© Michel Fingerhut 1995-8 ^  

 

Anne Grynberg:
L'accueil des réfugiés d'Europe centrale en France (1933-1939)
in Les cahiers de la Shoah n° 1, 1994. ISSN 1262-0386 © Les Éditions Liana Levi, 1994
Conférences et séminaires sur l'histoire de la Shoah, Université de Paris I, 1993-1994
Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only


Nous remercions vivement Anne Grynberg et les Éditions Liana Levi de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.
Cité in Les Bannis de Hitler, ouvr. coll. publié sous la direction de Gilbert Badia, EDI/Presses de l'université de Vincennes, Paris, 1984, p. 19. Ruth Fabian et Corinna Coulmas, Die Deutsche Emigration in Frankreich nach 1933, K. G. Saur, Munich-New York-Londres, 1978, pp. 23 et sqq. Et: Gilbert Badia, « L'émigration en France, ses conditions et ses problèmes », in Les Barbelés de l'exil, ouvr. coll., Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1979, pp. 11-96. Il faut signaler cependant, au sein de l'émigration intellectuelle, une tendance qui a permis à certains réfugiés de transcender les difficultés psychologiques liées à l'émigration: considérer l'exil comme l'expression paroxystique de l'engagement politique. Cf. Albrecht Betz, Exil et engagement, Paris, Gallimard, 1986. « Voyage sentimental », in Les Nouvelles littéraires du 1er juillet 1933. Lotte Eisner, « Les longues vacances », in Les Exilés en France, ouvr. coll., Paris, Maspero, 1982, pp. 279-312. Manès Sperber, Ces temps-là, autobiographie, vol. II: Le Pont inachevé, Paris, Calmann-Lévy, 1977, p. 123. Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE), série Z. Europe 1930-1940, 790/791, « Régime des sujets allemands en France ». Jean-Pierre Guindon, « Sanary-sur-Mer, capitale mondiale de la littérature allemande », in Les Camps en Provence. Exil, internement, déportation, 1933-1944, Aix-en-Provence, Alinéa-Ex, 1984, pp. 18-25. Claude Olievenstein, Il n'y a pas de drogués heureux, Paris, Robert Laffont, 1976, p. 25. Cf. Rita Thalmann, « Topographie de l'émigration du Troisième Reich à Paris », in André Kaspi et Antoine Marès (dir.), Le Paris des étrangers, Paris, Imprimerie nationale, 1989, pp. 91-104. Journal Off ciel (JO), Chambre, 28 mars 1933, p. 1612. AMAE, série Z. Europe 1930-1940, sous-série Allemagne, 710 / Z 34 51, 4 et 5. Ibid., doc. 80. Ibid., doc. 112. Cf. Les Barbelés de l'exil, p. 37. Jean-Charles Bonnet, Les Pouvoirs publics français et l'immigration dans l'entre-deux-guerres, thèse de troisième cycle soutenue à l'université de Lyon II en 1976, pp. 328-340. Et Patrick Weil, La France et ses étrangers, Paris, Calmann-Lévy, 1991, pp. 33-36. Archives de la Préfecture de police de Paris, dossier 64, doc. 51343/5. Alma Werfel-Mahler, Ma vie, Paris, Julliard, 1961, p. 206. Cité in Les Archives israélites du 19 octobre 1933. L'Univers israélite du 21 avril 1933. Sur le Comité national, cf. Catherine Nicault, « L'accueil des Juifs d'Europe centrale par la communauté juive française, 1933-1939 », in Réfugiés et immigrés d'Europe centrale dans le mouvement antifasciste et la Résistance en France, 1933-1945, colloque organisé par l'IHTP et l'université de Paris VIII les 17-18 octobre 1986. Et Jean-Baptiste Joly, « L'aide aux émigrés juifs: le Comité national de secours », in Les Bannis de Hitler, op. cit., pp. 37-64. Archives de l'Alliance israélite universelle (AIU), France IX D 56. Michaël Marrus, Les Exclus. Les réfugiés européens au XXe siècle, Paris Calmann-Lévy, 1985.

« La plupart de ceux qui quittèrent l'Allemagne le firent par peur et par dégoût d'un régime dont les plus hauts représentants se vantaient ouvertement d'être des assassins », précise Hermann Kesten qui, comme Bertolt Brecht, récuse le terme d'« émigrants » pour utiliser celui de « proscrits », soulignant le fait qu'il ne s'agissait pas du libre choix d'une terre nouvelle et qu'il n'y avait aucune alternative à la décision de fuir l'Allemagne nazie. Et il écrit à Ernst Toller, le 23 mars 1933: « A Paris, je me sens comme sauvé1. »

Beaucoup de réfugiés du Reich témoignent ainsi de l'espoir qui les animait à leur arrivée en France: espoir dans un pays qui, fidèle à sa tradition d'hospitalité, gardait encore ses frontières ouvertes et où les immigrés avaient longtemps trouvé aisément du travail. On peut se demander de quelle manière les autorités et la classe politique françaises les ont accueillis, dans ces années difficiles de l'immédiat avant-guerre, marquées par le chômage et la crainte de voir éclater un violent conflit international. La proportion de Juifs étant importante au sein de cette émigration, il convient également de s'interroger sur l'aide que leur ont apportée leurs coreligionnaires français et, plus particulièrement, ceux qui étaient à la tête des instances communautaires.

