© Michel Fingerhut 1995-8 ^  

 

Pierre Bridonneau:
Oui, il faut parler des négationnistes (Les prétendues invraisemblances...)
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Nous remercions Pierre Bridonneau et les Éditions du Cerf de nous avoir autorisés à reproduire ces textes.
W. STÄGLICH, Le Mythe d'Auschwitz, la Vieille Taupe, 1986, p. 235. Livre des records, 1983, p. 237. Le Mensonge d'Ulysse, La Vieille Taupe, 1979, p. 61. Mémoires, Pauvert-Ramsay, 1980, t. III.

Les prétendues invraisemblances et étrangetés relevées par Henri Roques

Henri Roques, qui veut mettre en doute le témoignage de Gerstein, introduit dans sa thèse une sorte de relevé des invraisemblances et étrangetés qui, selon lui, émaillent ce témoignage. Suivant la méthode révisionniste, en sollicitant le texte, en utilisant un vocabulaire propre à donner une coloration favorable à ses idées, en faisant une montagne d'une taupinière, il espère faire naître le doute dans l'esprit de ses lecteurs:

Gerstein, qui a été deux fois victime des Nazis avant la guerre, entre volontairement à la SS et cela, avec la recommandation de la Gestapo. (Thèse, p. 235.)

Une victime des nazis recommandée par la Gestapo! Cela paraît évidemment étrange. Selon la biographie fournie par Henri Roques, Gerstein entre au parti nazi (NSDAP) le 2 mai 1933 -- il se situe donc dans les premiers adhérents -- et il s'engage dans la SA (Sturmabteilungen, section d'assaut) en octobre 1933.

Il est arrêté le 24 septembre 1936 et incarcéré à Sarrebruck. La police a trouvé chez lui des brochures séditieuses à caractère religieux. Il est libéré dans la seconde quinzaine d'octobre 1936. Donc, un mois d'incarcération au plus. Pour une victime des nazis selon la terminologie de Henri Roques, c'est bien léger.

La deuxième fois qu'il est arrêté, il est interné au camp de Wilzheim. (Durée d'internement: du 14 juillet au 28 août, soit six semaines.) La faute devait être considérée comme vénielle.

Il ne faut pas oublier que Gerstein est SA. Lorsqu'un militaire est sanctionné pour deux infractions légères, comme le fait d'introduire dans la caserne des journaux ou des périodiques interdits (le mot « séditieux » employé par Roques est un terme fort) dira-t-on qu'il est victime de l'armée? Gerstein n'est pas un opposant. C'est un nazi, engagé volontaire dans les SA. Le qualifier de victime des nazis relève de la malhonnêteté intellectuelle.

En fait, Gerstein était un idéaliste appartenant à un mouvement de jeunesse évangélique. Ajoutons que certains groupes de SA étaient surnommés les Rouges, parce qu'ils étaient composés en grande partie d'anciens communistes. La Gestapo, en appuyant sa demande d'entrée à la SS, n'ignorait pas que les idéalistes retournés font d'excellentes recrues. Rien de plus efficace qu'un ancien séminariste retourné comme le petit père Combes pour mener en France au début du siècle une action anticléricale.

À la Noël 1941, Gerstein est sur le point d'être chassé de la SS car le tribunal nazi a appris qu'il y était intégré comme sous-lieutenant spécialiste (Untersturmführer F). Mais six mois plus tard, le 8 juin 1942, on le charge d'une mission ultra-secrète [...]. (Ibid.)

Dans la version T II que Roques choisit comme texte de référence, Gerstein dit: « On faisait de grands efforts de me chasser et de me poursuivre. Mais pour mes succès, on me déclara sincère et indispensable. » (Ibid.)

Et Roques interprète hardiment: « Gerstein est sur le point d'être chassé de la SS. » (Nous soulignons.)

Aussi curieux que cela puisse paraître, la clé de l'énigme nous est fournie pendant la soutenance par Pierre Zind, membre du jury de la thèse. Voici ce qu'il déclare:

C'est un bricoleur [...] Il faut savoir que justement les nazis, ils aimaient beaucoup les bricoleurs. [...] Gerstein dépend pour la désinfection du docteur Conti [...] et, en tant que SS, du docteur Grawitz. [...] Alors, avec ce système, il pouvait jouer l'un contre l'autre, et, en fait, ça lui donnait une grande autonomie, parce que Conti ne savait pas s'il avait reçu des ordres de Grawitz et Grawitz ne savait pas s'il avait reçu des ordres de Conti, et les deux ne pouvaient se voir. (Cassettes.)

