© Michel Fingerhut 1996-8 ^  

 

Hélène Desbrousses:
Mein Kampf: la matrice de la barbarie
in Mauvais temps, n° 6-7, mars 2000 © Les Éditions Syllepse 2000
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Les citations, sauf indication contraire, sont extraites de Mein Kampf « Le désir est père de la pensée », proverbe allemand, cité par Hitler dans Mein Kampf, Paris, Nouvelles éditions latines, s.d. Voir Le Monde, 5 décembre 1989. Le terme de Verganheitsbewäiltigung signifie « assumer le passé » mais aussi « en venir à bout », ainsi que le signale Lukàcs Sosoë dans « L'État‑nation: querelle des historiens en Allemagne et philosophie politique », Cahiers de philosophie politique et juridique, n° 14, Caen, 1988. Voir à ce propos Faye Uean‑Pierre), Langages totalitaires, Paris, Hermann, 1972. « Or l'Allemagne n'a pas gravi en même temps que les peuples modernes les échelons intermédiaires de l'émancipation politique [...]. Aussi, l'Allemagne se trouvera‑t‑elle, un beau matin, au niveau de la décadence européenne avant d'avoir jamais été au niveau de l'émancipation européenne [...]. Ce ne sont pas seulement les rois allemands qui accèdent au trône mal à propos, ce sont toutes les sphères de la société civile bourgeoise qui connaissent la défaite avant d'avoir fêté leur victoire, qui élèvent leurs propres barrières avant d'avoir dépassé la barrière qui les arrête [...], si bien que chaque classe, dès qu'elle engage la lutte avec la classe audessus d'elle, est déjà empêtrée dans la lutte qui l'oppose à la classe au‑dessous. », Marx (Karl), Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, traduction Albert Baraquin, Paris, Éditions Sociales, 1975. Voir à ce propos, Paris (R.), qui examine les différentes théories qui rendent compte du fascisme, dans Les Origines du fascisme, Paris, Flammarion, 1968. Selon la formulation de F. Tönnies. Hitler reconnaît une forme d'égalité, la «plus noble », celle de la valeur « idéale du travail qu'il ne faut pas confondre avec sa valeur matérielle » (salaire), qui est mesurée par l'importance du travail, et est en conséquence différente selon les activités. Imaginant de se débarrasser des « douze à quinze mille hébreux, corrupteurs du peuple ». C'étaient alors les dirigeants ouvriers sociaux‑démocrates et marxistes, Hitler envisage dès 1926 de les tenir « sous les gaz empoisonnés », Mein Kampf, p. 677‑678. Un certain nombre d'adversaires du national‑socialisme ont, semble‑t‑il, adopté les mêmes principes de propagande pour le combattre sur son propre terrain. Voir Tchakhotine (S.), « Le symbolisme et la propagande politique », Hermès, n° 2, 1988.
« Der Wunsch ist Vater des Gedankens.  »1

Précédant ou préparant les voies  idéologiques et politiques du libre développement du « sentiment national allemand »2, le débat entre historiens en Allemagne (1989) a eu le mérite de mettre en lumière les thèses des partisans du Verganheisbewältingung3 qui constituent un courant important dans la pensée allemande contemporaine. Les partisans de ce courant proposent de réexaminer l'histoire du 3e Reich, telle que les « vainqueurs », marxistes ou libéraux, ont prétendu l'écrire et l'imposer. Contre ces idéologies d'importation, ils veulent replacer le nazisme dans son « contexte » et reconsidérer ses actes les plus irrationnels sous l'angle d'une « réaction d'angoisse » contre les effets de  la révolution industrielle et les atrocités de la révolution soviétique. Au  moyen de cette révision, pourrait enfin être opéré un « retour radical à la tradition de la pensée allemande », à  l'« idéalisme allemand »,  condition pour la « reconstruction de la conscience politique nationale allemande »*.

Si l'on souhaite replacer la « conscience politique nationale allemande » dans son contexte, dans sa relation avec l'« idéalisme » et « la tradition de la pensée allemande », ce bref rappel du débat contemporain ne s'avère pas superflu, pas plus que le rappel du contenu de Mein Kampf, achevé en 1926, et qui exposait, sept ans avant l'avènement du régime fasciste les objectifs et moyens de la restauration du Reich allemand.

Les mots de fascisme, de nazisme, comme la personne d'Hitler, ont exercé lors de la période de l'entre‑deux‑guerres, puis du second conflit mondial, une séduction certaine, qui ne s'est nullement limitée aux « masses » ignorantes, mais a, en raison des contenus qu'ils recouvraient (notamment anticommunisme et antisoviétisme), ravi l'âme de bon nombre d'élites de nationalités et d'appartenances politiques diverses. Le développement historique concret a rendu possible, notamment au sein des classes populaires, la prise de conscience de la nature réelle du fascisme, interdisant que celui‑ci puisse aujourd'hui, au moins dans un premier temps, se présenter sous les dénominations anciennes. Changer de nom ne s'oppose toutefois pas à un nouveau surgissement sur le devant de la scène de la chose elle‑même. Sans doute la réaction fasciste resurgira‑t‑elle, ou a‑t‑elle déjà resurgi, sans doute arborera‑t‑elle, ou arbore‑t‑elle, la figure avenante de la liberté, voire de la démocratie et de la paix. Adolf Hitler, en son temps, ne défendait‑il pas « la liberté du peuple allemand », fondée sur le libre jeu des forces, ne se présentait‑il pas en champion d'une certaine conception des « droits de l'homme », de la « démocratie allemande » et de la paix.

Dans la lutte qui semble, hors du temps historique mettre aux prises la « tradition idéaliste du peuple allemand », telle que l'invoquent les partisans du Verganheitsbewältigung, aux « éléments étrangers » qui le rongent, les désignations du « mauvais génie » extérieur à la communauté se sont parfois infléchies ainsi que l'idéal politique au nom duquel on se doit de les annihiler, mais plusieurs idées‑forces d'une telle « conscience nationale allemande », longtemps entravées, se laissent ici ou là à nouveau pressentir.

Dès lors, plutôt que de se centrer sur la personne d'Hitler, d'en faire le deus ex machina, le « surhomme », capable d'avoir par sa force morale, son magnétisme ou sa monomanie, mené le Reich allemand à se déconsidérer devant l'opinion mondiale, il s'agira de diriger l'analyse sur les idées‑forces qu'il a contribué à populariser: l'affirmation de l'identité ethnique‑culturelle de la communauté allemande et de sa vocation à l'expansion et à la domination, au‑delà de ses frontières politiques; le combat contre l'élément étranger dissociateur sous la figure du « Juif », en tant qu'il est une forme de manifestation de tout ce qui désunit la « communauté »: marxisme, communisme, capital international (non allemand), égalitarisme, etc.; la lutte de la communauté allemande contre ce qui manifeste l'inacceptable division de l'unité: lutte de classes et ses implications révolutionnaires; le combat allemand contre les expressions politiques de telles divisions: social‑démocratie, marxisme, démocratie du nombre; l'ordre organique des différences et subordination des individus et peuples inférieurs, intégration communautaire corporative des travailleurs contre la séparation sociale des classes; l'intégration communautaire corporative des travailleurs contre la séparation sociale des classes; la nécessaire réalisation de la « disposition d'esprit idéaliste [...] du peuple allemand » contre ce qui l'entrave, nécessité de la destruction, l'annihilation de la conscience et de la raison.

Les idées‑forces présentées ici de façon analytique s'exposent dans Mein Kampf sous forme de récit, énoncé narratif4. La restitution proposée ne se fonde pas sur un tel ordre du récit, mais se veut tentative de reconstitution de la logique argumentative d'ensemble, reconstruite sur la base de l'analyse d'éléments partiels, momentanément isolés.

