© Michel Fingerhut 1995-8 ^  

 

Pierre Bridonneau:
Oui, il faut parler des négationnistes (De quelques questions...)
2-204-05600-6 © Éditions du Cerf 1997
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Nous remercions Pierre Bridonneau et les Éditions du Cerf de nous avoir autorisés à reproduire ces textes.
Éd. de Minuit, juillet 1984. W. STÄGLICH, Le Mythe d'Auschwitz, La Vieille Taupe, 1986, p. 168. P. 80. Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Regards sur le monde actuel, Stock, 1931, p. 73. Le Mythe d'Auschwitz, p. 402. P. 101. Nous soulignons les adjectifs convenant bien à une population juive faisant cause commune avec les partisans. Le Mensonge d'Ulysse, p. 56. L'Événement, n° 90, 24-30 juillet 1986. Pierre JOFFROY, auteur de L'Espion de Dieu. La passion de Kurt Gerstein. Esprit, septembre 1980, p. 26. Le Monde, 10 novembre 1978.

De quelques questions qui auraient pu être débattues au cours d'une soutenance normale

Henri Roques écrit: « Les textes que l'ancien officier SS nous a laissés représentent une pièce maîtresse du dossier des chambres à gaz. » (Thèse, p. 3.) « Les "confessions" de l'ancien officier constituent une des clés de voûte, peut-être même la principale, de l'édifice construit par les auteurs qui affirment indiscutable l'existence des chambres à gaz homicides dans les camps de concentration nazis. » (P. 229.) « Est-ce parce que ces "confessions" ont été rédigées de son propre mouvement par un officier SS qu'elles sont devenues une pièce maîtresse, peut-être la clé de voûte de l'édifice intellectuel tendant à prouver l'existence des chambres à gaz homicides? » (P. 267.)

Pourquoi, si ces rapports constituent la clé de voûte, pièce maîtresse, le PS-1553 n'a-t-il pas été retenu par le grand tribunal de Nuremberg? Quarante-deux volumes de rapports divers où la pièce maîtresse ne figure pas! Pourquoi le rapport Gerstein occupe-t-il moins de quatre pages dans le dernier livre qui fait le point sur la question: Les Chambres à gaz. Secret d'État, d'Eugène Kogon, Hermann Langbein, Adalbert Ruckert38? Quatre pages sur trois cents: c'est peu pour une clé de voûte!

Dans l'émission d'Europe 1 du 23 mai 1986, Henri Roques s'adressant à Georges Wellers, dit: « Ça ne doit pas inquiéter en particulier M. Wellers [que Roques prétende que le rapport Gerstein ne soit pas une preuve valable], car M. Wellers, en 1979, a écrit un article qui s'intitulait "Abondance de preuves", dans Le Monde, et s'il y a abondance de preuves et que j'en détruise une, ça n'est quand même pas tellement navrant [...]. » Sauf, et c'est le cas, si Henri Roques affirme à trois reprises dans sa thèse que ce rapport est la pièce maîtresse, la clé de voûte du dossier.

 

« Un sujet d'actualité? » écrit Henri Roques, en intertitre, dans sa thèse (p. 6) et il fait référence à un article du Monde du 21 février 1979, rédigé par Leon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet, et signé par trente-deux historiens -- et non des moindres, puisqu'on y trouve, entre autres, Fernand Braudel, Emmanuel Le Roy Ladurie, Jacques Le Goff, Pierre Chaunu, etc. Dans cet article, on trouve cette phrase: « Parmi tant et tant de témoignages [...] faut-il rappeler celui du SS Kurt Gerstein... »

Henri Roques écrit, au bas de la même page: « Les deux historiens qui ont choisi le témoignage de Gerstein "parmi tant et tant d'autres" le tiennent vraisemblablement pour le plus convaincant de l'existence des chambres à gaz homicides. » (Ibid.)

C'est un jugement de valeur, non scientifique, qui ne permet pas d'affirmer que ces « confessions » constituent la clé de voûte, pièce maîtresse du dossier des chambres à gaz. Le choix du témoignage Gerstein peut s'expliquer pour d'autres raisons que le fait qu'il soit le plus convaincant. En particulier, dans le cadre restreint, très limité, d'un article qui ne permet pas de citer plusieurs témoignages, le choix se portera de préférence sur celui qui décrit une situation donnée en peu de mots avec le meilleur éclairage.