Il est donc probable que le tribunal nazi a voulu poursuivre Gerstein et que le ministère de la Santé, le jugeant indispensable, l'a protégé. Mais pourquoi Pierre Zind n'a-t-il pas critiqué cette prétendue invraisemblance? Dieu sait pourtant si les jurys de thèse ne se privent pas du plaisir de retourner le candidat sur le gril.

6 700 personnes dans 45 wagons, soit plus de 148 personnes par wagon. Il y en avait 1 450 déjà mortes à l'arrivée; il restait donc 5 250 personnes vivantes. (Thèse, p. 237.)

L'arithmétique est un des points forts des révisionnistes! En effet, 6 700 divisé par 45 donne un peu plus de 148 personnes par wagon, et 1 450 morts sur 6 700 donne un pourcentage de moins de 22 pour cent de mortalité. Par parenthèse, le transport d'esclaves noirs, « le bois d'ébène », entraînait souvent une mortalité plus forte. Il restait donc 5 250 personnes vivantes.

Ce que Roques ignore -- ou feint d'ignorer -- c'est que des cadavres, ça s'empile. Et là, deux possibilités existent: soit laisser, en fin de convoi, un ou plusieurs wagons pour y empiler les morts, soit les empiler dans le wagon même où ils sont morts, ce qui donne un peu de place aux vivants.

Ces deux possibilités correspondent à des faits que j'ai moi-même vécus. Dans le premier cas, si l'on empile les morts dans trois wagons en queue de train, il reste à loger les vivants dans 42 wagons (45 - 3 = 42), soit 125 personnes par wagon. Cette norme a été souvent dépassée et ne présente aucun caractère d'invraisemblance. On possède un rapport de police faisant état de 180 à 200 personnes.

Quant à l'hypothèse de 1 450 morts dans 3 wagons, dont la capacité est d'environ 43 mètres cubes, cela donne environ 12 cadavres au mètre cube. L'expérimentation était possible et Henri Roques aurait dû la tenter pour donner à sa thèse une petite coloration scientifique.

700-800 personnes debout sur 25 m2, dans 45 mètres cubes (c'est une constante de toutes les versions). Imagine-t-on une pièce de cette superficie et de ce volume qui contiendrait 750 personnes environ debout les unes contre les autres? Trente personnes debout sur 1 m2? (Ibid.)

Une fois de plus, nous retrouvons des données numériques correspondant à des évaluations -- et non à des mesures -- et nous faisons la même mise en garde: il faut tenir compte d'une marge d'erreur.

Dans un transport de janvier 1944 du camp de Royallieu, à Compiègne, vers Buchenwald --je ne me rappelle plus la date exacte et je me garderai bien d'en inscrire une approximative, de peur que le révisionniste de service ne me démontre que je n'ai jamais été déporté --, nous étions cent par wagon. Près de Vitry-le-François, une courbe assez prononcée obligeait les convois à ralentir. Nous le savions et, comme à l'habitude, des évasions se produisirent. Le convoi s'arrêta. Un SS monta dans le wagon et réussit, sous la menace de sa cravache, à nous faire tenir dans la moitié du wagon afin de nous compter en nous faisant défiler devant lui. Nous étions alors cent dans la moitié du wagon, soit deux cents pour la superficie totale. Mais comme je n'ai pas eu le loisir de mesurer la superficie exacte où le SS nous avait poussés, disons que cela représentait approximativement cent quatre-vingts à deux cents personnes pour la superficie totale. La dimension d'un wagon à bestiaux international (musée de la SNCF) est de 20,02 mètres carrés (7,70 sur 2,60). Donc environ neuf à dix personnes au mètre carré (et ce n'était pas dans l'intention de nous tuer. Nous étions serrés, mais non pressés).

Stäglich, critiquant un témoignage, Buch des Alfred Kantor (Le livre d'Alfred Kantor), composé d'aquarelles exécutées après guerre sur des esquisses tracées en captivité, accompagnées de notices explicatives, écrit: « Kantor ne doit pas être fort en calcul, car il aurait fallu compter, dans ce cas, 8 personnes par m2, ce qui est irréalisable50. »

C'est le type même d'affirmation gratuite, dénuée de tout fondement scientifique, en contradiction avec des témoignages et non soumise à expérimentation: une des spécialités de l'école révisionniste.

