« Après tout, qui parle encore aujourd'hui de l'annihilation des Arméniens ? »
Cette question, c'est Hitler qui la pose le 22 août 1939, quelques jours avant de déclencher la guerre contre la Pologne.
Elle n'est pas seulement marquée du cynisme le plus brutal. Elle est profondément angoissante. Le massacre de centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants pourrait être oublié, et ces innocents-là pourraient mourrir une seconde fois tout aussi injustement que la première. D'autres massacres recevraient ainsi la promesse de l'impunité, la garantie qu'ils seront enfouis à jamais. Les assassins remporteraient la guerre de la mémoire.
Mais l'histoire ne se confond pas avec la mémoire. La mémoire nourrit l'histoire et parfois la déforme. Les historiens, eux, tâchent d'établir les faits, de faire comprendre les motivations, de proposer des interprétations. Ils encadrent la mémoire et lui donnent un sens. Naturellement ils fuient l'émotion dans la mesure du possible et préfèrent adopter le ton froid, détaché, aseptisé des experts. Leurs sentiments, ils les dissimulent comme si la pudeur ou la prudence leur imposaient cette ascèse.
La Shoah n'est pas un évènement, voire une série d'évènements comme les autres. Elle tient une place centrale dans notre siècle.
André Kaspi