle qui nous servait de ceinture. Mais je me souviens d'un chef de bloc allemand -- en 1944 -- qui était en camp de concentration depuis 1933 et qui nous disait que Buchenwald était devenu un véritable sanatorium par rapport à ce que ce camp était auparavant. Et, tout gras qu'il était, nous le considérions un peu comme un surhomme.

Ce besoin de reporter toute sa hargne sur la H-Führung amène Rassinier à émettre des vérités premières, comme s'il venait d'en faire la découverte. Étant devenu une sorte d'ordonnance de l'Oberscharführer, commandant la compagnie des chiens -- privilégié en quelque sorte -- il écrit:

« Ce contact direct avec les SS me les fait voir sous un tout autre jour que celui sous lequel ils apparaissaient vus du camp. Pas de comparaison possible: en public, ce sont des brutes, pris individuellement, des agneaux. » (P. 88-89.)

C'est l'image d'Épinal dans toute sa splendeur. L'ogre du petit Poucet était un père attentif et affectueux pour ses filles. Heydrich, le bourreau de la Tchécoslovaquie, était un homme très cultivé et un excellent violoniste. Et alors? Que peut-on tirer de cette vérité première? Rien. Si l'agneau devient une brute dans un autre environnement, c'est le comportement de la brute qui est en question.

Et puis enfin, si les coups des H-Führung sont plus fréquents, c'est qu'on les rencontre plus souvent que les SS. Mais ce sont ces derniers qui commandent les pendaisons, par exemple. Lisons encore ce qu'écrit Rassinier à propos du camp de Dora: « Le 28 février 1945, ils en ont pendu 30 qui sont montés par dix à la potence [...] Le dimanche des Rameaux ils en ont pendu 57, à huit jours de la libération, alors que nous avions déjà entendu le canon allié tout proche et que l'issue de la guerre ne pouvait plus faire de doute pour les SS. » (P. 69.)

Les SS fusillent, gazent, font des expériences. Pour des agneaux, ils ont de sacrées griffes! Je gage que les révisionnistes n'ont pas bien lu Le Mensonge d'Ulysse de leur père fondateur, qui se révèle finalement assez instructif.

Ensuite commença pour Rassinier, pacifiste de gauche, le rapprochement avec l'extrême droite -- préfigurant la situation actuelle -- représentée entre autres par Albert Paraz, antisémite et ami de Céline, Maurice Bardèche, l'auteur de Nuremberg ou la Terre promise, Henri Coston... Sous son nom ou sous un pseudonyme, Paul Rassinier collabore à Rivarol. Il sombre dans une sorte d'antisémitisme délirant, remonte à David et Salomon pour expliquer que l'or romain filait déjà en Judée et expose que le drame des Juifs européens réside non pas dans le fait que six millions d'entre eux ont été exterminés comme ils le prétendent, mais dans le fait qu'ils l'ont prétendu.

De quoi évidemment réjouir tout antisémite passant par là!

Paul Rassinier ainsi présenté, revenons à l'école révisionniste. Pierre Guillaume, le directeur de La Vieille Taupe, va nous renseigner par le biais d'une interview dactylographiée, effectuée par un journal régional, datée de mars-avril 1986, mais jamais publiée. C'est Pierre Guillaume lui-même qui, dans une note manuscrite, précisait qu'il la rendait publique.

La première question de l'interview et sa réponse étaient celles-ci:

« Monsieur Pierre Guillaume, vous êtes directeur des éditions de La Vieille Taupe qui se disent selon leur propre appellation "révisionnistes". Pouvez-vous me dire rapidement en quoi consiste le "révisionnisme" historique?

« RÉPONSE: Le révisionnisme historique n'est ni de droite ni de gauche: il vise à mettre les récits historiques en accord avec les faits vérifiables. Le révisionnisme n'aspire pas à fonder une "école" originale. Il prétend appliquer à tous les événements du passé les règles universelles de la critique, pour aboutir à une historiographie véridique sur laquelle chacun peut greffer ses interprétations historiques. L'école révisionniste prétend donc accomplir normalement le travail normal de l'historien et n'existe comme "école" que du fait de la répression et des tabous qui entourent certaines périodes historiques et déchaînent les passions. »

Si les révisionnistes accomplissent normalement le travail normal de l'historien, on ne voit pas pourquoi ils feraient bande à part. L'histoire est en révision permanente à mesure que des archives sont dépouillées, des documents découverts.

Ainsi, dans la revue L'Histoire de septembre 1966, on explique que les recherches dans les archives de la Stasi permettent d'opérer de profondes révisions sur la révolution anticommuniste à Berlin, en 1953. La recherche de la vérité historique conduit à de perpétuelles remises à jour. C'est d'ailleurs implicitement reconnu par le professeur Allard durant la soutenance de thèse de Roques lorsqu'il parle de la donation de Constantin, un faux « qui a été démenti au XVe siècle » (cassettes).