Dans toutes les versions, sauf la T IV qui n'en parle pas, on retrouve les points suivants à propos de gens empilés dans les chambres à gaz: Ils sont nus. Les SS poussent à coups de cravache. Les gens sont si serrés qu'ils se marchent sur les pieds (« qu'ils piétinent sur les pieds » ou « debout aux pieds des autres »). Il y a beaucoup d'enfants (plus de la moitié dans deux versions).

On retrouve la critique à deux temps du témoignage révisionniste. Premier temps: Henri Roques retient les chiffres précis cités (700 à 800 personnes, soit 750 en moyenne, sur une surface de 25 mètres carrés. Donc, 750 divisé par 25 donne 30 personnes au mètre carré). Deuxième temps de l'hypercritique: 30 personnes au mètre carré, ça n'existe pas.

Or, avec une simple marge d'erreur de 10 pour cent pour les deux séries de données (par exemple 675 personnes sur une surface de 27,5 mètres carrés) on aboutit déjà à moins de 25 personnes au mètre carré. Et, ce qu'il est important de souligner, plus de la moitié sont des enfants.

Au Mouvaux en Thiérache, dans l'Aisne, 41 enfants sont montés dans une 2 CV fourgonnette, avec un chauffeur. Le poids total des passagers était de 1 277 kilos. La 2 CV a réussi à rouler51.

Cela paraît invraisemblable, et c'est un jeu.

Henri Roques omet une autre donnée, ce qui est normal pour un révisionniste puisqu'elle irait à l'encontre de ce qu'il veut prouver. Cette donnée est suggérée, a contrario, par son interrogation: « Trente personnes debout sur 1 m2? » Mais qui a dit qu'elles étaient toutes debout? Dans les deux versions T I et T II, Gerstein écrit: « Les hommes nus sont debout aux pieds des autres. » (Son français maladroit, incorrect, mais suffisamment compréhensible, écrit Henri Roques!)

La version T III est une traduction de l'allemand, la T IV n'en parle pas, la T V est une copie d'interrogatoire et la T VI est aussi une traduction de l'allemand. Ces versions se contentent de dire qu'ils se marchent sur les pieds ou se piétinent. Mais le mot « debout » n'y figure pas.

Que se passe-t-il quand une foule est bousculée, pressée, prise de panique? (Rappelons-nous les images hallucinantes du stade du Heysel.) Une partie des gens tombent et sont piétinés.

Citons une fois de plus Paul Rassinier que Henri Roques, malgré l'admiration qu'il lui voue, n'a décidément pas assez lu. Il décrit un passage à l'Entlaüsung (épouillage, désinfection) du camp de Dora: « Nous nous serrons les uns contre les autres. Toutes les dix minutes, quarante sont admis à entrer dans une bousculade effroyable qui est une véritable lutte contre la mort. On joue des coudes, on se bat, les plus faibles sont impitoyablement piétinés et on retrouvera leurs cadavres à l'aube52. »

Et il n'y avait pas d'enfants! S'il y en avait eu, on peut affirmer, sans risque d'être démenti, qu'une bonne partie d'entre eux se seraient retrouvés à terre, écrasés par les adultes qui auraient réussi à demeurer debout. Et ce tapis d'enfants morts dans les chambres à gaz enlève toute crédibilité aux calculs de surface et de volume de ce ratiocineur.

Quant à imaginer la pression exercée par quelques SS armés de fouets, de cravaches ou de fusils, il est dommage que l'expérimentation ne puisse pas se faire. Henri Roques, à l'intérieur de la chambre, aurait pu observer, comme témoin privilégié, que la pression des SS n'avait rien à envier à un rush de hooligans sur un stade bruxellois.

Un petit garçon de 3-4 ans, apparemment seul, puisque Gerstein ne parle que de lui, distribue des ficelles successivement à 5 250 déportés pour attacher les chaussures. (Thèse, po 237.)

Henri Roques prétend que le petit garçon est apparemment seul puisque Gerstein ne parle que de lui, mais jamais Gerstein n'a écrit qu'il distribue des ficelles à 5 250 déportés. Sur le plan grammatical, « un » est un article indéfini qui désigne aussi un parmi d'autres. Gerstein se trouve à l'arrivée d'un train de 45 wagons. Un wagon fait 7,70 mètres de long. En tenant compte des attelages, cela représente une longueur de train d'au moins 400 mètres. De ces wagons descendent plus de 5 000 personnes. Alors, une simple question: si un observateur à l'arrivée d'un train d'une telle importance écrit: un porteur de trente - trente-cinq ans a, par exemple, une barbe grise, cela signifie-t-il qu'il n'y a qu'un seul porteur sur le quai et que ce seul porteur est barbu?