Et d'abord, qui étaient ces nouveaux venus ?

Essai de typologie

Le flux des immigrés allemands n'a pas été continu à partir de l'arrivée de Hitler au pouvoir. On peut distinguer plusieurs vagues -- qui correspondent du reste à des catégories différentes.

Une première vague quitte l'Allemagne à la suite de l'incendie du Reichstag et des quatre mille arrestations d'opposants ou de suspects auxquelles procèdent les nazis dans la nuit du 27 au 28 février 1933. Il s'agit surtout de militants d'organisations de gauche, communistes ou socialistes, parmi lesquels de nombreux intellectuels -- professeurs, journalistes, écrivains. Les Juifs sont nombreux, mais ils sont souvent éloignés de tout sentiment identitaire; s'ils quittent l'Allemagne, c'est parce qu'ils se sentent menacés d'abord comme antihitlériens. Entre mars et août 1933, la préfecture de police de Paris enregistre 7 304 réfugiés d'Allemagne; il faut ajouter à ce chiffre celui des 2 500 clandestins.

Les Juifs qui ne sont pas engagés politiquement quittent l'Allemagne progressivement, nombre d'entre eux voulant croire en la possibilité de continuer à vivre presque normalement dans l'Allemagne hitlérienne. Quelques-uns partent dès avril 1933, après le boycott des magasins juifs; d'autres, plus nombreux, à la suite des lois raciales de Nuremberg, promulguées 1935; d'autres, encore, après les violences de la Nuit de cristal de novembre 1938. Parmi eux, 60% sont de nationalité allemande, tandis que 40% sont des Ostjuden, des Juifs originaires de l'Est européen qui, même s'ils vivent en Allemagne depuis de nombreuses années -- voire depuis plusieurs générations --, n'en ont jamais acquis la citoyenneté.

L'année 1935 voit la venue de réfugiés sarrois, après le plébiscite rattachant la Sarre au Reich. Il faut signaler à ce propos qu'il y a parmi eux des Allemands qui s'étaient réfugiés en Sarre en 1933 et qui doivent en repartir en 1935.

En 1938, c'est l'arrivée des réfugiés d'Autriche, à la suite de l'Anschluss. Au début de 1939, et même déjà après Munich, c'est le tour des Tchèques -- et, comme nous l'avons déjà signalé pour la Sarre, il y a parmi eux des Allemands qui se sont réfugiés à Prague après 1933 et qui, considérant désormais qu'il ne s'agit plus d'un endroit sûr, optent pour un nouveau départ.

Il est très difficile de faire une estimation globale des effectifs de cette immigration, et cela pour deux raisons essentielles: le nombre important des clandestins, surtout parmi les Juifs originaires de l'Est européen qui, une fois arrivés en France, deviennent souvent des luftmensch (« hommes faits d'air ») et échappent à toute comptabilité; et le fait que beaucoup ne font que transiter par la France avant de repartir pour une nouvelle destination.

Pour 1933, on avance le chiffre de 60 000 personnes ayant quitté le Reich; parmi eux, 25 000 à 30 000 seraient venues en France. En 1935, 100 000 personnes sont parties (selon Norman Bentwitch, à l'époque responsable de la commission de la SDN pour les réfugiés en provenance d'Allemagne). A la même époque, Heinrich Mann cite devant cette même commission le chiffre de 35 000 réfugiés vivant en France. Ce chiffre est sans doute sous-estimé. Il faut par ailleurs y ajouter les 5 000 réfugiés sarrois, et les 7 000 en provenance d'Autriche. Toutes catégories confondues, les deux tiers des réfugiés sont juifs. Bien que la France soit le principal pays d'accueil des réfugiés du Reich -- 40% entre 1933 et 1939 --, il s'agit donc d'une immigration numériquement modeste, qui n'a rien de comparable avec les grandes migrations économiques comme celle qui a conduit à la présence en France, à la même époque, de 800 000 Italiens.

Les réfugiés du Reich sont très majoritairement des hommes, et des hommes jeunes: les trois quarts d'entre eux sont compris dans la tranche d'âge de vingt-cinq/quarante ans, et le nombre de personnes de plus de soixante ans est insignifiant2. Il s'agit aussi d'une immigration de personnes seules (du moins pour la période 1933-1935): peu de familles, très peu d'enfants. Les femmes sont, dans la plupart des cas, de jeunes célibataires.