 

Dans la thèse, comme au cours de la soutenance, les fautes de frappe sont souvent évoquées, mais parfois de façon sélective. Ainsi on trouve: « On lit dans 7 Va: "28 minutes plus tard, rares sont ceux qui vivent encore" et dans 7 Vb: "26 minutes". Il est probable qu'il s'agit d'une erreur de frappe. » « On lit dans 7 Va: "environ 8 000 cléricaux polonais ont été obligés de creuser leurs tombes", et dans 7 Vb: "environ 2 000. » (P. 199.)

Pourquoi n'y aurait-il pas la possibilité, aussi, d'une erreur de frappe (ce que Roques précisément n'évoque pas) entre 2 000 et 8 000? Est-ce à dire que l'erreur de frappe conduit invariablement à une faible erreur numérique -- la différence entre 28 et 26 -- ou qu'elle sélectionne le rang du chiffre -- chiffre des unités (entre 28 et 26) -- et non chiffre des milliers (entre 8 000 et 2 000)? Une erreur de frappe orientée, en quelque sorte! Ne serait-ce pas plutôt qu'il est plus facile de dénoncer les contradictions à partir de la différence 8 000-2 000 que la différence très faible 28-26?

Dans son tableau E des comparaisons de textes, Henri Roques écrit: « L'Allemagne en guerre réservait son carburant à des véhicules militaires. Brûler des cadavres par centaines de milliers aurait nécessité de très grandes quantités d'essence et d'huiles lourdes. »

L'argument avait déjà été exposé par Stäglich à propos du témoignage de Mme Vaillant-Couturier au procès d'Auschwitz: « En dépit de toute l'imagination dont le témoin faisait preuve, on pourrait lui reprocher de n'avoir pas songé qu'en 1944, l'Allemagne hitlérienne ne pouvait certainement pas s'offrir le luxe de gaspiller de l'essence à seule fin de brûler des cadavres39. »

C'est une contrevérité. Il suffit de songer à ces cheminots chargés de faire circuler ces innombrables convois de déportés dans toute l'Europe, ces architectes et ces ingénieurs chargés de la construction des camps, des crématoires, des chambres à gaz, cette soldatesque chargée de la garde de tous ces camps, ce carburant, ces matériaux, ces matériels divers utilisés dans ces camps, pour montrer que l'Allemagne hitlérienne pouvait s'offrir le luxe d'un gigantesque détournement de l'effort de guerre.

 

« Nous pensons, comme Olga Wormser-Migot, que le mot "confession" est le plus approprié. » (Thèse, p. 5.)

« Olga Wormser-Migot exprime son scepticisme. Elle écrit notamment: "Les leitmotive de la confession, y compris les prières des victimes, sont tellement identiques à cinquante autres évocations -- y compris celles des Mémoires de Hoess -- que nous arrivons difficilement pour notre part à admettre l'authenticité intégrale de la confession de Kurt Gerstein ou la véracité de tous ses éléments. » (P. 17.)

« Quant au reste de la "confession", il est essentiellement constitué par ce que Olga Wormser-Migot appelle des leitmotive [...]. » (P. 242.)

« Il a déjà été question dans cette thèse du point de vue nuancé de l'historienne Olga Wormser-Migot. » (P. 254.)

« Nous constatons que son [de Olga Wormser-Migot] appréciation globale est proche de la nôtre. » (P. 255.)

À lire ces cinq citations, on a l'impression que le point de vue d'Olga Wormser-Migot est proche de celui de Henri Roques. Henri Roques reconnaît quand même qu'elle n'adhère pas aux thèses révisionnistes. C'est un peu faible, et, pour éclairer le jury -- qui n'a pas eu le temps de lire tous les auteurs cités par la bibliographie du fait des délais extrêmement courts entre le transfert du dossier à Nantes et la soutenance (voir p. 25) -- citons Olga Wormser-Migot, auteur, rappelons-le, d'une thèse sur « le système concentrationnaire nazi », publiée aux Presses universitaires de France, en 1968: « Les élucubrations du monsieur de Lyon (R. Faurisson) et de ses adeptes de différents pays n'auraient pas d'importance si, en même temps, ne refleurissaient des inscriptions nazies, des croix gammées, des menaces contre les Juifs, des attentats contre les boutiques juives40 [...]. »