Tas de chaussures de 35 à 40 mètres de hauteur [dans la plupart des "confessions"] ou de 25 mètres (T III); dans le premier cas, il s'agirait d'une hauteur de dix à douze étages, et dans le second cas, de sept à huit étages. Comment accéder à de telles hauteurs pour y placer des chaussures? (Ibid.)

Le tas de chaussures est « ce détail cocasse » qui amuse fort le président de thèse pendant la soutenance. Deux versions sur six donnent cette hauteur de trente-cinq à quarante mètres. C'est ce que Roques appelle « la plupart des "confessions" »!

Gerstein n'a aucune possibilité de mesurer les tas. C'est une évaluation « à vue de nez ». Combien de fois n'ai-je pas entendu des amis ou des parents, amateurs de yachting, raconter qu'ils avaient été pris dans des tempêtes avec des creux de huit ou dix mètres. J'ai souvent pensé que les creux avaient peut-être quatre ou cinq mètres, sans pour cela mettre en doute l'existence des coups de tabac qu'ils avaient essuyés.

D'ailleurs, cette façon de traduire des mètres en étages pour tenter de faire plus spectaculaire est une démarche antiscientifique. L'étage n'est pas une mesure précise, une pièce pouvant avoir une hauteur de plafond variant du simple au double, et même plus si l'on inclut les demeures de luxe.

Après tout, les tas avaient peut-être une dizaine de mètres de haut.

Roques écrit: « Comment accéder à de telles hauteurs pour y placer des chaussures? »

Aucun des textes ne parle d'accéder. Aucun des textes ne précise que les gens étaient obligés de grimper sur le tas pour y déposer la paire de chaussures. Des chaussures peuvent très bien se lancer.

Et en admettant même que les gens aient été contraints de grimper (ce que Gerstein ne dit pas), Roques a-t-il fait effectuer des expériences en s'adressant à une fabrique de chaussures, par exemple, ou aux chiffonniers d'Emmaüs? Il y avait une possibilité d'expérimentation, un début d'approche scientifique. Il ne suffit pas de déclarer: c'est invraisemblable. A priori, rien n'indique que ce soit impossible. Souvenez-vous des difficultés que l'on avait, enfants, au bord de la mer, à grimper le long de certaines dunes, dont les flancs s'éboulaient au fur et à mesure de l'ascension. Mais on finissait par y parvenir, sans l'aboiement des SS.

Arithmétique invraisemblable [dans deux « confessions » du 6 mai: T V et T VI]. Plus de la moitié sont des enfants. Poids: 35 kg (T V) ou 30 kg (T VI). Donc, ajoute Gerstein, 25 250 kg par chambre. D'où ce total précis, qui n'est divisible ni par 35 ni par 30, provient-il? (P. 238.)

La clé de cette énigme sur laquelle Roques a braqué sa grosse loupe nous est donnée par Gerstein lui-même quand il écrit: « Je fais une estimation: poids moyen, tout au plus 35 kg [...]. On peut faire entrer 750 personnes. »

Or 750 x 35 = 26 250 kg.

Autrement dit, il s'agit d'une simple erreur portant sur le 6 transformé en 5. À quel niveau cette erreur s'est-elle produite? En tout cas, il est plus spectaculaire de transformer une simple erreur de frappe sur un chiffre en une « arithmétique invraisemblable ».

Gerstein dit assister au gazage. Il consulte froidement son chronomètre. Le moteur Diesel ne démarre pas. Impassible et inactif, Gerstein compte les minutes qui passent: 50 minutes, puis 70 minutes. Enfin, au bout de 2 h 49, le Diesel se met à fonctionner. Il dit constater qu'au bout de 25 minutes la plupart des victimes sont mortes, qu'au bout de 28 minutes quelques-unes survivent et qu'au bout de 32 minutes tout le monde est mort.

Si l'ingénieur Gerstein est d'un tel sang-froid, les erreurs de calcul signalées au point n° 8 ne peuvent pas s'expliquer par le fait qu'il aurait été bouleversé [...]. (Ibid.)