Il y a à cela des raisons économiques et psychologiques évidentes. Il est difficile de prendre la décision d'émigrer quand on est chargé de famille. C'est encore plus difficile quand on est âgé. Et cela est particulièrement vrai pour les Juifs, bien intégrés au sein de la société allemande depuis des générations et souvent peu politisés. Certains d'entre eux vont mettre des années avant de renoncer à leurs illusions et de se rendre compte qu'ils ne peuvent plus continuer de vivre dans l'Allemagne hitlérienne -- que, par ailleurs, ils ne combattent pas toujours sur le plan idéologique. C'est le cas au sein d'une petite bourgeoisie juive dont on oublie parfois l'existence pour mieux mettre en avant l'intelligentsia brillante des grandes villes: il y a pourtant une forte proportion d'employés, de commerçants, de membres de professions libérales qui ont fait leur la fameuse symbiose judéo-allemande, mais plutôt sur le respect de l'ordre et des vertus domestiques, ainsi que sur l'attachement patriotique. Rappelons aussi l'existence de communautés semi-rurales du pays de Bade et du Palatinat, composées notamment de marchands de blé et de chevaux.

Il existe un véritable clivage entre les Juifs qui sont aussi (et peut-être d'abord) des militants politiques et les autres. Parmi les premiers, beaucoup jugent sévèrement les seconds. On peut se reporter, par exemple, aux critiques exprimées par Friedrich Wolf dans sa pièce Professeur Mamlock ou par Walter Mehring dans son roman Les Muller, ou encore par Kurt Tucholsky, qui trace des portraits féroces dans Monsieur Wendriner, allant jusqu'à affirmer que certains Juifs allemands auraient été prêts à soutenir Hitler si seulement il avait renoncé à l'antisémitisme...

Cependant de nombreux intellectuels ont eux aussi vécu avec douleur la décision d'émigrer3. Ainsi, le critique dramatique Alfred Kerr témoigne: « Ce n'est pas par plaisir qu'on s'expatrie. On aime les paysages où l'on a été gosse, on est attaché jusqu'à ces lieux où on a payé ses impôts. Et puis, devoir s'exprimer dans une langue étrangère, comme c'est difficile4! » Nombreux sont ceux qui pensent que leur exil sera de courte durée, persuadés que le régime hitlérien ne va pas tarder à s'écrouler. Pour une Lotte Eisner qui annonce qu'elle vient passer en France « de longues, très longues vacances5 », combien se sont laissé gagner par une pernicieuse « intoxication par l'espoir », pour reprendre l'expression de Manès Sperber6 ?

Sur le plan de la répartition socioprofessionnelle des réfugiés du Reich, nous disposons de statistiques relativement précises pour la période antérieure à 1936. La proportion d'ouvriers et d'employés est plutôt faible (10 % pour chacune des deux catégories), celle des artisans et des commerçants dépasse les 40%; on compte 20 % d'étudiants et 20 % également de membres de professions libérales et d'intellectuels -- cette rubrique regroupant les universitaires, les journalistes, les artistes7...

Les données que nous avons pour les années suivantes, qu'il faudrait affiner, permettent d'apporter quelques compléments d'information: le nombre des femmes et des enfants augmente -- à partir de 1935, les Juifs émigrent en famille, au fur et à mesure qu'ils prennent conscience du danger qui pèse sur eux.

S'adapter à une nouvelle vie

Nous avons déjà évoqué les difficultés psychologiques qui, de manières diverses, affectent toutes les catégories de réfugiés, qui laissent derrière eux une partie de leur famille (des parents âgés notamment), leur maison, leur commerce, tout ce qui a fait leur vie pendant des années. L'ignorance de la langue française constitue également un problème.

Ceux qui ont décidé d'émigrer se heurtent aussi à des difficultés matérielles: il leur est interdit, à partir de 1935, d'emporter plus de deux cents marks par personne. Par la suite, le gouvernement nazi a recours à la Reichsfluchsteuer, une taxe à l'émigration instaurée en 1931 par la République de Weimar afin de préserver les réserves allemandes et de décourager toute velléité de départ: ruinés, les réfugiés arrivent dans un état de dénuement extrême.

En dehors de ceux qui s'arrêtent dans les départements de l'est de la France, pour des raisons linguistiques et en raison de la proximité de la frontière, et d'un petit groupe très spécifique qui s'établit dans le midi de la France8, la grande majorité des réfugiés s'installe à Paris.

Tous arrivent gare de l'Est, mais, à partir de là, leurs chemins divergent. Si certains ont la chance d'être hébergés chez des amis fortunés ou de se voir prêter un appartement -- comme le collectionneur d'art Hugo Simon --, si quelques autres ont des moyens financiers suffisants pour louer une chambre dans un grand hôtel, pour la plupart des réfugiés le choc est rude, et même ceux qui étaient aisés en Allemagne doivent se contenter de conditions de vie précaires, dans des petits appartements des quartiers populaires de Paris, des chambres de bonne ou des hôtels miteux. Claude Olievenstein, arrivé adolescent à Paris, en témoigne: « Paris, dans mon premier souvenir, c'est d'abord une odeur: celle de la crasse. Les rats dévalaient le long des escaliers, les gens dans les magasins tripotaient les aliments. Pour qui, en 1937, débarquait de Berlin, le choc était violent. On croyait faire un retour dans le temps: les rues étaient encombrées de voitures tirées par des chevaux qui livraient le charbon ou la glace. Elles étaient peuplées aussi de petits cireurs, rémouleurs, marchands de peaux de lapin, vitriers9. »