Et dans une réponse au Monde (7 décembre 1978): « Comment un journal tel que Le Monde peut-il pratiquer l'amalgame d'une contestation vieille de neuf ans (contestation qui porte non sur les objectifs et sur les résultats de l'extermination dans certains camps de l'Ouest, mais sur les modalités de cette extermination) et les élucubrations malfaisantes des écrivains dits révisionnistes? Je considère que des débats de ce genre servent plus la cause des néo-nazis que la nécessité de proclamer la vérité; la solution finale de la question juive et l'extermination de six millions de Juifs [...]. »

Dans la seconde citation plus haut, tirée de la thèse (p. 17), Henri Roques avait oublié de souligner deux mots: « intégrale » et « tout ». Olga Wormser-Migot arrive difficilement à admettre l'authenticité intégrale de la confession, donc, à ses yeux, une partie de la confession est authentique. Et si elle n'admet pas la véracité de tous ses éléments, elle estime donc que certains de ses éléments sont vrais. Nuance. En tout cas, Olga Wormser-Migot nous semble fort loin de Henri Roques.

Vraisemblance et vérité.

Une thèse d'université, en théorie, est la sanction d'une recherche scientifique menée sous le contrôle d'un professeur. Or, ce qui surprend dans la thèse de Henri Roques, c'est cet appel au bon sens qui, précisément, n'est pas scientifique. Au cours de la soutenance, le président du jury, J.-P. Allard, dit: « Nous ne disposons pour tout recours que de l'esprit critique, c'est-à-dire l'emploi systématique du bon sens [...]. »

Et plus loin: « Ce rappel aux évidences, notamment en ce qui concerne les indications numériques [...]. » (Cassettes.)

Ce qui est évident, c'est ce qui s'impose immédiatement à l'esprit comme une certitude. Or la science nous a précisément appris à nous méfier des évidences, en particulier à douter de nos sens. Le moindre étudiant en philosophie est capable d'en fournir de nombreux exemples.

Quant au bon sens, selon le Robert, c'est « la capacité de bien juger, sans passion, en présence de problèmes qui ne peuvent être résolus par un raisonnement scientifique ».

D'après André Lalande, le bon sens est « la capacité de bien juger, avec sang-froid et mesure, dans les questions concrètes qui ne sont pas susceptibles d'être résolues par un raisonnement rigoureux41 ».

Relisons Paul Valéry:

Je ne suis pas à mon aise quand on me parle du bon sens. Je crois en avoir, car qui consentirait qu'il n'en a pas? Qui pourrait vivre un moment de plus s'en étant trouvé dépourvu? Si donc on me l'oppose, je me trouble, je me tourne vers celui qui est en moi, et qui en manque, et qui s'en moque, et qui prétend que le bon sens est la faculté que nous eûmes jadis de nier et de réfuter brillamment l'existence prétendue des antipodes; ce qu'il fait encore aujourd'hui quand il cherche et qu'il trouve dans l'histoire d'hier les moyens de ne rien comprendre à ce qui se passera demain. [...]. Ce critique du bon sens ajoute qu'il n'y a pas de quoi se vanter d'être la chose du monde la plus répandue. Mais je lui réponds que rien toutefois ne peut retirer au bon sens cette grande utilité qu'il a dans les disputes sur les choses vagues, où il n'est pas d'argument plus puissant pour le public que de l'invoquer pour soi, de proclamer que les autres déraisonnent et que ce bien si précieux, pour être commun, réside tout en celui qui parle42.

Cet extrait s'applique fort bien au raisonnement révisionniste.

Lorsque la question ne peut être résolue par un raisonnement scientifique, il ne reste que le bon sens.

Mais tant que la procédure scientifique, qui consiste à coupler une démarche mentale et une démarche expérimentale, est susceptible d'être suivie, alors cet appel au bon sens n'a pas sa place.

Ainsi, c'est au nom du bon sens que le haut commandement français estimait, en 1940, qu'une offensive de blindés à travers un massif boisé était une impossibilité. Il était évident que ça ne passerait pas. Et pendant que les forces françaises remontaient vers le Nord à la recherche des forces ennemies, les divisions blindées de Guderian fonçaient, dans leur dos, à travers les Ardennes, ce massif infranchissable. Il aurait suffi d'expérimenter, c'est-à-dire d'effectuer, en temps de paix, des manoeuvres des blindés dans les Ardennes, pour se rendre compte que le passage était possible. Mais peut-être aurait-il fallu aussi que l'état-major français n'ait pas d'idées préconçues et qu'il perde un peu de sa suffisance.