L'école révisionniste existait donc déjà?

Les réactions que font naître les déclarations péremptoires des révisionnistes ne proviendraient-elles pas du simple fait que leur critique essentielle s'applique à un champ historique fort restreint (« certaines périodes historiques », dit Pierre Guillaume), la guerre 39-45 et particulièrement la politique hitlérienne et le génocide des juifs, champ où fleurit l'antisémitisme le plus éculé?

Henri Roques écrit: « Sont qualifiés de révisionnistes les auteurs qui, au lendemain des deux guerres mondiales, ont estimé qu'en réaction aux excès de la propagande de guerre, il fallait revoir et réviser l'histoire de ces deux conflits pour mettre l'histoire en accord avec les faits29 [...]. »

Et de citer en tête de liste Rassinier et Robert Faurisson « qui prit sa relève ».

Figure de proue de l'école révisionniste, ce maître de conférences à l'université de Lyon lança à la fin de l'année 1978 son message: « L'inexistence des "chambres à gaz" est une bonne nouvelle pour la pauvre humanité. Une bonne nouvelle qu'on aurait tort de tenir longtemps cachée30. »

En 1984, j'écrivais: « Le système faurissonien consiste à mettre en doute l'ensemble de la construction à partir du moellon manquant déniché après des années de recherches maniaques. Faurisson, c'est l'anti-Cuvier31. »

J'aurais dû plutôt baptiser Faurisson le Mgr Lefebvre de l'histoire. Cette impudence avec laquelle, face à l'ensemble des historiens, ce petit professeur énonçait une contrevérité me rappelait celle de Mgr Lefebvre prononçant, en août 1976, au cours d'une messe célébrée à Lille, une homélie dans laquelle il annonçait que l'Argentine (qui venait de passer sous régime militaire) disposait désormais d'un gouvernement d'ordre et que la justice et la paix allaient refleurir. Alors que la longue et sinistre série de tortures, de meurtres et de disparitions commençait.

Au cours de proclamations successives, Faurisson peaufinait son texte: « Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des Juifs forment un seul et même mensonge historique qui a ouvert la voie à une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l'État d'Israël et le sionisme international et dont les principales victimes sont le peuple allemand, mais non pas ses dirigeants, et le peuple palestinien tout entier. »

La dernière mouture, en février 1985, contenait un supplément in fine: « et les jeunes générations juives que la religion de l'holocauste enferme de plus en plus dans un ghetto psychologique et moral ».

Dans le tract de La Vieille Taupe qui a diffusé cette déclaration fracassante, il est écrit: « Le professeur Faurisson a répété qu'aucun de ces mots ne lui était inspiré par une opinion politique quelconque. Il a dit qu'il n'était pas antisémite, ni même antisioniste et qu'à titre personnel il déplorait l'existence du racisme. »

Puisqu'il l'a dit et répété! Mais on ne voit pas bien ce qu'un Faurisson antisémite pourrait concocter comme déclaration plus incendiaire.

L'art révisionniste consiste à pratiquer l'amalgame, à mêler habilement le vrai et le faux, à entretenir une sorte de confusion des genres à un point tel que le lecteur éprouve une sorte de vertige en parcourant les lignes révisionnistes.

Ainsi Henri Roques, dans sa définition des révisionnistes, mélange les deux guerres: la spécificité du nazisme est noyée dans « les excès de la propagande de guerre ».

Dans ses Observations complémentaires, Faurisson cite les enfants belges aux mains coupées par les Allemands en 1914, le Lusitania, navire qui n'était pas inoffensif comme on le prétendait, l'affaire des cloches d'Anvers après la prise de la ville par les troupes allemandes, toujours en 1914, et la « chambre à gaz » de Dachau. C'est du sous-Crapouillot, spécialisé dans les bobards de guerre.

Là, ce n'est pas l'existence des chambres à gaz dans leur ensemble qui est mise en cause, mais le témoignage d'un Français, Fernand Grenier, dans un livre intitulé C'était ainsi. Ce témoignage fut corroboré par Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand. Or en 1960 le docteur Broszat, qualifié par Robert Faurisson de haute autorité (on va comprendre pourquoi) déclara qu'il n'y avait jamais eu de gazage homicide à Dachau, non plus que dans les camps situés dans l'ancien Reich. Tous les gazages se seraient déroulés en territoire polonais occupé.