Il n'y a pas à proprement parler de quartier allemand ou autrichien à Paris, mais on constate néanmoins une certaine tendance au regroupement, en fonction des affinités socioculturelles et selon les possibilités économiques de chacun. Les intellectuels et les membres des professions libérales choisissent plutôt, quand ils le peuvent financièrement, les Ve, VIe et XIVe arrondissements, tandis que les petits commerçants se regroupent autour des grands boulevards et de la place de la République. Les militants syndicalistes et politiques optent plutôt pour le XVIIIe (près du siège de la CGT, rue La Fayette) ou le XIXe (non loin du Secours Rouge). Les Ostjuden retrouvent un peu de la yiddishkeit à Belleville. Quant aux plus démunis, ils doivent se contenter d'un hébergement dans les asiles de nuit -- comme l'Asile israélite de la rue Lamarck -- dans les bastions des boulevards périphériques -- boulevard MacDonald, boulevard Brune, boulevard Kellermann --, ou encore dans le centre de réfugiés de Chelles, pour ce qui concerne les Autrichiens. Dans le pire des cas, c'est le palais du Peuple de l'Armée du salut, ou le camp militaire de Saint-Maur, qui a été réaménagé à la hâte mais où les conditions de vie sont si pénibles que L'Humanité du 20 septembre 1933 parle à son propos de « camp de concentration ».

Beaucoup de témoins signalent l'importance des cafés comme lieux de convivialité. Là encore, les réfugiés se réunissent en fonction de leur milieu social, de leur profession ou de leurs affinités idéologiques. Selon le rapport Perrier conservé aux archives de la Préfecture de police, les étudiants sont nombreux à fréquenter deux brasseries du quartier Latin, Capoulade et La Source. Les intellectuels et les artistes préfèrent Le Dôme, tandis que les membres des professions libérales et les commerçants aisés apprécient l'atmosphère feutrée du café qui se trouve au sous-sol de l'hôtel George V. Les Ostjuden se pressent dans les cafés du boulevard Montmartre et de la place de la République10.

Les réfugiés du Reich ne constituent donc pas un groupe homogène. Ils divergent au contraire sur bien des points: leur origine sociale, leur niveau d'intégration au sein de la société, leurs options politiques... Les Juifs n'éprouvent pas le même degré d'attachement au judaïsme (et leur définition même de cette appartenance est plurielle). Certains ont quitté leur pays parce qu'ils s'y sentaient directement menacés, du fait de leur engagement politique connu ou de leur origine. D'autres, qui ne couraient pas de risque réel, n'ont pas souhaité, pour des raisons éthiques, demeurer dans un pays tombé sous l'emprise du nazisme. Comment l'État et la société française les perçoivent-ils ? Quel accueil leur réservent-ils ?

L'accueil de la France

Ces réfugiés arrivent à un mauvais moment. A partir de 1931, la France subit durement les retombées du « krach du jeudi noir » qui s'est produit en 1929 aux États-Unis: la crise économique et sociale s'aggrave. Bienvenus au lendemain de la Première Guerre mondiale, quand on attendait d'eux une contribution efficace au relèvement du pays, les étrangers font désormais figure de « concurrents indésirables de la main-d'oeuvre nationale » menacée par le chômage.

Néanmoins, la gauche française tient à affirmer haut et fort son soutien aux réfugiés antihitlériens. Dès le 28 mars 1933, le député socialiste Jules Moch interpelle le ministre de l'Intérieur, Camille Chautemps: « La France, j'en suis sûr, voudra rester, dans cette Europe en folie, le refuge de tous les persécutés. Des ordres, n'est-ce pas ? monsieur le ministre, seront donnés à toutes nos frontières pour que ceux qui auront pu fuir les fusils nazis ou les mitrailleuses de la Reichswehr, là où on en a déjà placé, trouvent chez nous cet accueil fraternel qui a été de tous temps la gloire et l'honneur de la France11. »