Comme Henri Roques, car, de la suffisance, il en a, à l'instar de ses maîtres, Rassinier et Faurisson.

Lisons-le: « Ces auteurs qui, souvent, prétendent au titre d'historien [...] » (Thèse, p. 276.)

Écoutons-le pendant la soutenance: « Les tenants de l'histoire officielle ne sont guère difficiles quant à la qualité des documents qu'ils retiennent comme preuve de ce qu'ils affirment. » (Cassettes.)

Et des idées préconçues, il en a plein sa petite musette de révisionniste. Il n'est guère scientifique d'émailler une thèse de « Imagine-t-on la scène » (thèse, p. 241), « Scènes dignes du Grand Guignol » (tableau comparatif), « Imagine-t-on » (p. 237) et des invraisemblances comme s'il en pleuvait. À tel point que Henri Roques s'est cru obligé de faire un relevé non exhaustif des invraisemblances et des étrangetés qu'il a cru trouver dans les « confessions » de Gerstein, et dont la plupart sont le fruit de son incapacité d'imaginer ce qui est étranger à son petit univers. Nous les examinerons plus loin.

Mais cette vraisemblance à laquelle s'attache Henri Roques est l'autre face du bon sens: « Pour que les "confessions" de Gerstein puissent présenter un quelconque intérêt, il faudrait pouvoir démontrer qu'elles sont vraisemblables. » (P. 229.)

Démontrer la vraisemblance n'a aucune signification. On pourrait tout au plus montrer que, compte tenu de l'état actuel de notre société, il est admissible que les faits rapportés par Gerstein aient pu se passer ainsi. Mais on ne serait pas encore au bout du tunnel. Le vers fameux de Boileau, cité par Allard dans la soutenance, sans s'y attarder, aurait dû être une mise en garde: « Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. »

L'histoire de la science est là pour nous rappeler que son rôle, au cours des siècles, a été de donner une explication à des phénomènes étranges, invraisemblables, sur lesquels personne maintenant ne se pose la moindre question, dans notre société actuelle.

Car la vraisemblance est culturelle. Et ce que les révisionnistes oublient -- volontairement ou non, car il y a un vécu dans la chair que le jeu intellectuel ne restituera jamais -- c'est que la société décrite partiellement par Gerstein n'a rien de commun avec celle où vivent ces ratiocineurs impénitents. Le monde concentrationnaire est un monde kafkaïen dont les normes échappent à notre logique de civilisés.

Au cours de la soutenance, Henri Roques a, semble-t-il, une intuition lorsqu'il dit: « Car, en suivant Gerstein, on quitte le monde rationnel. On doit renoncer à la logique, au simple bon sens. » (Cassettes.)

Il est dommage qu'il n'ait pas exploité cette voie. Même lorsqu'un rapprochement historique pourrait leur fournir une explication, les révisionnistes la refusent, car elle ne rentrerait pas dans le cadre de leur épure.

Prenons un exemple qui montre, une fois de plus, que l'absurdité réside moins dans les « confessions » d'un Gerstein que dans les tentatives désespérées de certains révisionnistes pour justifier leur position.

Stäglich écrit: « L'intérêt que l'on portait à l'exécution du travail par les détenus des camps de concentration et donc au maintien de la santé et des capacités physiques des prisonniers apparaît clairement dans de nombreux documents dont l'authenticité ne peut être mise en doute et qui ont pu être sauvegardés. Cette constatation ne s'accorde guère avec les doléances, sans cesse répétées, au sujet du logement défectueux, de la nourriture insuffisante et du traitement inhumain infligé aux détenus43 [...]. »

Relisez bien ce texte. Pour quelqu'un qui a vécu la déportation, ces lignes vont au-delà de l'absurde. Elles l'atteignent physiquement comme un mauvais coup au-dessous de la ceinture. Et ces « doléances » qui rappellent celles des ouvriers, à l'époque de Vauban, qui trouvaient qu'on leur servait trop souvent du saumon aux repas!

Stäglich écrit même à ce sujet: « On ne tue pas la poule aux oeufs d'or. » (Ibid., n. 49.)

Pourtant, une simple référence à l'histoire de l'esclavage (et qu'était-ce d'autre que de l'esclavage?) suffit à montrer que ce raisonnement de type économique est en contradiction avec les faits. Quel historien de bonne foi prétendrait que les esclaves étaient toujours bien nourris, bien logés et bien traités à cause de leur valeur marchande ou de leur capacité de travail? Et le trafic du « bois d'ébène » avec des pertes de cargaison du quart ou du tiers au cours des traversées, ne tuait-il pas en partie la poule aux oeufs d'or?