Dans la période historique actuelle, marquée par la multiplication des jeux de masque, la désorientation des idées, tenter de se placer sur le terrain de l'analyse rationnelle d'un système de pensée qui vante l'irrationnel peut sembler une gageure. L'objectivité, comme la raison, n'ont pas cours reconnu, au contraire d'une « information » construite sur la réitération de ce qu’il s'agit d'imprimer dans l'« opinion », qui procède par affirmation, amalgame, intimidation, appel aux sentiments, aux passions « qui empoignent », propagande qui ne dit pas son nom, méprisant l'argumentation rationnelle, « art de l'affiche » tel qu'Hitler sut le systématiser. Mépris affiché de la raison dont il s'agit aussi de déceler les « raisons ».

Une unité hallucinée: l'identité communautaire et sa vocation expansionniste

Selon Adolf Hitler, la nation allemande ne se présente pas en tant que nation politique, mais communauté (ethnique‑culturelle) du peuple, ethnos et non demos. Différents prédicats « national », « völkisch  » (populaire, dans l'acception ethno‑culturelle), « rassisch »,  exposent dans son vocabulaire l'identité allemande.

La valorisation de l'entité ethnique‑culturelle, de la race, peut sembler relever de l'analyse d'un mode de pensée irrationnel d'un individu, mode de pensée qu'il suffirait de condamner ou redresser par l'affirmation de la droite raison, agissant librement hors de toute contingence historique et sociale.

Ce mode de pensée ne peut toutefois être rapporté à un homme. Si l'on considère ce qu'autorise la valorisation de la race (ou de l'entité ethnique‑culturelle), il n'est pas certain que l'irruption de l'irrationnel ne puisse constituer un élément raisonné, sinon raisonnable, au sein de l'économie générale de la théorie et de la pratique pan‑nationale allemande.

L'unité allemande ne s'est pas constituée comme dans d'autres pays sur la base d'une cristallisation historique et politique cohérente. Les éléments d'une unité relative ne peuvent être retrouvés ni dans les facteurs géographiques, ni dans une alliance politique révolutionnaire de la bourgeoisie et du peuple contre les rapports féodaux, ni dans l'affirmation souveraine d'un État de monarchie absolue, ni même dans l'unification en effigie que réalise une monarchie féodale. Si des facteurs économiques, notamment formation d'un marché intérieur, ont pu tardivement sembler constituer les fondements d'une unité nationale moderne, celle‑ci n'a pu s'exposer politiquement, J'expression de la lutte déjà active entre classes sociales modernes en interdisant l'actualisation5.

L'impossibilité historique pour l'Allemagne de fonder son unité sur une base politique moderne, rend compte, en contrepoint, de la recherche lancinante par nombre d'idéologues d'une base commune indissociable, unité hallucinée, qui ne pouvant être trouvée dans l'ordre socio‑politique moderne, se manifeste en quête mythique des origines communes, des racines, du sang commun, de la « culture » seule capable de surmonter les divisions sociales.

Dans la mesure où les facteurs sociaux de désagrégation de la communauté ne sont pas réellement abolis, cette unité hallucinée de la race allemande ne peut trouver à se réaliser que dans une projection des contradictions à l'extérieur, une politique pan‑allemande d'expansion, contre la nation politique allemande. L'affirmation raciale (ethnique‑culturelle) se résout ainsi en politique d'Empire, réminiscence d'un moment d'identité allemande qui ne peut trouver un principe de légitimité que dans l'affirmation inconditionnelle d'un « vouloir‑vivre » du peuple allemand, hors de toute contingence historique et politique.

Pour Hitler, comme pour d'autres théoriciens qui l'ont précédé, la cohésion d'une nation ne semble pas relever de facteurs historico‑politiques qui instituent un peuple (demos) sans référence aux origines des associés. Selon lui, le peuple manque de cohésion s'il n'a pas de « sang commun »*, base de sa « cohésion intime », base « pour un corps de peuple homogène ». L'instinct de conservation de la race est pour lui « la première cause de formation des sociétés humaines ». Tout ce qui divise la race, l'hybridation, l'apport de sang étranger, affaiblit, divise la communauté nationale, et « aucune tolérance sur les questions de race » ne peut dès lors être admise.

Adolf Hitler condamne le marxisme parce que celui‑ci conteste « l'importance de l'entité ethnique » et met en avant « la prédominance du nombre et son poids mort » en tant qu'expression moderne du peuple politique, fruit des contradictions sociales modernes et de leur manifestation dans l'instance politique. La seule idée de peuple qu'il admette est celle de la communauté naturelle (génétique), homogène, identique à elle‑même, puisque son unité est donnée en germe dès l'origine.

L'identité du sang, portant l'identité de culture, lui semble devoir prévenir la ruine des nations et effacer les « différences secondaires » à l'intérieur de la communauté. Sur la base de l'entité ethnique, du sang, se constitue le caractère de la race, son « esprit », une « communauté spirituelle ». Un peuple est communauté d'esprit parce qu'il a une origine raciale commune. Les « caractères spécifiques de l'être du peuple » sont donnés « par la nature », « leur racine est dans le sang ». Le sentiment de « solidarité » se développe sur « la base de l'identité de caractère et de race  » et doit être défendu par tous les moyens.

Dans la mesure où le principe garant de l'unité se trouve être le sang commun, dans la mesure où les sangs propres à chaque race possèdent des valeurs différentielles, la culture d'un peuple, comme dans les conceptions de Herder ou de Fichte, ne peut être redevable d'éléments étrangers, même assimilés et réappropriés. Ce sont les seules « prédispositions intimes des peuples » qui déterminent la façon selon laquelle les influences extérieures agissent sur eux, influences qui en fin de compte affaiblissent la race.

La valorisation de l'identité originelle va de pair avec l'idée de différence (inégalités) entre peuples. Une telle valorisation ne joue pas seulement pour signifier l'unité mythique d'un peuple contre ses divisions, elle rend légitimes les visées impériales d'expansion territoriale et d'exploitation des autres peuples.

« Dans le Jardin de la nature », des « caractères organiques  » distinguent les espèces, les races, les unes des autres. Certaines races sont plus aptes que d'autres à engendrer la « civilisation ». Qui veut vivre doit combattre, exposant le droit à la victoire du meilleur et du plus fort. En la matière, il ne s'agit pas de pratiquer « la philanthropie à l'égard des autres races ». La conception raciste (völkisch) répond ainsi à la volonté la plus profonde de la nature qui établit « le libre jeu des forces », facteurs de progrès par la sélection.

« État ethnique » et création des conditions de la prépondérance allemande

La conception hitlérienne pose l'État en tant qu'État ethnique, « Etat germanique de Nation allemande ». Il n'est pas d'abord, selon cette conception, une organisation économique, la réunion de parties contractantes sur un territoire délimité, il est l'instrument au service d'une Idée, il est « l'organisme social » que constitue un peuple, organisme vivant destiné à conserver et multiplier la race, assurer son existence, développer ses facultés, c'est l'organisation d'une communauté d'êtres vivants semblables par leurs caractères raciaux.

N'étant pas réunion de parties contractantes sur un territoire déterminé, État politique moderne, mais « État ethnique » fondé sur les caractères raciaux, le sang commun, l'État germanique n'est pas limité par des frontières territoriales et politiques. Le thème de l'identité génétique de la communauté allemande sert ici à légitimer son droit à l'extension au‑delà des limites territoriales politiques, partout où se trouve du « sang allemand », partout aussi où il réclame un espace pour son existence.

L'État ainsi conçu est « condition préalable » mise à la formation d'une « civilisation humaine », mais n'en est pas la cause directe, celle‑ci résidant exclusivement dans l'existence d'une « race apte à la civilisation ». Si l'État n'est pas par lui‑même force créatrice et civilisatrice (cette force ne se trouvant que dans les forces primitives liées à la race), s'il ne peut faire naître un certain niveau de culture, mais seulement conserver la race, cause première de l'élévation de ce niveau, il n'en est pas moins la « condition » pour que la « cause » (les forces primitives liées à la race) se perpétue contre les forces qui s'opposent à son expansion vitale ou qui tendent à l'instituer en demos, en peuple historiquement et politiquement institué sur un territoire, en peuple moderne socialement divisé.