Après discussion, le gouvernement décide d'ouvrir les frontières aux réfugiés allemands et en particulier aux « israélites ». Le 20 avril 1933, Camille Chautemps demande aux consuls français en poste en Allemagne d'« examiner dans l'esprit le plus large et le plus libéral » les demandes de visa émanant de Juifs. Si ceux-ci se présentent aux frontières sans passeport, il faut leur accorder l'autorisation d'entrer sur le territoire français et un sauf-conduit leur permettant de se rendre à l'adresse qu'ils indiqueront. Ils devront alors entreprendre de régulariser leurs papiers. Ces dispositions libérales s'accompagnent cependant, d'emblée, de quelques restrictions: les visas accordés par les consuls en Allemagne ne sont pas valables plus de deux mois, et les sauf-conduits délivrés aux frontières vingt jours seulement. En ces temps de crise économique, les réfugiés désireux de venir en France doivent également pouvoir subvenir à leurs besoins sans être à la charge de l'État qui les accueille. A cet égard, il semble que les Juifs -- et en particulier les Ostjuden -- préoccupent les autorités diplomatiques françaises, comme le montrent par exemple les correspondances de Pierre Arnal, chargé d'Affaires de France à Berlin, ou de Jean Dobler, consul général de France à Cologne: « Autant il peut y avoir intérêt pour nous à accepter l'installation définitive d'éléments soigneusement choisis et dont la plupart souhaitent pouvoir adopter à la longue la nationalité française, autant il conviendra sans doute de procéder à un filtrage sérieux en ce qui concerne les Juifs de condition inférieure, pour la plupart venus en Allemagne à une date très récente », écrit le premier12. Et son collègue précise, dans un rapport en date du 27 avril 1933: « J'ai immédiatement prescrit que, dorénavant, tout postulant à un visa devrait remplir un formulaire indiquant sa confession religieuse; et que, dans le cas d'un israélit e, nous suspendrions l'octroi du visa au résultat d'une enquête à mener auprès de la banque donnée comme référence par l'intéressé. Je pourrai ainsi, certainement, écarter un assez grand nombre d'israélites qui ne possèdent aucune ressource ou qui n'en possèdent que d'insignifiantes. Si, par contre, l'enquête bancaire révélait que nous avons affaire avec certains israélites qui jouissent en Allemagne d'une bonne situation, il n'y a évidemment aucun danger et il peut même y avoir intérêt pour nous à leur offrir l'hospitalité. {...} J'estime en effet hautement préférable de ne laisser entrer en France que les israélites que nous sommes réellement disposés à y conserver. Selon les instructions de l'ambassade, je n'accorde plus aux israélites allemands réfugiés que des visas leur permettant un séjour de deux mois en France. Mais il est vain de croire que, ces deux mois expirés, nous pourrons les refouler de France s'ils ont épuisé leurs dernières ressources; nous pourrons bien en refouler quelques-uns, mais pas le plus grand nombre, parce qu'il s'agira de réfugiés politiques que nous aurons l'air de rendre à la persécution. Et parce qu'il s'agira en outre -- je crois pouvoir l'ajouter -- d'hommes particulièrement tenaces et de beaucoup d'entregent13. » Quelques jours plus tard, il signale qu'il a réduit le nombre des visas accordés à des Juifs: 245 au mois d'avril, 190 en mai. Il se déclare satisfait d'un tel résultat, d'autant plus qu'à ses yeux, les Juifs d'Allemagne « ne sont pas à proprement parler des réfugiés » dans la mesure où « l'exercice de leur religion, la sécurité de leur personne sont à cette heure, en Allemagne, véritablement garantis. Aucun péril actuel ou imminent ne peut être invoqué par eux pour nous demander, au nom des droits supérieurs de l'humanité, l'ouverture de nos frontières. Il n'y a en vérité à leur exode que des raisons de convenance et celles-ci ne devraient pas l'emporter sur les raisons de nos propres convenances. {...} Les "réfugiés" israélites qui nous demandent à cette heure l'hospitalité ne sont que des commerçants ou des employés -- c'est-à-dire des gens qui ne sont en butte, en Allemagne, à aucune persécution et que le seul espoir de meilleures affaires attire en France. Sauf rares exceptions, cette immigration-là n'est pas intéressante pour nous. {...} J'ai vécu dans trop de pays d'émigration et d'immigration, dans trop de pays que rongeaient les minorités ethniques, pour ne pas sentir toute l'importance de ces visas14. »

Cette méfiance apparaît très directement dans la presse de droite, qui laisse transparaître des relents prononcés d'antisémitisme. L'Ami du peuple du 20 juin 1933 fustige ainsi « le flot pressé des judéo-socialo-germains » qui, selon lui, envahissent Paris. Deux mois plus tard, Roland de Puymaigre, conseiller municipal de Paris, demande au préfet de la Seine s'il n'est pas possible de faire une distinction entre réfugiés juifs et non juifs, qu'il considère essentiellement comme des « êtres indésirables venant accroître le nombre des sans-travail et augmenter d'autant, par ce temps de crise économique, la charge si lourde qui pèse sur le pays. »

Rapidement, le gouvernement met en place des mesures restrictives à l'encontre des candidats à l'immigration en France. Le 18 juillet 1933, le ministre de l'Intérieur précise que, désormais, seuls seront accueillis les titulaires du passeport allemand -- mesure particulièrement défavorable aux Ostjuden. Au mois d'octobre 1933, il est décidé qu'on ne délivrera plus de visa qu'aux réfugiés munis de toutes les pièces nécessaires, sans dérogation possible. Désormais, de nombreux réfugiés d'Allemagne franchissent clandestinement la frontière française. Une grande partie d'entre eux sont interceptés et refoulés. Ceux qui les aident et les abritent sont également passibles de lourdes amendes, ou même d'une peine d'emprisonnement.

Au-delà même du cas des réfugiés, les étrangers apparaissent de plus en plus comme une charge pour le pays. A partir de 1935, ils sont progressivement écartés des professions médicales et leur activité dans le domaine artisanal et commercial est strictement réglementée. Ces dispositions ne visent pas particulièrement les réfugiés d'Allemagne, mais elles les frappent d'autant plus durement qu'ils sont arrivés en France depuis peu et qu'ils n'ont pas toujours régularisé leur situation ni trouvé un emploi. Or la circulaire adressée aux préfets par le ministre de l'Intérieur, à la date du 4 décembre 1934, insiste sur la nécessité d'intensifier les mesures de refoulement et d'expulsion pour tous ceux qui se trouvent dans ce cas15.

