© Michel Fingerhut 1996/7

Pitch Bloch:
Ziklon B
Texte publié en appendice à « Un Eichmann de papier ».
in Les assassins de la mémoire Points Seuil, 1995 © La Découverte 1987
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Nous remercions Pierre Vidal-Naquet et les éditions de La Découverte de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.
Posez la question autour de vous. Je l'ai fait, y compris à un certain nombre de Juifs, plus ou moins jeunes, ou même orphelins de déportés. Pratiquement la moitié n'avait jamais entendu parler du Zyklon B, d'autres se souvenaient de ce nom en rapport avec les chambres à gaz (ils avaient vu Holocauste à la télévision ou lu les articles du Monde), mais aucun ne savait précisément de quel genre de produit il s'agissait.

Alors, qu'ils cherchent dans le dictionnaire : ni Cyclon ni Zyklon ne figurent dans le Petit Larousse illustré (édition de1979), le petit Quillet-Flammarion (édition 1963), ou même le Larousse en trois volumes (édition 1965), ou l'Encyclopaedia universalis en vingt volumes (édition 1968-1975).

Cela rend évidemment plus facile la tâche de ceux qui voudraient nier que les chambres à gaz aient existé dans les camps de concentration nazis. Un Paul Rassinier peut monter en épingle des « contradictions »: « un insecticide : aucun gaz non plus n'avait donc été prévu pour exterminer (!) » et plus loin : « Le Cyclon B se présente sous forme de cailloux bleus d'où le gaz se dégage... » ; ou bien : « Ce célèbre gaz qu'on nous a, jusqu'ici, présenté "en pastilles d'où le gaz sortait au contact de l'air", "au contact de la vapeur d'eau", se présentait en réalité sous la forme d'un "liquide en bonbonnes", d'un liquide très volatil[1] ».

Un Robert Faurisson peut ironiser sur « les cristaux d'un gaz[2] », ou insister de façon répétée sur le fait que le Zyklon B adhère aux surfaces, est difficile à ventiler, etc.[3].

Cette note va essayer de donner quelques précisions en explicitant entre autres les termes chimiques indispensables.

J'ai d'abord jugé nécessaire d'aller rechercher la définition du Zyklon B dans un ouvrage classique de chimie industrielle, édité en Allemagne en 1954[4].

« L'acide cyanhydrique (ou prussique) est un puissant poison du sang pour tous les animaux supérieurs. La DL50 (dose léthale [mortelle] à 50 % des cas) pour l'homme se monte à 1 mg/kg de poids du corps. En Allemagne la forme la plus courante d'application de l'acide cyanhydrique est le Zyklon B, un mélange d'acide cyanhydrique liquide avec des dérivés chlorés et bromés comme produits de stimulation et la silice comme masse de support. » Suit un tableau des principales propriétés de quelques gaz et vapeurs utilisés comme insecticides, où l'on lit :

« Blausäure - Formel HCN - Kp 25, 6 °C - Dichte (Luft=1) 0,93 », c'est-à-dire « Acide cyanhydrique - formule (chimique) HCN - Point d'ébullition 25,6° centigrades - densité (air=1) 0,93. »

On voit donc que :

Les principaux arguments « techniques » de R. Faurisson à l'appui de sa thèse de l'inexistence des chambres à gaz dans les camps de déportation sont[6] : Or il se trouve qu'un des premiers documents écrits que j'ai eu l'occasion de lire sur les chambres à gaz - c'était en Suisse en 1944 et, privilégié, j'y commençais mes études de chimie - était une description assez précise du processus de gazage et des précautions prises après gazage (aération, etc. ).

Je pense donc intéressant de la citer presque in extenso[7] :

« A fin février 1943, on inaugura à Birkenau le nouvel établissement de gazage et son crématoire moderne, dont la construction venait d'être terminée... [suit la description des crématoires A et de la halle de préparation B].
« [...] De là, une porte et quelques marches conduisent à la chambre des gaz, étroite et très longue, située un peu en contrebas. Les murs de cette chambre sont masqués de tentures donnant l'illusion d'une immense salle de bains. Dans le toit plat s'ouvrent trois fenêtres, qu'on peut fermer hermétiquement du dehors. Des rails courent à travers la halle, menant à la chambre des fours.
« Voici le déroulement des "opérations " :
« Les malheureux sont amenés dans la halle B, on leur déclare qu'ils doivent prendre un bain et se déshabiller dans ce local. Pour les persuader qu'on les conduit vraiment au bain, deux hommes vêtus de blanc leur remettent à chacun un linge de toilette et un morceau de savon. Puis on les pousse dans la chambre des gaz C. 2 000 personnes peuvent y rentrer, mais chacun ne dispose strictement que de la place pour se tenir debout. Pour parvenir à parquer cette masse dans la salle, on tire des coups de feu répétés afin d'obliger les gens qui y ont déjà pénétré à se serrer. Quand tout le monde est à l'intérieur, on verrouille la lourde porte. On attend quelques minutes, probablement pour que la température dans la chambre puisse atteindre un certain degré, puis des SS revêtus de masques à gaz montent sur le toit, ouvrent les fenêtres et lancent à l'intérieur le contenu de quelques boîtes de fer-blanc : une préparation en forme de poudre. Les boîtes portent l'inscription "Cyklon " (insecticide), elles sont fabriquées à Hambourg. Il s'agit probablement d'un composé de cyanure, qui devient gazeux à une certaine température. En trois minutes, tous les occupants de la salle sont tués. Jusqu'à présent on n'a jamais trouvé à l'ouverture de la chambre des gaz un seul corps qui donnât un signe quelconque de vie, ce qui se produisait au contraire fréquemment à Birkenwald, à cause des moyens primitifs qu'on y employait. On ouvre donc la salle, on l'aère, et le Sonderkommando commence à transporter les cadavres, sur des wagonnets plats, vers les fours d'incinération, où ils sont brûlés. »