Et c'est aux travaux du docteur Stäglich que Henri Roques fait référence dans la soutenance de sa thèse. C'est le sort du docteur Stäglich sur lequel il se penche: « Il s'est trouvé un conseil de professeurs allemands rongés par le virus de la culpabilisation pour retirer son titre de docteur à un juriste, le docteur Wilhelm Stäglich. Et quel était le crime de ce docteur Stäglich? Avoir publié un livre révisionniste intitulé Le Mythe d'Auschwitz. » (Cassettes.)

Ce livre est un monument d'antisémitisme et de mauvaise foi poussés jusqu'à la caricature. Voici deux autres exemples: « Les auteurs des ouvrages fondamentaux dans ce domaine [la vie concentrationnaire] ne sont pas des historiens de profession [...]. Par ailleurs, ils sont tous juifs, ce qui suffirait à expliquer la partialité de ces travaux. » (P. 19.)

« Les Einsatzgruppen [...] avaient reçu l'ordre de traiter avec une extrême rigueur la population juive rencontrée dans les secteurs tenus par les partisans, sans épargner ni femmes ni enfants. Or c'est un fait que la population juive faisait presque toujours cause commune avec les partisans. Il s'agissait donc d'une réaction provoquée par les méthodes de combat perfides et contraires au droit international que pratiquait un adversaire sournois et extrêmement cruel44. »

Ces groupes d'action (Einsatzgruppen) ont laissé assez de rapports pour que la comptabilité de leurs massacres soit parfaitement connue. C'est sans doute la raison pour laquelle les révisionnistes, en général, n'en parlent pas. Mais Stäglich justifie même la mort des femmes et des enfants juifs sur le million de kilomètres carrés où opéraient ces groupes. Il faut lire le témoignage hallucinant de Hermann Graebe sur les fusillades en masse de ces malheureux, obligés de se déshabiller et de s'aligner devant les cadavres de ceux qui venaient d'être fusillés, l'instant d'avant. En éditant Stäglich, Pierre Guillaume, vous avez commis une mauvaise action que vos protestations de bonne foi ne parviendront pas à effacer.

Récemment un professeur d'histoire à Washington, Christopher Browing, a publié Ordinary Men (Des hommes ordinaires), une sorte de journal de marche du 101e bataillon de réserve de la police allemande en Pologne. Cette formation de cinq cents hommes était chargée de liquider les Juifs entre juillet 1942 et novembre 1943. On ne peut qu'en conseiller la lecture aux révisionnistes.

Mais pour en revenir aux détenus et juger de leur traitement, faisons appel à un expert: « Les gens du Steinbruch [la carrière de Dora] ont la malchance supplémentaire de travailler à flanc de côteau dans l'ouverture de la carrière: le moindre incident qui leur vaut une gifle les précipitent en bas où ils se tuent. Tous les jours, ils ramènent des morts sur place de l'Appel [...]. De temps en temps, on entend dire dans le camp qu'un malheureux du Steinbruch, ayant reçu un coup de poing, a basculé et est tombé dans le concasseur ou la bétonneuse qu'on n'a même pas arrêtés. »

Ces lignes ont été écrites par Paul Rassinier45, le pape du révisionnisme. Elles illustrent l'explication de Stäglich (le « maintien de la santé et des capacités physiques des prisonniers »). Mais elles répondent aussi au scepticisme de Henri Roques devant les « scènes dignes du Grand Guignol » qu'il a cru relever dans les « confessions » de Gerstein. N'est-ce pas du grand guignol que ces malheureux précipités chaque jour dans le vide, le concasseur ou la bétonneuse, par une gifle ou un coup de poing? C'est difficile à concevoir, évidemment, dans le cadre de notre société policée. Imagine-t-on un article dans le journal régional: au chantier Untel, le contremaître a balancé encore un ouvrier dans le concasseur. C'est la septième fois dans le mois.

N'est-ce pas du grand guignol que ce jour de Pâques, le 2 avril 1944, décrit par Paul Rassinier, toujours lui, votre pape (à quelle meilleure source pourrait-on puiser?): « un appel de quelques 10 000 détenus, de 9 heures du matin à 20 heures, et repris de 21 heures à 23 h 45, avec les détenus s'évanouissant, tombant pour ne plus se relever -- une trentaine de morts -- les dysentériques faisant dans leur culotte. C'était le premier jour de repos depuis l'arrivée de Paul Rassinier au camp de Dora. » (P. 62 s.)