Malgré les protestations indignées de Léon Blum et du député socialiste Marins Moutet, le décret du 6 février 1935 subordonne la possibilité pour un étranger d'occuper un emploi salarié à l'obtention préalable d'un contrat de travail. Quelques semaines auparavant, rappelons-le, un nouveau flux de réfugiés en provenance de la Sarre est arrivé en France.

Au cours des années 1935 et 1936, il devient de plus en plus difficile pour les émigrés en provenance du Reich d'entrer légalement sur le sol français. La promulgation des lois raciales de Nuremberg, en septembre 1935, n'adoucit pas l'attitude des dirigeants français à l'égard des réfugiés juifs. Ceux qui sont déjà à Paris se voient parfois refuser une prolongation de séjour.

Pendant le gouvernement de Front populaire, les dispositions adoptées en février 1935 à l'égard des candidats à l'immigration sur le sol français sont officiellement maintenues, mais, dans la pratique quotidienne, elles sont souvent adoucies et les autorités font preuve d'un réel souci de bienveillance à l'égard des réfugiés. Ceux qui sont munis de titres de séjour provisoires sont autorisés à circuler librement d'un département à l'autre. Les refoulements sont moins fréquents, et le 17 septembre 1936, le gouvernement institue un « certificat de réfugié en provenance d'Allemagne » qui ne tient pas compte de la citoyenneté d'origine: l'instauration de ce document diminue l'insécurité juridique dont souffraient de nombreux réfugiés (des Juifs de l'Est européen, notamment). Elle leur permet aussi de circuler librement sur le territoire des pays membres de la Société des nations. En outre, le gouvernement nomme un sous-secrétaire d'État chargé des services de l'immigration et des étrangers, Philippe Serre. Celui-ci élabore différents projets visant à établir un véritable statut des étrangers et à définir et à mettre en place une politique de l'immigration16. Mais, du fait du changement de gouvernement au printemps 1938, ces efforts -- sans doute assez lents et timides -- ne se concrétisent pas.

Le Front populaire s'effondre. Sur le plan international, la situation s'aggrave sans cesse et la menace d'une guerre imminente se fait de plus en plus pressante depuis que les troupes allemandes ont envahi l'Autriche, dans la nuit du 11 au 12 mars 1938. Les réfugiés en provenance du Reich -- et, de manière paradoxale, tout particulièrement ceux qui sont engagés sur le plan politique -- suscitent la méfiance, voire l'hostilité des gouvernants français. Le 14 avril 1938, c'est-à-dire le jour même de l'entrée en fonction du gouvernement Daladier, le ministre de l'Intérieur Albert Sarraut adresse aux préfets une circulaire dans laquelle il souligne la nécessité de « mener une action méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser notre pays des éléments étrangers indésirables qui y circulent et y agissent au mépris des lois et des réglements ou qui interviennent de façon inadmissible dans des querelles ou des conflits politiques ou sociaux qui ne regardent que nous17 ». Les réfugiés doivent s'engager à respecter une neutralité absolue.

La situation des étrangers résidant sur le sol français est également aggravée par l'adoption du décret-loi du 2 mai 1938 et des lois du 14 mai 1938. Selon ces nouvelles dispositions, ceux qui ont pénétré en France irrégulièrement sont passibles d'une amende de cent à mille francs et ils peuvent même subir une peine d'emprisonnement d'un mois à un an. Le préfet est désormais le seul à pouvoir accorder ou refuser la prolongation de validité de leur carte d'identité -- qui ne peut plus être délivrée que pour un département déterminé, à l'exclusion de tous les départements frontaliers. Les propriétaires de logements ou les hôteliers qui hébergent des étrangers doivent en faire la déclaration au commissariat de police. L'infraction à ces dispositions entraîne l'expulsion des étrangers hors de France; un budget de cinq millions de francs est consacré aux frais de rapatriement, malgré l'opposition virulente des milieux de gauche. Le désespoir croît dans les rangs des réfugiés et l'on constate de nombreux cas de suicide, dans une proportion qui grandit encore une fois connue la nouvelle des accords de Munich. « Je suis sans espoir quant à notre propre destinée, note Alma Mahler-Werfel. On ne peut pas vivre sans aucun projet d'avenir. Je suis à bout18. »

Pourtant, la politique du gouvernement français à l'égard des étrangers se durcit encore. Le décret-loi du 12 novembre 1938 aggrave les dispositions du mois de mai. L'assignation à résidence -- qui était déjà prévue par le décret-loi du 2 mai -- est complétée par l'institution de centres d'internement. On prévoit qu'en cas de mobilisation, tous les étrangers de sexe masculin âgés de dix-sept à cinquante ans devront être concentrés dans le plus bref délai possible dans des centres de rassemblement pour étrangers. Sans être encore directement lié à des impératifs de sécurité d'un pays en guerre, l'internement apparaît donc comme une solution politique au problème des réfugiés du Reich. Le premier camp est ouvert au début de l'année 1939 à Rieucros, près de Mende, en Lozère. Et au moment de la déclaration de guerre, les sujets allemands et « ex-autrichiens » seront de fait internés, parfois pendant de longs mois, comme « ressortissants ennemis ».