Le devoir premier pour le national‑socialisme, qui prétend assurer l'existence de la communauté germanique, est en conséquence de constituer les présupposés mêmes de cet État ethnique, créer « une base de granit », une « race homogène » sur laquelle il pourra s'élever. La race est «   contenue  » à préserver, voire à « créer », l'État est « contenant  » ou « forme » qui ne trouve sa raison d'être que s'il conserve et protège le contenu. L'utilité de l'État ne doit pas être rapportée à lui‑même, mais conçue d'après l'utilité pour le « peuple ». L'autorité de l'État, pas plus que lui‑même, ne constitue un but en soi, elle est l'expression de la « volonté unanime », de la communauté dans son combat pour l'existence.

L'Etat qui ruine l'homogénéité de la communauté ethnique est mauvais même s'il semble, aux yeux de certains représenter un haut degré de civilisation. Dès lors la question de l'État, des formes d'État, de toute forme légale, n'est pas à considérer en elle‑même, dans l'absolu, mais en relation avec les nécessités de la lutte du peuple pour l'existence.

Le Reich allemand, en tant qu'État, « condition préalable de la civilisation », a ainsi pour tâche essentielle de contribuer aussi à constituer ses propres conditions, de former ce qui est sa « cause directe », la « race apte à la civilisation », réunir et conserver les réserves précieuses que le peuple possède en éléments primitifs de la race, pour « les faire arriver », lentement et sûrement à une « situation prépondérante ».

« Le juif », figure de l'intrusion dissociatrice dans la communauté allemande

La dénonciation des juifs par le national‑socialisme allemand et la politique d'anéantissement racial ont été mises en évidence par tous les analystes du nazisme, parfois en tant qu'élément central, voire exclusif de caractérisation du régime. L'antisémitisme serait un des facteurs fondamentaux qui différencierait ainsi le fascisme allemand de son homologue italien6. Il faut à cet égard insister sur le fait que l'ardeur destructrice exprimée par Hitler à l'égard des juifs n'est pas séparable de la conception qu'il se fait de l'identité allemande, de la volonté de lutte qu'il affiche contre tout élément susceptible de la dissoudre ou d'entraver son libre déploiement. L'analyse de ce que représente le « Juif » dans la logique argumentative du discours hitlérien, et plus généralement dans toute conception « génocratique »7 allemande, ne peut dans cette optique être éludée.

L'identité immédiatement donnée, l'unité hallucinée de la race, contre l'unité construite et contradictoire du peuple politique, parait au sein des conceptions communautaires ethniques, devoir subjuguer les divisions de la société moderne. Au sein de ces visions, tout ce qui divise ou affaiblit la communauté ne semble pas pouvoir être imputé à la communauté elle‑même, les facteurs de dissociation de la société ne peuvent résulter que des facteurs extérieurs à la communauté. La figure du « Juif » amalgame, dans la visée propagandiste de Hitler, l'imputation à l'autre de tels facteurs.

Selon lui, la défaite militaire, la chute de l'Empire, à l'issue de la première guerre mondiale, n'ont pu trouver leur origine dans une contradiction interne essentielle, une carence substantielle de la communauté allemande, race « supérieure  » et éminemment « civilisatrice ». La défaite ne peut provenir que d'un élément tout à la fois intérieur et extérieur, introduit dans le corps sain: « toxine  », « ver » qui ronge, « maladie  », etc. Comme dans toute conception organique, le mal ne peut venir que du dehors du corps.

La figure du « Juif » dans Mein Kampf permet de concentrer sur une seule image, le principe de la lutte vitale entre peuples‑races et tout ce qui menace, dissocie la communauté allemande: liberté de l'échange et du capital étranger, principes égalitaires, et leurs effets, lutte de classes, révolution. Le « principe destructeur des Juifs » s'oppose au « principe constructif des peuples aryens ». Le « Juif » est « l'élément étranger introduit dans le corps du peuple »,  l'« hydre » ou la « sangsue » « qui se fixe sur lui ». C'est « la maladie du peuple allemand », « la peste morale qui l'infecte », « le poison », « les ferments de décomposition » qui l'investissent. Le « Juif » est le diable, le diabolos, celui qui se jette à travers, qui désunit, qui « détruit le peuple », détruit ce qui constitue les bases de son existence.

À travers la figure du « Juif », focalisation sur un mot de tous les éléments censés porter dissolution de la communauté, sont récusés tous ceux qui sont réputés avoir provoqué la défaite: la presse marxiste et démocrate (enjuivée) qui a répandu « le mensonge du militarisme allemand », les « embusqués  », les « pacifistes » coupables d'avoir encouragé les mauvaises alliances, ceux qui ont excité à la révolution, « planté le drapeau de la révolution sur le champ de bataille », « dérobant la victoire à nos drapeaux », abattant la monarchie, « la dictature des soviets » en Bavière qui ne fut rien d'autre que « la souveraineté passagère des Juifs  », etc.

Marxisme, social‑démocratie sont selon Hitler les expressions du juif, « mauvais génie de notre peuple », qui a incité à la révolution bourgeoise comme à la révolution socialiste, « travaillant à mener systématiquement une double révolution, économiquement et politiquement », afin de dominer le monde.

Conformément aux buts derniers de la lutte juive, « la doctrine juive du marxisme » utilise les maux sociaux pour conquérir économiquement le monde et le mettre politiquement à genoux, se distribuant en mouvement politique et mouvement syndical, qui tous deux visent la destruction de l'économie nationale.

Afin de détruire cette économie, le marxisme « du Juif Karl Marx », en même temps qu'il utilise les revendications ouvrières, travaille à la domination du capital international (non allemand). Le Juif est ici identifié au règne de l'argent, l'idole Mammon, à l'exploitation de la race humaine, il est la Bourse, la finance internationale, poursuivant toujours ce même but d'abaissement et de dépérissement de l'économie allemande.

Le « Juif », prend ainsi des formes successives: capital international, égalitarisme, et enfin bolchevisme, « tentative des juifs du 20e siècle pour la domination mondiale ». Dans le pays du bolchevisme, le juif « démocrate et ami du peuple », remplaçant les élites intellectuelles germanisées de la Russie, a donné naissance au « Juif sanguinaire et tyran des peuples » substituant à l'idée de démocratie celle de dictature du prolétariat. Là, il fait périr, torture férocement, condamne à mourir de faim près de trente millions d'hommes, afin « d'assurer à une bande d'écrivains juifs et de bandits de la Bourse la domination d'un peuple ».

Partisan de la dictature en Russie, la doctrine juive du marxisme l'est ailleurs de la démocratie. Ne rejette‑t‑elle pas le principe aristocratique de la nature, ne conteste‑t‑elle pas « l'importance de l'entité ethnique et de la race ». Le « Juif   » se bat donc aussi pour la victoire du parlementarisme, « instrument cher à sa race », « institution aussi sale et fourbe que lui‑même ». Mettant en avant « le principe juif de l'adoration aveugle du nombre », il prétend aller contre la nature, le principe de la nationalité et les barrières de races.

Omniprésent, protéiforme, le « Juif » est ce qui entrave le libre jeu des forces nationales‑impériales allemandes: égalitarisme, marxisme, mais aussi libéralisme manchestérien « d'inspiration juive », franc‑maçonnerie « tombée entre ses mains ». À l'intérieur il encourage les querelles entre la Prusse et la Bavière, attise les conflits religieux, fait de la bourgeoisie sa proie. C'est encore lui qui est à l'origine de la « francisation de la vie sociale  » qui est un « enjuivement ». À l'extérieur, il entrave la réalisation d'une alliance avec l'Angleterre, prétend mettre la question tyrolienne en obstacle à l'union de combat avec l'Italie, fortifie le chauvinisme en France, etc.

Substituer à la lutte révolutionnaire des classes la lutte des races pour l'hégémonie

Sous la figure du « Juif », qui selon les préceptes de la propagande hitlérienne, permet d'amalgamer « une pluralité d'ennemis », transparaissent les enjeux économiques, sociaux et politiques du nazisme: subjuguer la lutte de classes révolutionnaire au profit d'une politique d'expansion et de domination mondiale de la « race » allemande.