Et Robert Faurisson d'ajouter: « Du même coup s'évanouissaient les gazages de Ravensbrück, de Mathausen, Struthof-Natzweiler, de Neuengamme, d'Oranienburg-Sachsenhausen, de Buchenwald, de Madjanek-Lublin, etc. S'évanouissaient avec ces gazages cent, mille ou dix mille témoignages, preuves et aveux. Çà et là on avait pendu ou conduit au suicide des responsables de camps qui, sans ces gazages, auraient sans doute eu la vie sauve. »

Des responsables de camps qui, même sans avoir utilisé de chambres à gaz, en avaient assez lourd sur la conscience pour être sévèrement sanctionnés. Nous savons bien, depuis Rassinier, que les SS n'étaient pour rien dans les conditions difficiles d'existence des camps, ces mêmes SS qui, selon son témoignage évoqué plus haut, « en avaient pendu 57 à Dora le dimanche des Rameaux »: mais quand même! De qui se moque-t-on?

Faurisson fait donc grand cas de cette déclaration de Martin Broszat32.

Cependant, il écrit: « Dans la lettre qu'on me cite, du 29 janvier 1943 [...], Vergasung ne signifie pas gazage, mais carburation33. »

Les révisionnistes sont experts dans l'art d'utiliser le sens qui leur convient. Ce mot Vergasung signifie bien gazage dans l'article de Broszat et permet à Faurisson de produire une de ses déclarations dont il a le secret. Il signifiait « gazage » au cours de la Première Guerre mondiale. Il signifie « gazage » dans le titre du livre de F. J. Scheid: Die Wahrheit über die Millionenvergasung von Juden (La vérité sur le gazage de millions de Juifs). Pourtant Vergasungskeller n'est pas une chambre à gaz, mais une chambre de carburation!...

À partir de ce que nous avons vu se dessinent déjà quelques traits communs aux membres de la secte révisionniste: la suffisance; l'art de l'amalgame; l'art de solliciter les textes et les traductions.

Quant à la déclaration de non-antisémitisme que l'on trouve chez Faurisson, elle apparaît déjà dans une interview accordée à L'Express en octobre 1978 par Louis Darquier de Pellepoix, ex-commissaire aux Questions juives du gouvernement de Vichy et réfugié alors à Madrid. Cette interview fit grand bruit à l'époque. Elle est significative car on y perçoit déjà les ébauches de la pensée révisionniste à l'état brut et ses exercices de haute école.

Donnons quelques extraits de cette interview:

« L'EXPRESS: Monsieur, il y a tout juste trente-six ans, vous avez livré aux Allemands 75 000 hommes, femmes et enfants.

« DARQUIER: Qu'est-ce que c'est que ces chiffres?

« L'EXPRESS: Ils sont officiels. On les trouve aussi dans ce document.

« DARQUIER: J'en étais sûr: un document juif. Et revoilà la propagande juive! »

Plus loin dans l'interview:

« L'EXPRESS: Vous pouvez peut-être admettre que les Juifs se soient intéressés à la disparition de 6 millions d'entre eux.

« DARQUIER: Ce chiffre est une invention pure et simple. Une invention juive, bien sûr. Les Juifs sont comme ça: ils sont prêts à n'importe quoi pour se faire de la publicité.

« L'EXPRESS: Je suis venu vous voir pour essayer de comprendre ce qui se passait dans une tête comme la vôtre il y a trente-six ans.

« DARQUIER: Vous êtes un agent de Tel-Aviv. »

L'argumentation semble pauvre et on pourrait penser que Darquier est antisémite. Détrompez-vous:

« DARQUIER: Moi, lorsque le Maréchal m'a placé à la tête du Commissariat aux Affaires juives, je me suis fixé un premier but. Un but humanitaire, notez-le bien: rendre la situation des Juifs français aussi confortable que possible. »

Le journaliste lui présente des photos:

« DARQUIER: Je ne veux même pas les voir. Ce sont des photos truquées [...]. Je sais qu'après la guerre les Juifs ont fabriqué des faux par milliers. [On lui présente une note d'un responsable SS.] C'est encore un faux! Ah! Ces Juifs, ils sont impayables! Ils sont capables de n'importe quoi pour fabriquer un bouc émissaire. »

Et encore:

« DARQUIER: Des gens qui voulaient que nous fassions la guerre à leur place. Et qui, surtout, ne voulaient pas que l'on préparât la guerre. Des gens qui voulaient notre ruine. »

Et enfin:

« DARQUIER: Et, j'y reviens, ils voulaient la guerre, les Juifs! »