L'attitude des milieux juifs français

Déçus et blessés par l'attitude des autorités françaises à leur égard, les réfugiés juifs, nombreux nous l'avons dit, espèrent trouver appui et soutien auprès de leurs coreligionnaires.

Pendant plusieurs mois, voire plusieurs années (au moins jusqu'aux lois de Nuremberg), les dirigeants juifs français, comme la plupart de leurs concitoyens, se refusent à prendre véritablement au sérieux le péril hitlérien et veulent croire que jamais un tel homme ne s'imposera de façon durable en Allemagne. Sur le plan humain, ils s'émeuvent cependant de la discrimination et des sévices dont sont victimes les Juifs d'Allemagne, et lors des offices de Yom Kippour, en octobre 1933, le grand rabbin Israël Lévi prononce à la synagogue de la rue de la Victoire, à Paris, une prière dans laquelle il rappelle « les liens d'une sainte fraternité » qui existent entre coreligionnaires. Il en a prescrit la récitation dans toutes les synagogues de France19.

 
De fait, les dirigeants de la communauté juive de France se préoccupent de venir en aide à leurs coreligionnaires réfugiés en faveur desquels ils déploient un grand élan philanthropique, mais sans l'accompagner jamais de la moindre prise de position politique. Ils considèrent en effet qu'il ne leur appartient pas de se prononcer sur ce terrain et ils craignent que des manifestations de solidarité autres que purement charitables ne risquent de les marginaliser par rapport à la communauté nationale, qui connaît alors de graves difficultés sur le plan politique, économique et social. Et, au fur et à mesure que les années passent et que se précise le danger d'un conflit avec l'Allemagne, ils redoutent d'être taxés de « fauteurs de guerre ». Eux-mêmes ne parviennent pas toujours à oublier que ces réfugiés des années 30 sont aussi d'anciens ennemis de la guerre de 1914-1918 qui tenaient alors, souvent, à affirmer haut et fort leur fidélité à l'Allemagne: « Nous devons les accueillir et les aider à se procurer de nouveaux moyens d'existence », déclare Raymond-Raoul Lambert en juin 1933. « Les plus simples devoirs d'humanité le commandent. Mais pour l'accomplissement de cette tâche impérieuse, une double difficulté se présente: ce sont des Allemands, des ex-ennemis, et il y a en ce moment dans notre pays une crise de chômage qu'il faut se garder d'aggraver car l'opinion française ne supporterait pas -- et avec raison -- que ces Allemands, quels qu'ils soient, et si dignes qu'ils soient d'être traités avec bonté, deviennent chez nous l'objet d'un régime de faveur20. »

Les dirigeants communautaires sont également inquiets devant le pourcentage important de sympathisants (voire de militants) communistes et socialistes parmi les réfugiés du Reich. Ils ne souhaitent pas non plus accueillir un trop grand nombre d'Ostjuden , jugeant déjà excessive et dérangeante la présence des Pollaks arrivés massivement dans les années 20 et 30. Mus à la fois par leur sentiment de responsabilité et par le souci de contrôler les nouveaux arrivants, ils souhaitent donc superviser l'aide apportée aux réfugiés.

C'est dans ce but que se constitue, au mois de juin 1933, le Comité national français de secours aux victimes de l'antisémitisme21 (généralement appelé Comité national). Jacques Helbronner, membre du comité exécutif, fixe d'emblée la préoccupation prioritaire qui doit être celle du comité: « l'intérêt supérieur de la France »: « Il faut que cet organisme travaille avec le gouvernement, avec l'aide du gouvernement, et qu'il aide le gouvernement. {...} Il n'y a qu'un pays qui se soit montré conforme à ses traditions de générosité, c'est la France. {...} Seulement, cette générosité a des conséquences délicates. La France a ses chômeurs, comme les autres nations, et tous les Juifs réfugiés d'Allemagne ne sont pas des gens qu'il y a intérêt à conserver pour le plus grand bien de notre pays. Il y a cent ou cent cinquante intellectuels qu'il y a intérêt à garder en France, parce que ce sont des savants ou des chimistes qui ont des secrets que nos chimistes ne connaissent pas {...}. Ceux-là, nous les garderons, mais les sept, huit, peut-être dix mille Juifs qui viendront en France, avons-nous intérêt à les garder22 ? ». Il conclut en souhaitant voir les réfugiés poursuivre leur route vers la Palestine, les colonies ou tout autre pays lointain disposé à les accueillir. La France ne doit constituer pour eux qu'une halte, avant une seconde émigration nécessaire.

Au mois de décembre 1933, le Comité national est reconnu officiellement comme le représentant en France du Comité consultatif du Haut Commissariat pour les réfugiés allemands. Son président, le sénateur Henry Bérenger, représente la France à la SDN pour toutes les questions concernant les réfugiés d'Allemagne. Cette coopération avec les autorités gouvernementales françaises est vivement critiquée par les milieux de gauche -- qui la taxent volontiers de « collusion ». Ceux-ci vilipendent aussi la mauvaise organisation du Comité national et le caractère arbitraire des secours qu'il distribue, l'accusant notamment d'en exclure les militants communistes.