Adolf Hitler n'admet pas « la séparation entre classes », ou encore la séparation entre « employeur et employ é », non parce qu'elles signifient l'exploitation d'une classe par une autre, mais parce qu'elles détruisent l'unité de la communauté du peuple. S'il reconnaît qu'existent des « différences  » entre « conditions sociales », celles‑ci ne doivent en rien entraîner une séparation entre classes sociales. En matière de « classes » les seules distinctions pertinentes sont celles qui différencient « classes des élites », « classe des mauvais », « classes des moyens ». Rejetant l'analyse des classes sociales telle que l'opère le marxisme qui se fonde sur l'étude des rapports sociaux de production, et ne prenant pas par là en considération les formes historiques de lutte qu'ils conditionnent, Hitler ne peut reconnaître la nécessité des révolutions qui touchent aux rapports sociaux de production et d'échange, qu'il s'agisse de la révolution bourgeoise ou de la révolution socialiste qui la prolonge.

« À peine la nouvelle classe est‑elle sortie de la transformation économique générale que le Juif voit déjà nettement de quel nouvel entraîneur il dispose pour avancer lui‑même. Il a d'abord employé la bourgeoisie contre le mode de production féodal; maintenant il se sert de l'ouvrier contre le monde bourgeois. »

Bien qu'Adolf Hitler puisse ailleurs mettre en avant les termes « révolution  », « conception révolutionnaire », pour caractériser les ambitions de son mouvement, en associant ces termes au thème de la violence régénératrice, il ne s'en oppose pas moins de toute révolution qui touche à la transformation des rapports sociaux de production et ne dissimule pas ses visées contre‑révolutionnaires, tant dans le domaine économique que dans celui des institutions politiques.

La révolution allemande de 1918, révolution hybride, pour une part bourgeoise, pour une part affichant des objectifs prolétariens, révolution qui posait tout à la fois des revendications économiques de classe et des visées politiques démocratiques, a constitué selon lui « le crime de Caïn », la trahison la plus lâche de toute l'histoire de l'Allemagne.

Ne concevant pas le peuple en tant que peuple politique, cette révolution n'a pu pour Hitler exprimer les intérêts du véritable peuple (ethnos), mais seulement ceux de la « canaille ténébreuse ». La révolution a été voulue « par les pires éléments » et faite « par un dixième de la population contre les sept‑dixièmes ».

La forme républicaine associée à cette révolution‑trahison est comme elle expression de la défaite, de la renonciation territoriale, comme elle soutenue par la classe extrême des « mauvais ». La révolution a aboli la forme monarchique de l'État a dissous l'armée, livré le corps des fonctionnaires à la corruption des partis, rendant impossible l'alliance de la popularité, de la force et de la tradition, ébranlant l'autorité de l'État.

La condamnation de la lutte de classes par Hitler n'aboutit pas, bien au contraire, à une condamnation de toute forme de lutte. Il s'agit d'ailleurs moins de nier la réalité des luttes de classes que d'affirmer leur subordination à un combat qui serait plus fondamental, celui qui oppose les différents peuples (communautés nationales‑ethniques). À la lutte des classes, il faut substituer celle des puissances pour leur « existence » dans l'arène mondiale. Toutes les luttes qui embrasent le monde, indique‑t‑il sont les luttes des peuples pour leur existence. En 1848, en Autriche, la lutte de classes était le début d'une « nouvelle lutte de races », et la guerre de 1914‑1918 ne fut pas autre chose que la lutte du peuple allemand pour son existence sur le globe terrestre, c'est là selon lui le sens de l'expression « guerre mondiale ».

La lutte entre races, la lutte pour l'existence d'un peuple, constituent le plus authentique des « droits de l'homme ». Les lois éternelles de la vie sur Terre attestent que la lutte pour l'existence est un combat incessant. Chaque peuple a droit de lutter pour son existence, conquérir par le poing ce qui est refusé par la douceur. Comme dans les espèces animales, il ne s'agit pas d'une lutte menée pour des raisons d'« antipathie », mais « pour la faim et l'amour », lutte conforme à la nature, moyen de développer la santé et la force de résistance de l'espèce. Pour les Hommes, le but suprême de l'existence est de la même façon la conservation de la race. C'est là la justification la plus élevée de la lutte, quels que puissent être les moyens utilisés. C'est ainsi que le peuple lutte pour « les droits de l'homme », « le droit des hommes ».

Substituer à la notion de lutte des classes, celle de lutte des races, implique la soumission inconditionnelle des individus à la communauté, et par conséquent le refus de l'expression égalitaire, individualiste de l'humanité. Dans un monde régi par les conceptions démocratiques égalitaires, la balance pencherait vers la majorité et vers les races numériquement fortes, alors que le monde régi par les lois naturelles veut la domination des personnalités supérieures et donne la victoire aux races à volonté brutale. La démocratie égalitaire est contraire aux lois naturelles, et de même qu'il existe une opposition entre « l'humanité individualiste » et «  l'humanité selon la nature », il existe une incompatibilité entre celle‑ci et la conception pacifiste du monde.

« L'humanité a grandi dans une lutte perpétuelle, la paix éternelle la conduirait au tombeau. »
« C'est au cri de l'Allemagne au‑dessus de tout le monde, et non à celui du droit de vote universel et secret que le peuple allemand combat avec succès. »

La seule « liberté » ici reconnue n'est pas la liberté civile égalitaire, mais le « libre jeu des forces », la lutte guerrière, « loi d'airain de la nécessité et du droit » à la victoire « du meilleur et du plus fort ». C'est la liberté pour la « communauté du peuple » de lutter pour l'hégémonie, en vertu du droit de la race la plus forte « à chasser les races faibles », dans « la ruée finale vers la vie ».

La révolution de 1918, la défaite, ont signifié la perte de la puissance mondiale de l'Allemagne, la république a marqué son impuissance à restaurer la situation, à rendre au peuple sa puissance. Compte tenu de sa vocation éminemment civilisatrice et contre la défaite voulue par ses ennemis, l'Allemagne « sera puissance mondiale ou ne sera pas », elle doit pour cela « prendre le chemin de la réalité » et non celui dont « rêve l'imagination d'un égalitarisme » moderne. Le devoir d'un peuple n'est pas de se faire l'avocat d'un autre peuple, mais de lutter pour le sien. Le plus fort en activité et en courage est enfant de prédilection de la nature et obtiendra le noble droit de vivre. On « n'accaparera » pas les « marchés mondiaux », on n'assurera pas au peuple allemand « le territoire qui lui revient dans le monde », par la voie pacifique.

Le peuple allemand a besoin d'un espace pour son existence, sa subsistance et sa puissance dans le combat. Il doit sortir de l'étroit habitat actuel sans se borner aux frontières de 1914. Le droit au sol et à la terre est un devoir de la nature qui ne connaît pas ici de frontières politiques. Le glaive devra donner la terre pour « la livrer au travail laborieux de la charrue allemande  ».

Les destructeurs de la communauté allemande: marxisme et démocratie du nombre

Adolf Hitler estime que la « lutte des races » pour la suprématie constitue le mode essentiel d'existence des peuples. Mais la proclamation de la lutte des races ne résorbe pas nécessairement l'effectivité des luttes de classes et des tendances révolutionnaires qu'elles recèlent et qui peuvent entraver la lutte pour l'existence de la communauté allemande. Faute de pouvoir les juguler totalement dans leurs déterminations matérielles et leur mouvement effectif, il postule que la condamnation de l'expression politique de telles luttes (marxisme, égalitarisme), permettra de réduire à néant leur fondement réel, comme si les expressions en idée d'un mouvement existant en constituaient les facteurs historiquement déterminants.

Le marxisme, la démocratie fondée sur l'égalité et le nombre, sont rejetés en tant qu'ils exposent la division de l'unité allemande, expressions des luttes des classes sociales et des individus, contre la « communauté » qui lutte pour exercer son droit (de race supérieure) à se constituer en puissance mondiale.

Ce sont les sociaux‑démocrates, c'est le marxisme, éléments étrangers à l'entité communautaire, et non les contradictions de la communauté elle‑même, qui sont réputés avoir affaibli la nation par leurs proclamations. Ne posaient‑ils pas les nations en tant qu'invention des classes capitalistes, la patrie comme instrument bourgeois pour l'exploitation des travailleurs! Attaquant Guillaume 2, diffusant « le mensonge du militarisme allemand » pour accabler l'Allemagne, ils ont attisé la haine contre elle, travaillé à détruire les États nationaux.

