© Michel Fingerhut 1995-9 ^  

 

Nadine Fresco:
Les «révisionnistes» négateurs de la Shoah
in l'article "Révisionnisme", Encyclopaedia Universalis 1990 © Encyclopaedia Universalis 1990
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Nous remercions Nadine Fresco et l'Encyclopaedia Universalis de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.

La notion de révisionnisme sert depuis quelques années, et notamment en France, à désigner une démarche à prétention historienne qui vise, dans le cadre d'une « révision » de l'historiographie consacrée au national-socialisme, à nier l'existence des chambres à gaz et plus généralement à relativiser l'ampleur et l'atrocité de l'extermination des juifs. Sans partager de tels objectifs, un certain nombre d'historiens allemands s'engagent actuellement dans un débat sur une révision de l'ensemble des thèses consacrées au nazisme (cf. Devant l'histoire, 1988, qui présente les documents de la controverse). Toutefois, la notion de révisionnisme a été très longtemps associée à des discussions parmi les tenants du marxisme et du léninisme.

[Nous omettons ici un premier texte d'Evelyne Pisier et Pierre Bouretz consacré au « révisionnisme » pris dans le sens de « révision du marxisme » (Kautsky, Rosa Luxembourg) et de « révision du sionisme » (Jabotinski).]

Les « révisionnistes » négateurs de la Shoah

Il convient de noter l'ambiguïté lexicologique du terme « révisionnisme », qui ne dit pas d'emblée s'il désigne tel courant idéologique dissident d'une doctrine majoritaire ou une nouvelle interprétation de faits historiques précédemment analysés, et qui ne précise pas non plus quels critères sont censés déterminer pourquoi le révisionnisme de type idéologique est jugé vice ou vertu par qui fait usage de ce terme. On voit bien, par exemple, que d'autres auteurs eussent pu écrire différemment l'article [consacré à la « révision » du marxisme, Ndrl.] auquel fait suite le présent texte. Et que ceux qui continuent inlassablement à demander la révision du procès du maréchal Pétain sont fort éloignés politiquement, même à des décennies de distance, de ceux à propos de qui on utilisa au tournant du XXe siècle le terme de « révisionnistes » parce qu'ils demandaient la révision du procès qui avait fabriqué un coupable en la personne du capitaine Dreyfus.

Les années quatre-vingt ont vu le développement, puis la stagnation, d'un prétendu révisionnisme, de nature paroxystique, animé par des militants peu nombreux mais très actifs, qui ont tiré parti de l'ambiguïté qu'on vient de mentionner. En France, partis d'engagements politiques contraires, ils ont abouti en quelques années à une entreprise semblable, et souvent commune, de négation d'un des faits marquants de l'histoire contemporaine : le génocide perpétré contre les juifs par le régime hitlérien pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les historiens préfèrent souvent qualifier de « négateurs » ou de « négationnistes » ceux qui, aujourd'hui, prétendent ainsi se parer des vertus légitimes de la révision historique lorsqu'ils décrètent que les chambres à gaz d'Auschwitz et des autres camps d'extermination nazis n'étaient en fait que des lieux de désinfection des vêtements des déportés et lorsqu'ils dénoncent ce qu'ils appellent le prétendu génocide comme étant une escroquerie politico-financière, d'origine essentiellement sioniste, dont le principal bénéficiaire serait l'Etat d'Israël et dont le peuple palestinien et le peuple allemand seraient les victimes.

Une telle « révision » n'est pas nouvelle. Elle apparaît dès le lendemain de la défaite allemande, sous la plume de celui qui allait devenir le chef de file du néo-fascisme français, le directeur de la revue Défense de l'Occident, Maurice Bardèche. Jusque-là professeur de littérature, celui-ci explique son entrée en politique par la condamnation à mort de son beau-frère, Robert Brasillach, fusillé à la Libération pour avoir été l'éditorialiste de l'organe central de la presse collaborationniste, le sinistre Je suis partout. En 1948 et 1950, Maurice Bardèche publie deux pamphlets aux titres éloquemment antisémites (Nuremberg ou la Terre promise, puis Nuremberg II ou les Faux monnayeurs), dans lesquels il accuse les juifs d'avoir été à l'origine du déclenchement de la guerre. Commentant le travail de la délégation française au procès de Nuremberg, où viennent d'être jugés certains des principaux responsables du régime national-socialiste, il jette les bases de l'argumentation révisionniste en s'exerçant à l'analyse littérale des camouflages de l'Amtsprache (langue administrative) nazie sur les modalités du meurtre industrialisé : « Si la délégation française trouve des factures de gaz nocifs, elle se trompe dans la traduction et elle cite une phrase où l'on peut lire que ce gaz était destiné à l'extermination, alors que le texte allemand dit en réalité qu'il était destiné à l'assainissement, c'est-à-dire à la destruction des poux dont les internés se plaignaient en effet. » (Nuremberg ou la Terre promise, 1948, p. 133)

