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Jorge Semprún:
Mal et Modernité: Le travail de l'histoire (II)
2-02-029140-1 © Éditions Climats 1995

Ce texte a été lu à la Sorbonne le 19 juin 1990 dans le cadre des Conférences Marc-Bloch

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II

Mais au moment où le silence totalitaire s'installe sur l'Europe, quelques voix se sont élevées, même si elles ne se sont pas fait entendre. Même si les circonstances historiques les ont étouffées. Ou du moins rendues inopérantes dans l'immédiat.

Des voix qui, tout en portant un diagnostic lucide et sans concessions sur la crise des systèmes démocratiques, n'en envisagent pas la solution par quelque dépassement totalitaire, ni quelque sursaut de l'être, mais par l'approfondissement et l'extension des principes mêmes de la démocratie. Des voix d'inspiration et d'origine fort diverses, mais s'accordant sur l'essentiel.

La voix de Hermann Broch, exilé à New York. Je l'ai nommée. J'y reviendrai, car elle va me conduire dans le vif du sujet.

La voix de George Orwell aussi.

La voix d'Orwell, spécifiquement britannique, est celle d'un intellectuel d'extrême gauche qui n'a pourtant jamais succombé aux vertiges sécurisants de la ruse de la raison, stalinienne dans ce cas-ci.

Orwell s'est battu en Espagne, les armes à la main.

Il publie à Londres, en février 1941 - dans les limites encore de cette époque qui s'étend des jours de la défaite de la France à ceux de l'invasion de I'URSS par Hitler; époque rude mais privilégiée, où le bon sens était la chose du monde la moins bien partagée, mais où la frontière entre le totalitarisme et la démocratie était nettement établie - Orwell publie, disais-je, un essai remarquable, The Lion and the Unicorn (Le Lion et la Licorne), dont il n'est pas question d'épuiser, ni même d'indiquer ici toutes les richesses. Dont on peut cependant souligner deux thèmes essentiels, qui portent sur la redécouverte par cet intellectuel d'extrême gauche des valeurs démocratiques et nationales.

La voix française de Jacques Maritain, par exemple.

C'est à New York également, où il se trouvait pour une tournée de conférences lors de la défaite de la France, que Maritain publie, en novembre 1940, son essai À travers le désastre.

« Il n'est pas vrai, affirme Maritain, que l'écrasement de la France soit, ainsi que le prétendent les propagandes totalitaires, le signe d'une impuissance essentielle et d'un mal essentiel de la démocratie comme telle. »

Cette conviction, Maritain la partage avec l'historien Marc Bloch, dont l'essai posthume, L'Etrange Défaite, rédigé de juillet à septembre 1940, est une analyse historique impitoyablement lucide des causes de l'effondrement de la France. Mais c'est aussi, à un niveau plus profond, malgré sa concision conceptuelle, une réflexion théorique toujours actuelle sur les possibilités et les exigences d'une modernité démocratique.

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