Le marxisme, qui veut la révolution économique et politique, est ainsi le « fossoyeur » du peuple et de l'Empire allemand. De telle sorte qu'il ne s'agit pas seulement d'annihiler les juifs, mais aussi le marxisme et tout ce qui s'allie à lui. Le « problème le plus important à résoudre » est celui du marxisme, « abcès qui ronge la chair de la nation ».

« Le jour où le marxisme sera brisé en Allemagne, celle‑ci verra ses chaînes brisées pour toujours. »

Le Capital de Marx n'est pas autre chose que la lutte pour la destruction de l'économie nationale, la domination du capital international, de la finance, pour réduire l'Allemagne en esclavage. Si le marxisme est émanation du capital international, il a aussi partie liée avec la démocratie, la démocratie égalitaire du nombre, qui, niant la valeur de la personnalité et de la race, « affirme qu'un homme en vaut un autre » et prétend donner la décision à la masse.

« La doctrine juive du marxisme rejette le principe aristocratique observé par la nature, et met à la place du privilège éternel de la force et de l'énergie, la prédominance du nombre et son poids mort. Elle nie la valeur individuelle de l'Homme, conteste l'importance de l'entité ethnique et de la race, et prive ainsi l'humanité de la condition préalable mise à son existence et à sa civilisation. »

Loin de pouvoir arrêter le marxisme, la démocratie qui n'en est que le précurseur, lui permet de se développer, fournit le « terrain de culture » pour propager l'« épidémie ».

Comme le marxisme, la démocratie du nombre et le suffrage universel détruisent l'entité communautaire allemande, nuisent au salut de la nation. Donnant l'autorité à la majorité, elle s'oppose à la « véritable démocratie allemande », fondée sur le principe aristocratique de la nature sur lequel s'appuie toute conception de la noblesse. Selon ce principe naturel, le progrès humain se développe par la tête d'un homme et non par les cerveaux de la majorité. « Un grand homme ne peut être découvert par une élection. » La souveraineté de la majorité rabaisse le chef de gouvernement au rôle d'exécutant de la volonté des autres. Elle remplace l'autorité d'un seul « librement choisi et pleinement responsable » par le nombre, le génie par l'inertie de la masse, par le « troupeau de têtes vides », « la stupidité des concitoyens », la majorité des ignorants, « impuissants  », « incompétents », la lâcheté, l'irresponsabilité des parlementaires. La malédiction pèse sur la conception démocratique « mécaniste », contraire à celle de « l'organisme vivant » qui place les têtes au‑dessus de la masse.

Ordre organique des différences, déni de la souveraineté des peuples et servitude de l'inférieur

La conception de la nation en tant que communauté ethnique va de pair avec la vision d'un ordre social organique, ordre des différences (inégalités), de la hiérarchie nécessaire, de la subordination ou de la négation de l'individu et des peuples « inférieurs ».

De même que le sacrifice de l'existence individuelle est nécessaire à la conservation de l'espèce, de même, soutient Hitler, la « première condition préalable "de" toute civilisation humaine véritable » est de rejeter l'individu au profit de la communauté: la volonté de vivre « sans égoïsme » est à la base de la formation de la communauté.

Comme dans le modèle organique traditionnel, le choix des activités individuelles, et par là la répartition de chacun dans la division du travail, revient à la communauté et non à l'individu. La communauté assigne à l'individu le genre d'activités qui convient à ses capacités et chacun acquitte la tâche voulue par elle. Le travail est ici conçu en tant qu'activité ne servant pas uniquement à « conserver sa propre vie », «  égoïstement », mais en tant que moyen de « connexion » avec les intérêts de la communauté. L'individu ne travaille pas directement pour lui‑même, mais « agit dans le cadre de l'ensemble, non pour son utilité personnelle mais pour le bien de tous ». Chacun « à son niveau » doit servir la collectivité, ainsi « même la vie misérable, la pauvreté de tant d'hommes » assure à la communauté « la base de son existence ».

À l'opposé de « l'individualisme hypertrophié », cette conception correspond au « caractère ethnique allemand », « à la disposition au sacrifice » des Aryens, capables de mette en jeu leur travail personnel et leur propre vie « au service de la communauté ».

Aux antipodes de l'« égoïsme  » qui met en scène intérêts particuliers et opinions personnelles, cette « disposition d'esprit fondamentale » se nomme « idéalisme » ou aptitude de l'individu à se sacrifier à la communauté. L'idéalisme ainsi compris répond aux « fins voulues par la nature », amenant l'Homme à reconnaître « volontairement » les privilèges de la force et de l'énergie. Lorsque l'idéalisme s'affaiblit, s'affaiblit avec lui la force qui forme la communauté.

Les conceptions organiques contemporaines usent souvent de la notion de « différences » pour signifier l'inégalité. La conception völkisch identifie sans hypocrisie « différences » et inégalité. Les différences (ou inégalités) concernent les individus mais aussi les races, les peuples dont on doit reconnaître la « diversité de valeur ». Certaines races comme certains individus ont la capacité de créer, d'autres non. « Le principe aristocratique de la nature [...] exerce sa loi jusqu'au dernier degré de l'échelle des êtres. » Ecartant « l'idée démocratique de la masse », le national‑socialisme veut en conséquence donner la Terre au «  meilleur peuple », c'est‑à‑dire aux individus supérieurs, et il se conforme au même principe à l'intérieur de ce peuple.

Proclamer « qu'un homme en vaut un autre », l'égalité des êtres8, constitue « un péché contre la raison ». Un être n'est pas tout pareil à ses semblables, une tête ne peut être identique à une autre tête, il existe selon les êtres, des différences, des valeurs propres, des capacités différentes, existant « à l'état inné », « don de la nature ». « Tout doit se trouver à la naissance, à l'état latent » et pour le bon ordre des choses, les personnalités supérieures, les individus de génie, les élites, doivent être distingués et favorisés.

Ce qui distingue les conceptions völkisch des conceptions marxistes, « c'est que les premières reconnaissent non seulement la valeur de la race, mais aussi  l'importance de la personnalité, et qu'elles en font la base de toute conception positive ». Plus explicitement que dans les théories organiques courantes (religieuses ou scientistes), la logique de la différenciation aboutit à la justification d'une hiérarchie dirigeants‑dirigés, inférieurs‑supérieurs, élite‑masse. Contre l'égalitarisme de la suprématie du nombre, de la majorité, la valeur est donnée aux personnalités dirigeantes, aux « esprits supérieurs », condamnant tout principe de souveraineté populaire.

La masse doit se mettre sous les ordres des « têtes » placées au‑dessus d'elle, et celles‑ci doivent mettre en mouvement la masse dans une direction déterminée. Le génie agit « offensivement » contre « l'inertie de la masse ».

La « disposition d'esprit idéaliste », capacité de sacrifice de l'individu à la communauté, se conforme à ce principe de soumission de la masse, conduisant à renforcer « volontairement  » l'ordre voulu par la nature, subordination du faible au fort, préservation de la survie du meilleur.

La « disposition d'esprit idéaliste », naturaliste et différentialiste, vaut aussi entre peuples. L'humanité a grandi dans la lutte perpétuelle et soumet l'Homme aux règles de l'éternel combat et de l'éternel effort. Partout la nature fait régner la force en maîtresse, soumet la faiblesse qu'elle contraint à servir docilement ou qu'elle brise. Considérer les communautés humaines du point de vue de la nature, c'est voir que celle‑ci place les êtres vivants sur le globe et contemple « le libre jeu des forces ». Le plus fort en courage et en activité, enfant de prédilection de la nature obtient le noble droit de vivre. La nature anéantit les faibles pour faire place aux forts.