Gerstein consulte « froidement » son chronomètre. Il est « impassible ». Il est « d'un tel sang-froid ». Ce sont des jugements de valeur prononcés par Henri Roques (qui n'a même pas la qualité de témoin oculaire), sans aucun fondement scientifique. Je peux témoigner que lors de l'arrestation par la Gestapo du groupe du Corps franc Pommiès auquel j'appartenais, j'ai passé une partie de l'après-midi à mâcher, à mâchouiller devrais-je dire, des morceaux de pain. Un observateur aurait pu en conclure que j'étais impassible et d'un sang-froid admirable pour assouvir ainsi ma faim. En réalité, j'étais mort de trouille.

Roques cite (thèse, p. 254-255) l'écrivain Raymond Abellio qui remarquait : « C'est un personnage bien énigmatique que ce Kurt Gerstein qui se dit horrifié par ce qu'il voit à Belzec et qui, au même moment, sort son chronomètre pour minuter, sans qu'il nous explique pourquoi, la durée de l'agonie des victimes53. »

Gerstein n'avait rien à expliquer. Abellio ne se révèle pas un fin psychologue. Mais peut-être ne s'est-il jamais trouvé dans une situation similaire où le choc est tel que l'on éprouve le besoin de se livrer à une activité physique quelconque, de type répétitif, et le chronométrage, à ce point de vue, était parfaitement adapté. Si aucune activité n'est possible, alors on mâchouille, on rumine, en guise de dérivatif.

Dans toutes les « confessions », il est écrit que le gazage est effectué au moyen d'un moteur Diesel. [...] Or le Diesel est un moteur à combustion interne qui dégage peu d'oxyde de carbone (CO), gaz mortel inodore, mais beaucoup de gaz carbonique (CO2), gaz asphyxiant qui rend d'abord malade et ne provoque la mort qu'après un long délai. Il aurait été plus efficace d'utiliser un moteur à explosion. (Thèse, p. 238.)

Gerstein est ingénieur, et Dieu sait si Roques ne manque pas de le rappeler quand il pense en tirer avantage. Donc Gerstein sait fort bien que l'oxyde de carbone est plus efficace. Pourquoi mentionnerait-il un Diesel si c'était une fable? Tous les témoignages que l'on possède sur les opérations de gazage, dans le cadre de l'opération Reinhard (en souvenir de Reinhard Heydrick, le bourreau de la Tchécoslovaquie, victime d'un attentat en 1942) font état de l'utilisation de moteurs de camions ou de chars de combat. Ce recours à un argument d'efficacité est ridicule et on ne peut que s'étonner que pas un membre du jury de la thèse ne l'ait fait remarquer. Il pourrait être employé chaque fois qu'un meurtrier s'est servi d'un couteau plutôt que d'une mitraillette. Imagine-t-on un juge dire à un assassin: au lieu d'assommer votre victime avec une pelle à charbon, il aurait été plus efficace de lui coller une balle dans la tête. Et, partant de cette « invraisemblance », émettre un doute sur la réalité du crime!

[Gerstein] a fait enterrer l'acide cyanhydrique, sous prétexte que celui-ci s'était détérioré pendant le transport et qu'il était devenu dangereux. Il serait possible d'admettre cette affirmation de Gerstein, mais à condition que les précisions nous soient données sur l'opération. [...] Ce ne devait pas être un mince travail. (P. 240.)

Où est l'invraisemblance? Revenons à la critique précédente. Est-ce que les enquêteurs belges vont arrêter les fouilles dans les propriétés du violeur assassin Dutroux, sous prétexte que ça ne doit pas être un mince travail d'enterrer des cadavres dans son jardin?

Wirth propose à Gerstein de ne rien changer à la méthode de gazage. Ainsi, un simple capitaine de police s'oppose aux ordres d'un général SS puisque Globocnik a chargé Gerstein de changer la méthode. (Ibid.)

Une fois encore Henri Roques sollicite le texte en faisant un curieux rapprochement, à l'indicatif, entre « propose » et « s'oppose ». Proposer, c'est offrir au choix, alors que s'opposer, c'est faire obstacle à quelque chose. Bel exemple de trahison sémantique!

Dans T I, Gerstein dit qu'après sa rencontre dans le train avec le diplomate suédois Von Otter, il est allé le voir à Berlin à la légation de Suède une fois encore. Dans toutes les autres « confessions », Gerstein dit qu'il a revu Von Otter deux fois (le diplomate ne se souvient que d'une fois). (Ibid.)