A la même époque, parti d'un engagement politique contraire, un instituteur de Belfort, Paul Rassinier (1906-1967), écrit le premier (Passage de la ligne, 1948) d'une série de livres, dont plusieurs devaient être d'ailleurs publiés par Maurice Bardèche, qui allaient faire de lui la figure emblématique des révisionnistes français de la fin du siècle. Membre du Parti ommuniste jusqu'en 1932, Rassinier adhère à la S.F.I.O. en 1934. « Munichois » acharné, de la tendance de Paul Faure, opposée à celle de de Léon Blum, rédacteur en chef jusqu'à la guerre de l'hebdomadaire socialiste belfortain, il manifeste dans ses éditoriaux un pacifisme intégral qui, trois ans plus tard, lui fait encore écrire - dans le journal qu'avec la bénédiction de Pierre Laval publie l'ancien socialiste Charles Spinasse - que « des millions de français se sont trouvés jetés dans l'absurde guerre de 1939 par fidélité à l'esprit de parti ou par discipline de parti » (Le Rouge et le Bleu, 7 Mars 1942). Ayant néanmoins contribué à la publication en octobre 1943 du premier numéro d'un bulletin de résistance, Rassinier est arrêté puis déporté en Allemagne, où il est interné treize mois au camp de Dora. A son retour de déportation, ayant échoué dans ses ambitions politiques locales, il devient et demeure jusqu'à sa mort un plumitif de la dénonciation. Dénonciation de comportement des détenus communistes dans les camps allemands, bientôt suivie par celle, monomaniaque, du complot juif international, responsable du déclenchement de la Seconde guerre mondiale et artisan de l'escroquerie du prétendu génocide. Exclu de la S.F.I.O. en 1950, Rassinier adhère à la Fédération anarchiste, où « l'anticonformisme » de ses vues sur l'univers concentrationnaire lui assure, auprès de certains en tout cas, le bénéfice d'un aveuglement libertaire qui ne se démentit pas chez tous quand on découvre que, sous un pseudonyme, c'est lui qui signe dans l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol en 1960 le compte rendu, singulièrement anticonformiste en effet, du procès de Francfort des gardiens du camp d'Auschwitz.

Mais, dans les premières décennies de l'après-guerre, ni les écrits de Bardèche, ni ceux de Rassinier, ne rencontrent un véritable écho, sauf à l'intérieur d'un cercle essentiellement composé d'anciens de la collaboration et de militants d'extrême droite. Ce n'est qu'à la fin de l'année 1978 que le révisionnisme fait son entrée en France sur la scène publique, avec la parution dans la presse d'articles de Robert Faurisson, un universitaire né en 1929, proche de l'extrême droite, notamment dans les années soixante, mais sans engagement public majeur jusqu'à la réussite médiatique de sa percée « révisionniste ». Lui aussi professeur de littérature à l'université de Lyon, il s'était spécialisé dans une conception ultra-littérale de l'analyse de textes, qui le conduisit finalement, après un travail systématique de « démystification » systématique d'oeuvres littéraires (Rimbaud, Nerval, Lautréamont), à la dénonciation publique de « l'imposture du vingtième siècle », ainsi que s'intitule le principal ouvrage révisionniste publié aux Etats-Unis. Reprenant, en les radicalisant, les arguments et les méthodes de Bardèche et de Rassinier, Robert Faurisson focalise son entreprise de négation de la réalité du génocide sur les chambres à gaz, conscient qu'il est de se trouver là devant une originalité absolue du système nazi. Il lui faut donc démolir celle-ci, s'il veut parvenir à aligner l'hitlérisme sur la banale série des conséquences fâcheuses de la guerre en général, cet alignement constituant le premier pas de l'entreprise de dédouanement de ce système nazi, injustement accusé, selon les révisionnistes, de crimes somme toute moins répréhensibles que ceux des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.

Les circonstances qui favorisent la diffusion de la rhétorique révisionniste à cette période sont de deux ordres. En premier lieu, la parution des articles de R. Faurisson est immédiatement précédée en France d'une série de petits évènements qui contribuent à réveiller un « syndrome de Vichy » (H. Rousso) aux épisodes singulièrement contrastés depuis 1945 : interview dans L'Express de l'ancien commissaire général aux Questions juives du gouvernement de Vichy, Louis Darquier « de Pellepoix » (cet octogénaire proclame depuis son exil espagnol qu'« à Auschwitz on n'a gazé que des poux » et que le génocide est « une invention pure et simple, une invention juive, bien sûr ») ; projection à la télévision française, qui s'y était jusque-là refusée, de Holocauste, une fiction télévisée américaine sur le sort des juifs pendant la guerre, qui a été vue par des centaines de millions de gens à travers le monde et dont la forme autant que le fond déclenche des polémiques ; inculpation pour crimes contre l'humanité de Jean Leguay, responsable français de la déportation des juifs, une inculpation qui précède et annonce celles de Maurice Papon, de Paul Touvier et de Klaus Barbie.