À propos de documents truqués, il est vraisemblable que Darquier possédait dans sa bibliothèque les Protocoles des Sages de Sion, un faux fabriqué par la police tsariste au début du siècle pour accréditer l'idée d'un gigantesque complot mondial destiné à assurer aux Juifs le pouvoir. Pour forger ces Protocoles, le faussaire avait utilisé un pamphlet contre Napoléon III intitulé Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu et publié en 1864. Il suffit de comparer les deux versions pour n'avoir aucun doute sur la falsification. Un jugement des tribunaux suisses, en 1934-1935, a confirmé que ces Protocoles étaient un faux. Or, non seulement ils ont fait les beaux jours des antisémites de tous poils, en particulier dans le IIIe Reich nazi, mais ils continuent à être imprimés et diffusés dans les États arabes et en Russie. Je me suis laissé dire que, dans certains pays du Moyen-Orient, on en trouvait parfois un exemplaire sur la table de chevet dans sa chambre d'hôtel. Ces Protocoles figurent dans les publications ouvertes aux thèses négationnistes. Il y a peu, un tract antisémite distribué dans des boîtes aux lettres, à Paris et dans les Hauts-de-Seine, reproduisait la couverture des Protocoles des Sages de Sion.

Outre la déclaration de non-antisémitisme chez Darquier apparaissent deux autres traits révisionnistes: une méfiance totale à l'égard des Juifs; le report sur les Juifs de la responsabilité de la Seconde Guerre mondiale.

Illustrons ce second trait par quelques exemples.

En janvier 1985, l'organisation Cedade, en Espagne, diffusait un tract reproduisant cette déclaration de Hitler: « No es verdad que yo, o cualquier otra persona en Alemania, haya querido la guerra. Fue deseada y instigada exclusivamente por aquellos hombres de Estado internacionalistas que, o bien eran judios o trabajan para los interes judios. » (Il est faux de prétendre que moi ou quelqu'un d'autre en Allemagne avons voulu la guerre. Elle fut désirée et fomentée exclusivement par quelques hommes d'État internationalistes, juifs ou travaillant pour des intérêts juifs).

Ce n'est donc pas Hitler qui est à l'origine de la Seconde Guerre mondiale. C'est bien connu depuis que les révisionnistes se sont penchés sur le dossier.

Rassinier, dans Les Responsables de la Seconde Guerre mondiale, explique comment Roosevelt s'est laissé manoeuvrer par ses collaborateurs juifs et -- cherchez la femme -- par sa propre épouse. Hitler a donc été contraint de se défendre.

Parmi les principaux révisionnistes cités par Roques figure le docteur Wilhelm Stäglich, auteur du Mythe d'Auschwitz. L'édition allemande de ce livre ayant été saisie et détruite, La Vieille Taupe ne pouvait faire moins que de l'éditer en France.

Voici ce qu'écrit Stäglich: « La campagne acharnée des Juifs contre le Reich a commencé bien avant l'accession d'Hitler au pouvoir; elle s'intensifia à partir de 1933 et continua jusqu'aux premières années de la guerre34. »

Et il ajoute: « Il est possible que les discours provocateurs et incendiaires prononcés par les différents chefs du judaïsme mondial contre le Reich aient contribué à faire apparaître, dans l'optique des dirigeants du Reich, les Juifs résidant dans les territoires occupés en 1940/1941 comme des dangers pour la sécurité. » (Chap. I, p. 38.)

De là à les envoyer à Auschwitz avec femmes et enfants, il n'y avait qu'un pas à franchir, évidemment. Ce que Stäglich omet de rappeler, c'est que, dès 1933, l'année de l'avènement de Hitler au pouvoir, des lois sont promulguées prononçant à l'égard des Juifs des exclusions de la fonction publique, du barreau, de l'enseignement, des professions libérales... Les commerces juifs sont boycottés.

La loi du 15 septembre 1935 « pour la protection du sang allemand et de l'honneur allemand » interdit les rapports sexuels entre Allemands et Juifs. (Quand on pense qu'un de nos plus grands écrivains -- pour ne citer que lui --, Montaigne, était un métis de sang juif!)

Qui n'a pas vu cette photo d'époque où, entourée de cinq SA, brassard à croix gammée au bras gauche, une jeune femme ayant enfreint les lois de Nuremberg de 1935 porte une pancarte attachée au cou sur laquelle est écrit: « Je suis la plus grosse cochonne de la ville et je couche avec les juifs. »

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, à la suite du meurtre à Paris d'un conseiller de l'ambassade d'Allemagne, von Rath, par un jeune Juif de dix-sept ans, Herschel Grunspan, un gigantesque pogrom se déclencha à travers le IIIe Reich: près de trois cents synagogues, des magasins, des entrepôts, des maisons, des appartements juifs sont saccagés, incendiés. Des morts par centaines, des arrestations par milliers, le tout dans un bruit de vitres brisées -- d'où ce nom poétique de Nuit de cristal donné à l'événement (ces nazis étaient décidément de grands romantiques).

Mais c'était un mouvement de défense spontané de la population allemande contre la « juiverie » internationale et il n'y avait pas lieu de s'y opposer.

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