Admettons qu'il n'y ait pas une erreur due à l'utilisation d'une langue étrangère, ou une rectification apportée aux autres versions, mais qu'il y ait bien une contradiction, à partir de laquelle Roques cherche à faire naître un doute sur la réalité de cette rencontre. L'idéal aurait été que le principal témoin, Von Otter, infirmât ou confirmât la rencontre. Ce fut le cas, lors d'une émission sur Europe 1, le 23 mai 1986, consacrée à l'affaire Roques. Elkabach qui avait retrouvé Von Otter le fit surgir devant Roques comme un magicien sort un lapin de son chapeau. Le diplomate suédois confirma qu'il avait bien rencontré Gerstein en 1942:

« VON. OTTER: Alors Gerstein a immédiatement commencé à sangloter, disant: "J'ai vu quelque chose de terrible hier. J'ai vu cent ou mille, je ne sais pas, personnes tuées." Ma réplique était: "Est-ce qu'il s'agit des juifs? -- Oui, c'est ça." Il m'a raconté aussi la méthode qu'on avait d'introduire des gaz d'un tracteur d'agriculture.

« ELKABACH: Tout ça, Gerstein vous a dit qu'il l'avait vu en 1942?

« VON OTTER: Oui, oui. Il m'a raconté que c'était une politique qui s'était décidée à la conférence de Wannsee. Le but était la solution finale de la question des juifs.

« ELKABACH: Quelle mission avait-il?

« VON OTTER: D'étudier des méthodes dans le cadre de cette solution finale.

« ELKABACH: C'était donc qu'on lui avait demandé de s'occuper des gaz pour éliminer le plus possible de juifs, selon cette politique?

« VON OTTER: Possiblement. Il m'a montré quelques documents... Je me souviens bien que j'étais assez bouleversé quand j'ai retourné à Berlin.

« ELKABACH: À qui l'avez-vous dit?

« VON OTTER: Tout d'abord à mon ambassade; j'ai aussi fait un rapport oral à Stockholm quelques semaines après. »

Quelle fut la réaction de Roques? S'il avait été beau joueur, et donc non révisionniste, il aurait pu dire que cela confortait le témoignage de Gerstein. Non. Il eut simplement cette réponse presque courtelinesque: « Je suis sidéré que le baron Von Otter n'ait jamais rédigé un seul rapport sur sa rencontre avec Gerstein. »

Puisque Von Otter, en personne, témoignait de la rencontre, qu'est-ce qu'un rapport aurait bien ajouté? On peut poser comme hypothèse que, compte tenu de la position délicate de la Suède neutre, coincée entre les belligérants, l'ambassade ait préféré que Von Otter parle directement au ministre de sa rencontre. Un rapport, ça se photographie, ça se vole et ça peut apporter bien des complications. Verba volant, scripta manent.

D'ailleurs les Alliés, qui étaient au courant de l'extermination des Juifs -- le camp d'Auschwitz, en particulier, avait été photographié par l'aviation anglaise -- refusèrent de bombarder les voies ferroviaires d'accès à Auschwitz. Le but de la guerre n'était pas de ralentir ou d'interrompre le génocide.

Günther envisageait de tuer avec de l'acide cyanhydrique, en plein air, dans les fossés de Maria-Theresienstadt, les Juifs qui s'y promenaient. Gerstein a dissuadé Günther de donner suite à ce projet d'ailleurs irréalisable. Cependant, Gerstein a appris que l'opération avait malgré tout eu lieu. (Thèse, p. 241.)

Roques affirme que l'acide cyanhydrique, très volatil, ne pouvait être employé ainsi en plein air. L'expérience a-t-elle été tentée, et dans des fossés de même profondeur? Gerstein, qui est ingénieur, ne prétend pas que c'est impossible. Il écrit: « Pour rendre vain ce plan terrible, je déclarai que c'était impossible. »

Et enfin il ajoute: « Günther a tué quand même. »

C'est tout. Est-ce par le même procédé?

Conformément à la méthode révisionniste, Roques joue sur tous les registres, sollicitant les textes et affirmant sur un ton péremptoire. Il grossit ainsi artificiellement sa thèse -- qui doit avoir un certain volume --, mais le chapitre des invraisemblances et des étrangetés relève du « c'est-pas-Dieu-possible » ou du « qui-pourrait-imaginer ».

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