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Jacques Tarnero:
Le racisme (5)
ISBN 2.84113.279.X © Éditions Milan 1995
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Nous remercions Jacques Tarnero et les Éditions Milan de nous avoir autorisés à reproduire ces textes.

Un mal, des mots: le discours raciste

Le racisme commence par les mots avant de passer aux actes. "Sale juif", "sale nègre" ou "sale bicot" sont des mots qui traduisent sans aucune ambiguïté l'opinion de celui qui les emploie. Ces expressions aussi brutales doivent aujourd'hui rester privées parce que punies par la loi.
La manière de traiter l'indigène rétif aux bienfaits de notre civilisation est explicitement énoncée: "toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être saccagé sans distinction d'âge ni de sexe. L'herbe ne doit plus pousser où l'armée française a mis le pied. Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes. En un mot anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens".
Colonel de Montagnac, "Lettres d'un soldat", Plon, 1885.
"- Les Arabes, comme tu vois Robert, sont nomades, c'est à dire qu'ils ne se fixent pas au sol et ne le cultivent guère.
- Alors, père, les Arabes mènent une vie de paresseux! Ce doit être bien agréable de se promener ainsi continuellement tandis que les autres hommes sont obligés de travailler tous le jour.
Marcel sourit de la naïveté de Robert.
- Appelles-tu cela une promenade? lui dit-il; se lever avant l'aube, marcher jusqu'à la nuit, sous un soleil implacable... Mon ami les Arabes travaillent à leur manière. Sauvage ou civilisé tout homme est forcé de travailler... Le travail des Arabes est même beaucoup plus dur que celui d'un ouvrier européen. Seulement il y a une espèce de travail qu'ils ne connaissent que très peu: le travail de l'intelligence. Ils le dédaignent même et le prennent pour de la paresse."

G. Bruno, Les enfant de Marcel (suite du Tour de la France par deux enfants),
Belin, 1887.
Les mots du colonialisme
Au temps des colonies, dès le XIXe siècle, les précautions oratoires ne sont guère de mise. "L'indigène" est un non-être dont le statut est au mieux folklorisé dans un rapport paternaliste, comme les "Babaorum" de Tintin au Congo, au pire traité de "bougnoule", "melon", "raton", "bamboula", "kroumir", "nha-que" suivant les latitudes où l'on se trouve.

Stratégie de langage
Cinquante ans après la défaite nazie, les mots du racisme ont changé de registre, ils jouent sur l'équivoque, l'euphémisation, la dissimulation. Il y a une stratégie de langage pour l'expression néo-raciste. C'est une option de "contournement" que choisissent en France les théoriciens de la "Nouvelle Droite" apparue au grand jour l'été 1979. Celle-ci a depuis ressourcé le Front national. La formule de la "préférence nationale", axe fondamental de la doctrine du FN, a été mise au point, entre 1970 et 1980, au "Club de l'horloge", laboratoire d'idées de la Nouvelle droite. N'est-elle pas la formulation new-look des slogans: "les étrangers dehors!" ou "la France aux Français" prononcés plus lapidairement par les ancêtres spirituels de l'extrême droite?

"Notons au passage que la sémantique elle-même n'est pas neutre".
Jean-Marie le Pen, "Les Français d'abord", Carrère/Laffont, 1984.
Les mots du néo-racisme
Le discours néo-raciste puise son inspiration et son vocabulaire dans les sources traditionnelles du lexique nationaliste. "Sang, sol, racines, identité, patrie" ponctuent les énoncés du Front national. Celui-ci prend bien soin, par exemple, de distinguer "la nation", concept trop républicain, de la "patrie", plus chargée de l'imaginaire nationaliste. Les mots désignant l'adversaire, l'anti-France, dénoncent "l'universalisme", le "cosmopolitisme", le "métissage", "l'internationalisme", le "mondialisme" et tout ce qui ne relève pas d'une puissance définie par des frontières: la franc-maçonnerie, l'internationale, le lobby immigré, le Bnai Brith (franc maçonnerie juive)... Parfois, plusieurs termes sont juxtaposés: "capitalisme apatride", "sionisme international", "banque juive". Des échelles de valeur sont ainsi créées: la civilisation vient "d'Occident", le monde blanc est le monde libre, alors qu'ailleurs les barbares nous menacent et le salut ne pourra venir d'une Amérique "métissée" ou appartenant à la "finance juive". C'est bien cette hiérarchie des préférences qu'exprimait Le Pen en déclarant: "J'aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines et mes voisines que les inconnus" (Heure de vérité, 2 mars 1984). Le décodage de cette apparente prudence verbale laisse passer une "douce" xénophobie dont ne s'embarassent pas d'autres auteurs du Front national.

Le racisme s'exprime d'abord dans les mots du quotidien, dans le langage. Les textes, les discours savants autorisent ensuite le passage à l'acte, à la mise en pratique politique.

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