La tâche du Comité national n'est pas facile. Il s'efforce d'apporter des solutions aux problèmes les plus immédiats des réfugiés (logement, nourriture, vêtements, soins médicaux...), se préoccupe de régulariser leur situation sur le plan administratif et professionnel: entre octobre 1933 et mars 1934, 595 personnes trouvent un emploi grâce à son intervention. Il essaie aussi de favoriser l'émigration du plus grand nombre: conformément aux déclarations préliminaires de Jacques Helbronner, la France ne doit être pour les réfugiés qu'un pays de court séjour. Entre octobre 1933 et février 1934, 250 personnes quittent chaque mois la France pour l'Amérique, par les bons soins du Comité; d'autres, beaucoup moins nombreuses (moins de 300 pour toute cette période), partent pour la Palestine; le Comité organise aussi un certain nombre de rapatriements en Allemagne, quand il s'agit de réfugiés volontaires qui pensent ne courir aucun risque de répression de la part du gouvernement nazi.

Lors de l'assemblée générale du 23 juillet 1935, les dirigeants du Comité national estiment que, sur les 15 000 réfugiés juifs d'Allemagne qu'ils ont secourus, 2 500 se sont installés en France. Parmi eux, plusieurs centaines sont encore dans le besoin. C'est dans le but de les secourir qu'est fondé, au mois de juin 1936, le Comité d'assistance aux réfugiés (CAR), chargé de prendre la relève du Comité national.

Le premier rapport d'activité du CAR, établi après un mois de fonctionnement, signale que 1 639 réfugiés ont été reçus dans les locaux de l'organisation depuis sa fondation -- soit 51 personnes par jour en moyenne. Ceux qui pensaient que le flux des immigrants du Reich allait peu à peu diminuer et rendre moins indispensable le rôle des organisations d'assistance se sont lourdement trompés. Les réfugiés continuent d'affluer, de plus en plus démunis, et les charges qui pèsent sur le CAR sont très lourdes. Au fil des mois, ses activités s'intensifient: en juillet 1939, il reçoit 64 personnes chaque jour et 258 entre le 1er le 28 février 1939. Il s'efforce de leur rendre la vie en exil moins difficile, sur le plan matériel tout au moins, et distribue nourriture, vêtements, médicaments et bons d'hébergement. Conformément à la ligne définie dès 1933 par les dirigeants communautaires, il se consacre exclusivement au travail social et veille à ne jamais s'engager sur le terrain politique. Représenté auprès du ministère de l'Intérieur par l'intermédiaire du Comité consultatif pour les réfugiés, il n'entreprend rien sans l'aval de celui-ci. Désireux d'exprimer sa reconnaissance envers l'hospitalité française, il s'emploie également à apaiser toute velléité de politisation chez les réfugiés qu'il assiste.

Le souci majeur des dirigeants de la communauté juive de France est donc de ne pas se démarquer de la communauté nationale, qui souhaite avant tout maintenir la paix: la paix sociale à l'intérieur de ses frontières et la paix sur le plan international. Or, aux yeux de beaucoup, les réfugiés du Reich menacent l'une et l'autre. Il apparaît donc nécessaire, surtout après 1938, de sortir du cadre limité des comités de secours, et même des frontières hexagonales, pour poser le problème sur la scène Internationale. Au lendemain de l'assassinat de Vom Rath par Hershel Grynzpan, qui a servi de prétexte aux violences de la Nuit de cristal, le grand rabbin de Paris, Julien Weill, donne une interview au Matin, qui la publie en première page sous le titre: « Pour venir en aide aux Juifs. La solution que réclame ce problème dépend surtout de l'Angleterre et de l'Amérique, nous dit M. Julien Weill. » Et celui-ci de déclarer: « Je ne puis malheureusement apporter au règlement de cette question si angoissante la moindre contribution. Elle dépasse très largement ma compétence. Des comités d'assistance se sont occupés, jusqu'à présent, de fournir aux israélites émigrés les moyens de se fournir un nouveau foyer. Le problème juif vient, ces temps derniers, de prendre une ampleur telle qu'il ne saurait être résolu que dans le cadre des organisations internationales. Je crois, a ce propos, que la solution qu'il réclame dépend bien davantage de l'Amérique et de l'Angleterre que de la France, qui a déjà fait, à cet égard, plus qu'aucun autre pays au monde et ne peut plus, de toute évidence, accueillir de nouveaux immigrants. Je ne crois même pas qu'elle pourrait leur faire place dans les régions habitables de son empire colonial. {...} Nul ne compatit plus que moi, vous l'imaginez, à la douleur et à la misère des israélites allemands. Mais rien non plus ne me paraît plus précieux que le maintien de la paix sur la terre. »

Il faut donc se demander si une solution internationale est envisageable pour régler de manière satisfaisante, sur le plan humain et politique, le sort des « exclus23 ». Le peut-on ? Le veut-on ? La conférence d'Évian parviendra-t-elle à apporter des réponses satisfaisantes ?

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