Alors, docteur Stäglich, qui faites référence à Paul Rassinier, l'avez-vous bien lu avant de critiquer « les doléances au sujet du traitement infligé aux détenus »? Paul Rassinier est mort avant de pouvoir lire votre oeuvre. Sinon, je gage qu'un schisme aurait pu naître dans l'église révisionniste. Une société concentrationnaire où coexistent ce massacre au quotidien et un Revier (infirmerie) qui fonctionne, le bordel et les exécutions en musique, et même un bunker -- cette prison dans cet enfer -- n'est pas une société où règne le simple bon sens, cher à Roques, Allard et consorts.

Le révisionnisme, c'est aussi l'art de l'escamotage.

Élisabeth Goulan écrit: « Plus insidieuse est la méthode qui a consisté, pour Roques, à jouer sur le double terrain de la littérature et de l'histoire en jonglant allègrement avec l'interdisciplinarité universitaire. C'est ainsi qu'il a, le plus académiquement du monde, présenté une analyse de texte en tirant des conclusions historiques46. »

Voici ce qu'écrit Henri Roques: « L'énigme Gerstein ne sera pas au centre de notre travail puisqu'il ne s'agit pas d'une étude historique. » (Thèse, p. 3.)

Il joue sur les mots. Les conclusions historiques qu'il tire visent, non pas l'énigme Gerstein, mais l'existence des chambres à gaz: « Les textes que l'ancien officier SS nous a laissés représentent une pièce maîtresse du dossier des chambres à gaz homicides. » (Ibid.)

Prétextant qu'il ne s'agit pas d'une thèse d'histoire, Henri Roques en profite pour escamoter tous les témoignages existant qui confirment, sur bien des points, le récit de Gerstein: « Ces témoignages [sur les chambres à gaz] ne peuvent être considérés comme nombreux que si l'on prend en compte les témoignages souvent flous et contradictoires des anciens déportés et des combattants arrivés dans les camps juste après leur évacuation. Il n'y a pas lieu ici de s'interroger sur la valeur qu'il convient d'accorder à ces témoignages. Seuls les témoignages écrits nous intéressent. Ils sont rares [...1. » (P. 6.)

En qualifiant les témoignages de flous et contradictoires, Henri Roques se donne bonne conscience et, de plus, suivant la règle révisionniste, il mêle les témoignages des déportés et des combattants qui libérèrent les camps, témoignages évidemment fort différents. Henri Roques titre: « Un cas unique. »

C'est en effet un cas unique, celui d'un officier SS qui, dès 1942, a fait des révélations qui ont été confirmées par un autre nazi, le docteur Pfannenstiel, en justice, et par d'autres aussi, des civils auxquels Gerstein s'était confié, le baron von Otter, deux Hollandais, des pasteurs protestants... Aussi, la question d'un avocat lors d'un procès, le 29 mai 1981, citée par Henri Roques dans les premières pages de sa thèse, paraît tendancieuse: « Est-ce que le témoin47 peut dire au Tribunal s'il a connaissance d'un autre témoignage relatif à l'existence et au fonctionnement des chambres à gaz émanant d'un SS de haut grade, ou en tout cas du grade de Monsieur Gerstein, qui soit disponible? Autrement dit, est-ce qu'il y a d'autres sources accessibles en provenance de SS dont on a eu la trace pendant la guerre et non pas après la Libération? » (P. 7.)

Premièrement, cet avocat confond la connaissance que pourrait avoir le témoin d'un fait avec l'existence même de ce fait. (Le fait peut exister sans que le témoin en ait connaissance. Le témoin peut en avoir une connaissance incomplète, ou erronée.)

Deuxièmement, après cette confusion entre « Est-ce que le témoin a connaissance » et « est-ce qu'il y a », l'avocat restreint volontairement les sources (relatives à l'existence ou au fonctionnement des chambres à gaz): un SS, de haut grade -- égal ou supérieur à celui de Gerstein: un Obersturmführer fera encore l'affaire, mais pas un Untersturmführer! --, dont on a eu la trace avant la Libération. Et le témoin répond: Non. Sont donc écartés tous les témoignages obtenus après la Libération, tous les témoignages de SS de grade inférieur à celui de Gerstein -- s'il s'en trouvait --, tous les témoignages de non-SS, dont celui du professeur Pfannenstiel, qui était nazi, et dont le témoignage valait bien celui d'un SS.