La lutte met aux prises les races, les peuples, elle amène la défaite de tout être faible ou maladif ou doué de moins de courage. Suivant « la volonté éternelle qui gouverne le monde », se dégage l'obligation de favoriser la victoire du plus fort et du meilleur, la subordination du mauvais et du faible. Les races fortes chassent les faibles et les contraignent à les servir. Dans « cette ruée finale vers la vie » peuvent alors être brisées les « entraves ridicules  » d'une prétendue humanité individualiste.

La figure de la « nature » légitime des lois d'un ordre social et les volontés d'une puissance hégémonique qui au nom des droits des peuples, du libre jeu des forces, soumet la multitude à la servitude, justifie l'agression et l'exploitation des peuples à son profit.

Intégration corporative: solidarité, autonomie, sélection

Postuler l'identité génétique de la communauté du peuple ne préserve pas des « différences secondaires », des contradictions sociales qui peuvent dissoudre l'unité allemande. Évoquant les transformations économiques et sociales qui ont conduit à la formation du prolétariat, et à la dévalorisation du travail manuel, Adolf Hitler, répliquant ici la thématique corporatiste traditionnelle, affirme en conséquence la nécessité de se préoccuper de la situation des ouvriers, de « refaire de cette classe un membre de la communauté populaire ».

La bourgeoisie n'a pas selon lui suffisamment compris la nécessité de telles réformes, permettant à la social‑démocratie, au marxisme, d'annexer le mouvement syndical.

Les groupements professionnels, non soumis à de telles influences, ne sont pas nécessairement opposés à la formation d'une « véritable communauté populaire » exposant l'unité du corps social. Le syndicat peut cadrer avec « l'esprit de solidarité », il peut être utilisé pour « l'action nationale », introduisant dans la vie courante « un surcroît de sens social ». Pour que le syndicat aille dans le sens de la solidarité, il importe de dissocier en lui ce qui ressortit à la défense des « droits sociaux » des travailleurs, de ce qui ressortit aux instruments d'un parti pour la lutte politique de classe. Moyennant l'extirpation des facteurs d'incitation à la lutte politique de classe, les intérêts particuliers des différentes conditions et professions ne doivent entraîner en rien une séparation entre les classes.

Ainsi l'obstacle au rapprochement des travailleurs et de la « collectivité nationale » ne réside pas dans l'action des représentants de leurs intérêts corporatifs, mais dans celle des meneurs qui travaillent dans le sens de l'internationalisme. Les travailleurs ont besoin d'un syndicat pour vivre, mais ils ne pourront jamais totalement « apparteni r » au mouvement nazi tant que la représentation de leurs intérêts dans le domaine professionnel et politique sera entre les mains d'hommes ayant d'autres idées politiques. Ce contre quoi il s'agit de lutter n'est pas ainsi la forme syndicale, la corporation, mais la « corporation marxiste ». La corporation nazie qui doit s'y substituer n'aura pas pour mission de constituer une classe, d'être un « organe de lutte de classe », elle sera « organe de représentation professionnelle », et, « grâce à la concentration organisée des groupes participant à la vie économique nationale », elle pourra élever « la sécurité de l'économie nationale », elle la « renforcera, écartera tout obstacle qui influerait de façon destructive sur le corps populaire national ».

Il est clair qu'une telle corporation, ou syndicat, n'aura pas pour vocation de supprimer l'exploitation de l'Homme par l'Homme, ni de menacer les rapports de production sur lesquels se fonde « l'économie nationale ». La « disposition d'esprit idéaliste » du national‑socialisme rejette en effet toute tentative « égoïste » de division du corps social et de défense d'intérêts propres à une classe. Elle conduit chacun « à son niveau » à servir la collectivité, de telle sorte que « même [...] la pauvreté de tant d'hommes » assure à la communauté « la base de son existence ». Toutefois, pour arracher les ouvriers à « l'utopie internationaliste », faire entrer les couches populaires dans le corps social, des concessions économiques devront être faites, des besoins vitaux satisfaits.

La « collectivité populaire » impose des obligations à toutes ses parties, et s'il ne s'agit pas pour Hitler de récuser l'ex­ploitation du travail, il faut néanmoins se dresser contre les « pro­cédés d'exploitation inhumaine », il faut que l'entrepreneur ne fasse pas « un mauvais usage de la force de travail ». Par « l'édu­cation nazi des patrons et des ouvriers  », l'économie pourra se développer dans le sens d'une « coopération réciproque dans le cadre commun d'une communauté populaire ».

Une fois levée l'hypothèque de la lutte politique de classe, la corporation, devenue institution importante de la vie économique de la nation, s'intégrera dans un « Parlement économique », lui aussi débarrassé de l'élément politique. Comme dans la version mussolinienne, l'économique résorbe le politique dans l'organisme corporatif. La corporation constituera ainsi « la pierre angulaire » de la société, favorisant la distribution des tâches et des fonctions au service de la communauté. Cellules embryonnaires des chambres de représentation professionnelle, les corporations, cessant d'être le véhicule de la lutte de classe, développeront le « sentiment » et la conception nazis. Se substituant aux formes de représentation politique, ouvriers et patrons nazis seront au sein de la structure « délégués et mandataires de l'ensemble de la communauté populaire ».

Dès lors que le syndicat, la corporation, exposeront exclusivement l'unité intégrée de la communauté, que toute forme d'expression politique de classe aura été évacuée, le mouvement nazi « devra admettre la nécessité d'une manifestation propre corporative », autrement dit la relative autonomie des corporations. Une « grande proportion de liberté personnelle » sera accordée aux ouvriers et patrons (nazis), mandataires de la communauté populaire. L'autonomie, la liberté favoriseront l'émergence des meilleurs. L'extension de la liberté, précise en effet Adolf Hitler, augmente « plus que la contrainte d'en haut » la capacité d'action d'un seul, favorisant « la sélection naturelle », poussant en avant le plus habile, le plus capable, le plus laborieux. De telle sorte que partout, dans l'organisation économique comme dans celle l'État, les formes nouvelles de représentation permettront une sélection efficace, fondée sur « le principe de la personnalité ».

Réalisation de l'idée et violence exterminatrice. Donner une base spirituelle à la persécution

Selon la conception hitlérienne, qui ne se superpose pas ici exactement à la thématique mussolinienne, les contradictions de la société ne semblent pas devoir trouver leurs déterminations fondamentales dans la base matérielle de cette société, mais être de toutes pièces suscitées par la diffusion de système d'idées adverses. Selon la logique de cette conception, il semble qu'une fois le marxisme éliminé, la « coopération réciproque » doive s'instaurer entre les divers membres du « corps » du peuple.

Le système d'idées « national‑socialiste », même incorporé dans les têtes de la grande majorité de la communauté, ne supprime toutefois pas dans la foulée les contradictions de la base économique de la société, les fondements sociaux de la lutte des classes, et leurs potentiels prolongements révolutionnaires. Et si l'« idéalisme » allemand se refuse à refléter la réalité des rapports sociaux modernes, il ne lui faut pas moins pour se réaliser, comme le stipule Mussolini, forcer la réalité de la lutte de classes moderne, interdire ses manifestations, afin de modeler une réalité à son image. L'« idéalisme », pour se « réaliser », doit alors recourir à la violence tout en en masquant le caractère social, pousser à l'anéantissement de tout ce qui, dans la réalité, contredit « l'idéal » ou dévoile son caractère de classe.

L’unité de la nation, censée résider dans l'origine commune, le sang, unité déjà donnée en germe (en gènes), contre les divisions politiques et sociales, ne se réalise que si une « volonté idéale » la fait exister. L’« idéalisme » observe Hitler est nécessaire pour faire exister les formations organisées. Il faut « stimuler  » la communauté nationale, l'organisation conforme à l'idéal, doit « créer » l'organisme vivant, « créer » le sentiment national commun, « nationaliser la masse », masse qui par elle‑même est soumise à des forces centrifuges, contraires à l'unité. La « capacité de cohésion d'un peuple », telle que la conçoit Adolf Hitler, résulte moins d'un « grande quantité de moyens inanimés », qu'elle n'est déterminée par « une idée », « existence visible d'une ardente volonté de conservation nationale ».