En second lieu, dès qu'il connait l'existence de Robert Faurisson et de ses thèses, un certain Pierre Guillaume - qui avait affûté ses premières armes théoriques au sein du mouvement Socialisme ou Barbarie avant d'ouvrir au quartier Latin une librairie, La Vieille Taupe, où les étudiants de Mai 68 venaient s'approvisionner en littérature révolutionnaire passée et présente - attire à lui pour la circonstance une poignée d'anciens militants avec qui il partage, beaucoup plus encore que d'autres dans une certaine tradition d'extrême gauche, une haine de l'anti-fascisme. A ses yeux, celui-ci est un autre opium du peuple, inventé par les gouvernements impérialistes pour duper les masses prolétariennes en établissant une opposition fictive entre démocraties et régimes fascistes, et ce afin de maintenir et de rendre plus efficace l'oppression capitaliste sur la classe ouvrière. Ce qui fait s'engouffrer le petit groupe de Pierre Guillaume dans le révisionnisme, c'est que, l'antifascisme ayant occulté la théorie révolutionnaire, il faut, pour reconstruire cette dernière, en finir avec le premier. Et, en radicalisant, mieux que Bardèche et Rassinier, la dénonciation de l'imposture du génocide par la destruction théorique des chambres à gaz, Faurisson offre du même coup aux théoriciens révolutionnaires de La Vieille Taupe l'audace conceptuelle qui leur permet d'abandonner la dénonciation de l'antifascisme comme alibi du capitalisme et de se consacrer à une oeuvre autrement plus radicale de démolition des fondements mêmes de cet antifascisme. Quant à Rassinier, dont La Vieille Taupe entreprend aussitôt de rééditer les oeuvres, ses états de service d'ancien communiste, socialiste, résistant et déporté sont chargés d'apporter une caution imperturbablement révolutionnaire à cette branche, la plus active, du révisionnisme français.

La jonction des réseaux d'ultra-gauche et d'extrême droite du révisionnisme français est parachevée lorsque, en 1985, le même Pierre Guillaume exploite les ressources d'un militantisme éprouvé dans une opération qui consiste à tenter, grâce à un jury de complaisance réuni pour la circonstance à l'université de Nantes, de faire décerner à un ingénieur agronome en retraite, Henri Roques, ancien dirigeant du mouvement fasciste La Phalange française, un titre de docteur d'université pour sa lecture « révisionniste » d'un témoignage important sur l'utilisation des chambres à gaz dans un camp nazi de Pologne. La tentative de reconnaissance universitaire échoue, le trop complaisante soutenance ayant été annulée par le ministre des Universités. C'est dans la même perspective que P. Guillaume publie entre 1987 et 1989 une revue, intitulée Annales d'histoire révisionniste, qui essaie sans succès de donner une forme académique et respectable à l'entreprise.

L'intérêt d'une étude historique du phénomène spécifique que constitue ce révisionnisme français réside dans l'analyse du parcours intellectuel et politique qui, en une vingtaine d'années, a conduit des militants de l'ultra-gauche, acteurs notamment du combat anticolonialiste et du mouvement étudiant de Mai 68, à se joindre à la réécriture de l'histoire du nazisme entreprise dès 1945 par les anciens collaborateurs du régime de Vichy.

NADINE FRESCO

Bibliographie

Y. Béon, La Planète Dora, Seuil, Paris, 1985
A. Finkielkraut, L'Avenir d'une négation, Seuil, Paris, 1982
N. Fresco, "Les Redresseurs de morts", in Les Temps modernes, mai 1980 ;
N. Fresco, "Parcours du ressentiment", in Lignes, no.2, févr. 1988
J.-P. Joubert, Révolutionnaires de la S.F.I.O., F.N.S.P., Paris, 1977
P. Milza, Fascisme français. Passé et présent, Flammarion, Paris, 1987
J. Rabaut, Tout est possible. Les "gauchistes" français, 1929-1944, Denoël, Paris, 1974
D. Rousset, L'Univers concentrationnaire, éd. de Minuit, Paris, 1981 (1re éd. 1946)
H. Rousso, Le Syndrome de Vichy, Seuil, 1987
M. Sadoun, Les Socialistes sous l'Occupation, F.N.S.P., 1982
P. Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, La Découverte, Paris, 1987.

Corrélats

ANTISÉMITISME, GÉNOCIDE, JUDAÏSME, RACISME, SHOAH, TROISIÈME REICH

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