Mais en précisant « dont on a eu la trace pendant la guerre », l'avocat ne fait que renforcer l'ambiguïté. S'il s'agit d'une trace écrite, Gerstein n'ayant pas fait de rapport écrit durant la guerre, son propre témoignage serait lui-même à écarter. S'il s'agit de trace orale (sous quelle forme?), les témoignages renforçant celui de Gerstein seraient à présenter. Le témoignage essentiel escamoté par Henri Roques, c'est celui de Pfannenstiel: « ni son compagnon de voyage Pfannenstiel [...] » (Thèse, p. 235.)

« Certains propos tenus par Gerstein à l'égard de deux Allemands, le professeur W. Pfannenstiel et le Dr. Peters de la société Degesch ont été vigoureusement démentis par les personnes mises en cause. » (P. 250-251.)

Aucune interrogation du jury à ce sujet: quels propos? Quels démentis? Décidément ce jury n'était pas très curieux!

« Nous n'avons pas traité des témoignages recueillis, après la guerre, auprès de personnes qui, entre le mois d'août 1942 et le mois d'avril 1945, reçurent des confidences de l'obersturmführer. » (P. 266.)

Et, dans une note, Henri Roques se propose, dans un ouvrage à éditer, d'étudier le cas de plusieurs témoins, parmi lesquels le professeur Pfannenstiel. Or n'oublions pas qu'il y a un chapitre sur la véracité des « confessions » dans la thèse de Henri Roques. Et, surtout, Henri Roques tire hardiment des conclusions sur l'attitude adoptée devant ces récits, selon que le lecteur est plus indulgent ou plus sévère. Mais même pour le plus indulgent, il écrit: « L'essentiel porte sur les opérations de gazage et leurs suites. Cet essentiel, même le plus indulgent des lecteurs ne pourra l'admettre qu'avec difficulté, tant y abondent les impossibilités de nature physique. Il pensera que Gerstein avait été psychiquement choqué. » (P. 266-267.)

Et interviennent les hypothèses sur l'équilibre physique et mental du témoin. Mais le professeur Pfannenstiel qui l'accompagnait? a-t-on envie de demander (ou plutôt: on aurait envie de voir le jury poser la question). Chut!

« Le diabète provoquait parfois chez Gerstein "des états précomateux qui expliqueraient ses absences d'esprit et certaines de ses réactions étranges". » (P. 267.)

Mais le docteur Pfannenstiel qui l'accompagnait, avait-il lui aussi le diabète? Un équilibre physique et mental précaire? Ce serait quand même curieux que tous les deux aient été diabétiques et qu'ils se soient trouvés en état précomateux, en même temps, devant la chambre à gaz.

L'adage de jurisprudence Testis unus, testis nullus (témoin seul, témoin nul) qui fait entendre que le témoignage d'un seul est insuffisant pour établir la vérité d'un fait devrait conduire, logiquement, à produire un second témoin quand on en a un sous la main. Et de taille. Un professeur nazi, dont toutes les versions mentionnent qu'il était présent auprès de Gerstein, et qui a confirmé, après la guerre, devant un tribunal, qu'il se trouvait avec ce dernier.

La mauvaise foi de Henri Roques éclate une fois de plus durant la soutenance quand il cite Vidal-Naquet: « Or son témoignage [celui de Gerstein] mis en cause pour diverses raisons qui n'étaient pas toutes mauvaises (caractère manifestement erroné des précisions numériques, médiocre qualité des premières publications) a victorieusement subi l'épreuve. » (Cassettes.)

Là, Henri Roques arrête la citation pour faire un commentaire. Il se garde bien de poursuivre. Voici ce qu'écrivait ensuite Pierre Vidal-Naquet: « Il [le témoignage de Gerstein] a même été confirmé par le professeur nazi W. Pfannenstiel, non seulement lors du procès de dénazification de celui-ci, à Darmstadt en juin 1950, mais, ce qui est un comble, lors d'une visite de ce dernier à Paul Rassinier en personne48. »

Il est dommage qu'à l'instar de son maître, Robert Faurisson, qui aime bien proclamer les bonnes nouvelles, Henri Roques n'ait pas proclamé que le pape du révisionnisme lui-même, dans son livre Le Drame des Juifs européens avait confirmé, pour l'essentiel, les dites de Gerstein. Il aurait pu au moins le signaler au jury dont le président, J.-P. Allard, très tardivement, manifeste en fin de soutenance, une certaine curiosité pour ce Pfannenstiel: « Alors, qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur Pfannenstiel et consorts? [...] Parce que, finalement, ça entre dans le problème de la critique du texte. » (Cassettes.)