Le « matérialisme » génétique du propos (unité donnée par le sang) se résout en idéalisme radical. Seule l'idée, la volonté subjective, peut créer la cohésion du peuple, en imposant la conception de l'unité raciale contre les éléments dissolvants (contradictions sociales) qui affectent un peuple politiquement institué.

Hitler oppose à l'égoïsme, à la cupidité, au matérialisme, à « l'économie seule », aux qualités « purement matérielles », l'« idéalisme ». Ce sont les « vertus idéalistes », morales (éthiques), qui donnent le moyen de fonder et conserver l'État. L'idéalisme est cette « disposition d'esprit fondamentale » qui porte l'individu à se sacrifier pour la vie de la communauté. L'idéalisme répond « aux fins voulues par la nature » et amène l'Homme à reconnaître le privilège de l'énergie et de la force. Il s'oppose aux « appétits matériels [...] égoïstes », à l'individualisme et à son refus de subordination à la force. Lorsqu'un tel idéalisme menace de disparaître, la force qui forme la communauté s'affaiblit. Autrement dit lorsque s'affirment les volontés et intérêts individuels, les appétits égoïstes (de classe), la communauté perd de sa puissance.

Combattre pour l'existence de la communauté nationale (et pour le Reich), consiste dès lors à combattre pour l'idéal de la communauté, mais aussi pour la « transposition de cet idéal dans la réalité ». Il faut « tirer  » du système idéal des principes capables de « s'imposer » à la grande masse, faire « triompher » les idées, les dogmes, pour qu'ils « deviennent » pour le peuple « les lois de base » de sa communauté. Ainsi, à l'imitation de la logique contre‑révolutionnaire de Bonald, ce qui est déjà donné par l'origine (le sang commun) n'en doit pas moins être « créé », « imposé », « devenir ». Afin de tirer de « l'idée pure », « la force créatrice », le sentiment ou la volonté des hommes ne peut suffire, il faut associer « en une union unique en son genre la force brutale du poing à l'intelligence du génie ». Pour que « la poussée idéale », « l'ardent désir d'un pays » se transforme en « magnifique réalité », il faut qu'ils reçoivent  « l’organisation de combat et la puissance militaire ». Le « glaive  » doit se faire l'exécutant de la puissance spirituelle.

Le problème essentiel à résoudre est celui de la « transmutation d'un système philosophique idéalement vrai en communauté politique de foi et de combat ». La constitution de la communauté de foi se fait en détruisant la conception philosophique, le dogme opposés. Dans son combat, la doctrine philosophique ne peut être tolérante, composer avec la doctrine opposée. Il ne peut y avoir « collaboration », mais « offensive  », « intolérance fanatique », « fanatisme inflexible ». Les faibles et lâches paroles de défense doivent être remplacées par « le cri de guerre d'une attaque courageuse et brutale ».

La vigueur de la force combative reste toutefois liée à l'idée qu'il s'agit de réaliser. L'absence d'« idée réformatrice » limite en effet la force combative. L'attaque doit être basée sur une conception philosophique, on ne peut « exterminer » « avec l'épée seule » «  une conception de l'esprit ». Les idées philosophiques ne peuvent être brisées par la force matérielle « qu'à la condition que cette force matérielle soit au service d'une idée », « allumant un nouveau flambeau ». Le droit d'employer les armes les plus brutales est en relation avec l'existence de l'idéal, de la foi fanatique. Il est nécessaire de « donner une base spirituelle à la persécution ».

Partant, s'il convient de « propager les idées par des moyens spirituels », il faut « étayer la propagande sur la force bru­tale », appuyer l'idée philosophique par la terreur, et bien com­prendre que la « destruction » d'une conception philosophique ne peut finalement s'effectuer que par « l'extermination progres­sive et radicale de tous les êtres de réelle valeur » qui sont porteurs d'une telle conception. La « terreur spirituelle » que pratiqua le christianisme est indispensable dans la lutte d'idées, mais il faut aussi lui adjoindre « la terreur corporelle » sur les individus et la masse. L'application perpétuellement uniforme de la violence constitue une des premières conditions du succès.

Dans la lutte pour la réalisation de l'idéal, il convient d'avoir recours à un « instrument de combat », tel que les « sections d'assaut », « force morale », pénétrée d'idéal national‑socialiste, « troupe de choc parfaite », « instrument pour la représentation et le renforcement pour la lutte et l'idéal du mouvement ».

Réalisation de l'idée: destruction du marxisme, eugénisme

La réalisation de l'idéal national‑socialiste suppose la destruction de ce qui le contredit, l'anéantissement des conceptions et forces qui lui sont hostiles. Les mots « briser », « détruire », « exterminer », « anéantir », foisonnants dans le texte de Mein Kampf, exposent les conditions de réalisation de l'« idéal ». En la matière il ne s'agit pas de détruire les conditions qui reproduisent les contradictions qui sont à la base de la division de la société, mais tout ce qui manifeste une dénonciation de l'unité mythique de la communauté ou de son caractère d'excellence.

La doctrine philosophique doit « préparer... [la ruine de tout le] monde moral adverse ». Pour « gagner l'âme d'un peuple », il faut, en même temps qu'on lutte pour atteindre son propre but, « détruire tout ennemi qui cherche à lui faire obstacle », détruire « la horde des ennemis de l'intérieur », mais aussi « les empoisonneurs internationaux ».

Dans les conditions modernes, l'obstacle principal à la réalisation de la lutte pour l'« existence » du peuple allemand est le marxisme:

« Le jour où le marxisme sera brisé en Allemagne, ses chaînes seront brisées pour toujours [...]. La destruction du marxisme est le problème de l'avenir de la nation allemande. »

On préparera au marxisme « une fin digne de lui  », on brisera « méthodiquement la terreur rouge ».

L'erreur des dirigeants de l'État allemand, selon Hitler, fut lors de la première guerre mondiale de ne pas « régler leur compte » à ceux qui ont causé et consommé l'ébranlement, de n'avoir pas « supprimé » les causes de « notre effondrement », « anéanti » ceux qui en ont tiré avantage. À l'avenir il ne faudra plus négliger « d'écraser la tête du serpent marxiste », mettre hors d'état de nuire les marxistes traîtres à leur pays, se débarrasser des quelque « douze mille coquins »9 (« hébreux » marxistes, corrupteurs du peuple), déclarer au marxisme « une guerre d'extermination ».

Associés plus ou moins à la cible principale, le marxisme, se trouvent d'autres cibles: la presse libérale qu'on aurait dû « frapper au cœur » pour son activité de «  fossoyeur du peuple et de l’Empire allemand », les partis, qu'on aurait dû dissoudre, le Parlement qu'il eût fallu mettre à la raison « au besoin par les baïonnettes ».

Le marxisme constitue la principale menace organisée pour l'existence de la communauté et de l'Empire allemand. D'autres éléments affectent toutefois la vitalité et la manifestation de la supériorité du peuple. Dans la mesure où la légitimation de la volonté de « prépondérance » et d'expansion vitales s'appuie sur la fiction d'une supériorité native de la race, de son aptitude « à la civilisation », les éléments faibles, malades, moralement déficients, doivent être exclus de la communauté et détruits en tant qu'éléments étrangers.

Le thème de l'anéantissement de tout élément attentant à la « force vitale » du peuple allemand s'exaspère en théorie eugéniste, qui doit contre « l'humanité démocratique » réaliser une « humanité selon la nature ». La nature ne s'embarrasse pas dit Hitler de « considérations égoïstes », ou de « manies  » pour sauver les « malingres et les maladifs ». À l'égard de l'individu qui n'est pas de taille à affronter la tourmente de la vie, elle opère une « sélection [...] en le rappelant brutalement à elle ».

Réaliser les plans de la nature, c'est anéantir « les rejetons non améliorables », coupables d'attenter à l'intégrité de la race supérieure, c'est trancher « brutalement et sans regret les pousses parasitaires », imposer l'impossibilité de se reproduire aux « avariés », « malades », atteints de tares héréditaires, à tous ceux qui ne sont pas « sains » tant physiquement que moralement.