Autrement dit, cette thèse qui croule sous les compliments a littéralement escamoté tous les témoignages relevant de la critique du texte. C'est grave!

Mais déjà, au début de la soutenance, le professeur Rivière déclarait: « Il serait intéressant et fondamental de savoir, grâce à des témoignages oraux et des documents écrits -- ça doit bien exister parce que ces gens-là faisaient pas mal de paperasses -- ce qui se passait réellement en particulier dans le camp de Belzec entre le 15 et le 20 août 42, quand Gerstein y était [...]. » (Cassettes.)

Presque à la fin de la soutenance, Henri Roques affirme: « mais, Pfannenstiel, je sais beaucoup de choses » (ibid.).

Pour commencer, il ne souffle mot de la visite de Pfannenstiel à Paul Rassinier. Ensuite, il noie le poisson: oui, Pfannenstiel a accompagné Gerstein, il était dans la voiture, etc., et il passe immédiatement à un autre interrogatoire de 1947 où il semble que Pfannenstiel se soit contredit (Roques dixit):

« Et on lui demande s'il a assisté à la tuerie, et Pfannenstiel répond: Nein. On lui demande, à la fin de l'interrogatoire, s'il connaît Belzec, et il répond: J'en ai entendu parler. » (Ibid.)

Là-dessus, Henri Roques conclut, car cette version l'arrange bien: « Donc, il n'est pas allé à Belzec. »

Cela m'a fait immédiatement penser au reniement de saint Pierre (il est curieux qu'aucun membre du jury n'y ait songé): « Pierre s'assit au milieu d'eux. Une servante [...] le fixa des yeux et dit: "Celui-là aussi était avec lui [Jésus]." Mais il nia, disant: "Je ne le connais pas, femme." » (Luc 22, 55-56.)

Là-dessus, Henri Roques conclurait: donc Pierre ne connaît pas Jésus.

Avec ce type de raisonnement infantile, un juge d'instruction n'inculperait pas souvent de prévenu. Il est bien évident que, deux ans après la mort de Gerstein et la disparition d'autres témoins secondaires, il n 'était pas de l'intérêt de Pfannenstiel d'avouer qu'il avait assisté à la tuerie. Gravement, chaussé de ses gros sabots, Henri Roques énonce: « Donc, il y a des contradictions flagrantes. » (Cassettes.)

S'il s'agissait d'un jury normal, on pourrait s'étonner qu'aucun membre ne lui ait montré la faiblesse de son raisonnement. En tout cas, si un jour l'école révisionniste se met en tête de s'occuper de la vie du Christ -- un Juif, ne l'oublions pas -- il y aura du rififi au Vatican.

Pour jeter le doute sur ce témoignage de Pfannenstiel, évoqué mais non présenté, J.-P. Allard émet une contrevérité: « La dénazification, c'était un rouleau compresseur et un peigne fin qui passait partout, comme on peut le voir. » (Ibid.)

Cela revient à dire que Pfannenstiel n'avait pas été sanctionné aussi durement qu'il aurait dû, si ce qu'il avait raconté était exact.

Marie-José Chombart de Lauwe, maître de recherches au CNRS, écrit: « L'absence de dénazification en Allemagne fédérale est une donnée certaine. À de multiples reprises, la présence d'anciens nazis dans des postes importants a été dénoncée. Pour résumer, rappelons que 150 000 criminels de guerre ont été dénombrés lors du procès de Nuremberg, 30 000 d'entre eux seulement ont été jugés et la plupart acquittés ou libérés depuis49. »

En février 1980, avait lieu à Cologne le procès de Kurt Lischka, ancien chef des services de police allemande en France, Herbert Hagen et Ernst Henrichsohn. Ce dernier était le bourgmestre de la ville de Burgstad, en Bavière.

La même année 1980, avait lieu le procès, à Kiel, de l'ancien chef de la police SS en Belgique, Ehlers.

Et combien d'autres étaient passés à travers les dents du peigne fin de J.-P. Allard!

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