Dispositions d'esprit idéaliste et lutte du peuple pour des fantômes

La « transmutation [du] système philosophique » en «  communauté politique de foi et de combat », capable de faire «  prendre corps à l'idéal », ne peut se faire que par « la conquête de la grande masse ». Mise au service « de la pensée de liberté », c'est avec la grande masse, à laquelle on aura supprimé tout mode politique d'expression, que le national‑socialisme pourra rétablir l'indépendance et la puissance de l'Allemagne, régler ses comptes avec les ennemis intérieurs et extérieurs.

Pour intégrer l'idéal dans une armée d'un million d'hommes, la propagande judicieusement menée peut produire d'excellents résultats. Précédant l'organisation, la propagande a pour objectif et devoir de faire pénétrer, propager l'idée, gagner à celle‑ci « le matériel humain à malaxer », tout en désagrégeant l'état de chose existant.

La propagande est un moyen au service d'un but, non un but en soi. Elle doit trouver une forme adaptée à l'objectif visé. N'étant pas à elle‑même son propre but, elle n'a pas à proposer une analyse objective de la réalité, à éclairer les consciences sur ce qui est, à viser « l'équité doctrinaire », « doser le bon droit des différents partis ». Elle ne recherche pas objectivement la vérité si celle‑ci est favorable aux autres, mais souligne exclusivement le bon droit « du parti que l'on représente ». Hitler récuse la conception matérialiste de la connaissance qui cherche à réfracter dans l'idée les phénomènes du monde objectif. Pour « forcer » la réalité et contraindre la masse à se plier aux visées du « système philosophique », il faut en effet imposer la « disposition d'esprit idéaliste ».

La propagande n'a pas pour but selon Hitler de donner à voir ce que le peuple (politique) veut, lui permettre d'exercer sa souveraineté. Elle se fonde sur l'idée que le peuple n'a pas vocation à la souveraineté, L'opinion. publique telle que la conçoit Hitler ne se constitue pas en effet en fonction de l'expérience et des connaissances des individus, dont le théoricien pourrait proposer une réflexion générale, elle est « suscitée » par l'information si celle‑ci est propagée avec persévérance et force de persuasion.

La propagande s'adresse à la masse la moins instruite, aux mécontents, aux classes menacées, non aux catégories sociales déjà acquises aux idées « nationales », ou aux intellectuels.

Moyen au service d'un but, il lui faut revêtir une forme « psychologiquement appropriée à la mentalité des masses », connaître « la clé qui ouvre leur coeur ». Si l'on étudie « la psychologie des masses », affirme Adolf Hitler, on établit que sa faculté d'assimilation est restreinte, que la masse est peu accessible aux idées et raisonnements abstraits, qu'à l'instar des femmes, elle est dominée par les sentiments, l'instinct, atteinte de paresse intellectuelle et de présomption.

La masse n'est « qu'une partie de la nature », et comme telle son « âme  » n'est « accessible qu'à ce qui est entier et fort », elle ne conçoit que la victoire du plus fort et corrélativement admet l'assujettissement et l'anéantissement du plus faible. Se soumettant toujours à la brutalité, elle préfère le maître au suppléant. User d'objectivité avec elle serait faiblesse alors que l'affirmation de la volonté constitue une force.

Moyen au service d'un but, la réalisation de l'idéal, la propagande ne se propose pas d'élever la conscience, les facultés rationnelles des masses, elle utilise au contraire les « ressorts des passions fanatiques et même hystériques » qui sont « à la base des grands bouleversements ». Il ne faut pas « instruire scientifiquement » l'individu isolé, mais attirer l'attention des masses sur les faits, événements, nécessités, faire appel aux « sentiments  », « aux forces mystérieuses » et très peu à la raison, « empoigner la masse dans le domaine des sentiments », là où se trouvent les ressorts secrets de ses réactions. La propagande ainsi comprise n'est pas plus « explication scientifique » qu'une affiche n'est de l'art.

L'art de l'affiche, de la « réclame politique », est d'attirer l'attention de la foule sur les formes et les couleurs. Plus la teneur scientifique sera modeste, plus elle s'adressera exclusivement aux sens de la foule, plus son succès sera décisif. On devra faire appel aux « concepts » liés à « l'expérience intime » (au « vécu »), au domaine du sentiment, non à la vérité scientifique. Il ne faut pas s'interdire la « naïveté d'expression », voire la « rudesse de sentiments », qui correspondent à la psychologie de la masse.

Ne se fondant pas sur une logique de la raison, la propagande hitlérienne ne vise pas à argumenter, mais procède par formules, affirmatives, concises, concentrées, capables de faire pénétrer par des formulations stéréotypées, des points peu nombreux, constamment repris sans modification, des idées‑forces répétées avec opiniâtreté aussi longtemps que nécessaire10. À l'exemple de la pratique de l'Église catholique invoquée en la matière par Hitler, « pas la plus petite syllabe des termes de la doctrine  » ne doit être supprimée, sous prétexte de compromis avec d'autres conceptions, même si cela doit « heurter la science exacte et l'observation ».

Et pour ne pas éparpiller les forces combatives sur des ennemis multiples, l'attention sera, par amalgame, concentrée sur un seul, mettant  « dans le même sac une pluralité d'adversaires les plus variés pour qu'il semble à la masse de nos partisans que la lutte est menée contre un seul ennemi  ».

Estimant les masses inertes, mais faisant implicitement l'hypothèse qu'il existe cependant en tout individu une part de libre‑arbitre et de raison, à côté de la part passionnelle asservissable, Adolf Hitler recommande « pour favoriser les conversions », d'opérer dans la « pénombr e », au moment crépusculaire, alors que s'affaiblit le libre‑arbitre et que la volonté des hommes ne peut plus s'opposer avec énergie « aux tentatives de suggérer une volonté étrangère, une opinion étrangère ». La suggestion collective, la pression de la communauté, contribuent de la même façon à dissoudre la libre volonté individuelle.

Développant un thème cher à Joseph de Maistre, Hitler met en avant la « parole ». La parole, préférée à l'écrit, joue pour affaiblir l'objectivation rationnelle au profit de l'affect, des « forces mystérieuses ». Par la parole, note Hitler, le propagandiste joue sur les sentiments plus que sur la raison. Il peut mesurer l'« impression  » et l'action de ses paroles et changer en conséquence la forme du discours, non par rapport à une vérité scientifique, mais par rapport à l'objectif d'emprise sur l'auditoire. Les individus peuvent difficilement faire intervenir le jugement rationnel sur une parole « fluide » et non fixée. L'écrit, fixé une fois pour toutes, universel, «  garde toujours la même forme », quelles que soient les mains dans lesquelles il tombe, il peut de la sorte être l'objet d'un examen rationnel préjudiciable aux visées de la propagande. Dans la parole, ce qui compte est l'impression produite, l'influence exercée, non la valeur scientifique ou morale. La grande masse se soumet toujours à la puissance de la parole, c'est « la puissance magique de la parole [...] parlée », et non l'écrit, qui peut mettre en branle les grandes avalanches historiques.

« Les grandes révolutions de ce monde ne sont jamais faites sous le signe de la plume d'oie. »

Pas plus que la propagande, l'éducation ne doit viser à élever la conscience, donner à voir, développer les facultés rationnelles, la capacité d'objectivation. Plutôt que de se limiter à la formation du « savoir », surcharger le cerveau de connaissances, enfler les programmes d'histoire ou perdre son temps à l'étude des langues, le but de l'éducation est de s'appliquer au « pouvoir », à former le caractère, la force de volonté, la capacité de décision, l'amour des responsabilités. Le sport sera privilégié car il permet de former des individus hardis, adroits, endurcis, développant parmi les membres de la communauté, la conviction d lune supériorité sur les autres peuples.

Réceptacle d'une propagande vouée à la passion de la « prépondérance », bénéficiaire d'une éducation visant à former et endurcir les volontés pour la réalisation d'une telle passion, nul doute que la « communauté » allemande, une fois brisées les « chaînes » marxistes qui l'entravaient, n'ait pu « ainsi que son histoire l'a si longtemps prouvé » se rendre capable « de faire la guerre jusqu'à la dernière goutte de son sang, pour des fantômes ».

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