Je ne dirai pas que je n'ai pas été « choqué » a cette lecture, mais c'est sur le plan humain et non sur celui de la vraisemblance technique. A le relire aujourd'hui, il me paraît, d'une part, en concordance remarquable avec les caractéristiques du Zyklon B évoquées plus haut, d'autre part, quasiment « répondre » aux arguments de R. Faurisson :
les gens se serrent, les SS portent des masques à gaz, les fenêtres sont situées sur le toit et on peut les fermer hermétiquement du dehors, on aère la salle avant l'entrée du Sonderkommando, et la chambre à gaz est séparée des fours d'incinération puisqu'on utilise des wagonnets sur rails entre les deux.

J'ajouterai que ce rapport de deux jeunes Juifs slovaques évadés de Birkenau[8] a été publié à Genève en 1944 ; c'est dire qu'il n'est ni « tardif », ni «rédigé sous la surveillance de geôliers polonais », ni « vague et bref », ni « miraculeusement retrouvé » - comme R. Faurisson le dit de tous les témoignages qu'on lui oppose[9] - et qu'il me paraît au contraire étonnamment précis et rédigé sans passion et par des gens à qui, à cette époque, on aurait pu pardonner un certain manque de sang-froid.

Examinons maintenant d'un peu plus près d'autres affirmations « scientifiques » de R. Faurisson. Je ne prendrai que deux exemples :

En conclusion, je voudrais malheureusement citer un fait qui s'est passé tout récemment en Suisse[15] : dans la nuit du l5 mai 1980, le cimetière juif Ob Friesenberg à Zurich a eu de nombreuses tombes couvertes de croix gammées et d'inscriptions dont l'une était justement : « Mehr Zyklon B für Juden » (davantage de Zyklon B pour les Juifs). Son auteur ne devait pas encore avoir lu les écrits de R. Faurisson.

Pitch BLOCH
ingénieur chimiste
École polytechnique fédérale de Zurich
docteur ès sciences

  1. Paul RASSINIER, Ulysse trahi par les siens, lere édition, La Librairie française, 1961 ; réédition La Vieille Taupe, 1980, p. 111, 155.
  2. Robert FAURISSON, « Le Problème des chambres à gaz », Défense de l'Occident, juin 1978, in Serge THION, Vérité historique ou Vérité politique ?, La Vieille Taupe, 1980, p. 86.
  3. Ibid., p. 88 et aussi : articles dans Le Monde du 29 décembre 1978 (in Vérité..., p. 104-105), du 16 janvier 1979 (p. 110-111), et du 29 mars 1979 (p. l12), et interview à Storia Illustrata d'août 1979 (p. 175-176 et notes p. 203-204).
  4. K. WINNACKER et E. WEINGAERTNER, Chemische Technologie-Organische Technologie II, Carl Hanser Verlag, Munich, 1954, p. 1005-1006.
  5. INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE SÉCURiTÉ, « Acide cyanhydrique », fiche toxicologique no 4 (éd. révisée 04/69).
  6. R. FAURISSON, op. cit., p. 88, 104-105, 110-111, 112, 174-177 et notes p. 203-204, 319-321.
  7. L'Extermination de Juifs en Pologne V-X - dépositions de témoins oculaires, troisième partie, « Les camps d'extermination », C.J.M., 1944, p. 59-60.
  8. Ils ont été identifiés depuis, il s'agit de R. Vrba et F. Wetzler, cf. G. WELLERS, Mythomanie, p. 14-15 ; ce témoignage a été publié dans une autre traduction dans la brochure Auschwitz et Birkenau, Office français d'Édition, 1945, p. 17-18 [P.V.-N.].
  9. R. FAURISSON, Vérité..., p. 87, l10, 175, etc.
  10. Ibid., p. 202, n. l.
  11. Pour autant que je sache, il s'agit effectivement d'une légende [P.V.-N.].
  12. K. WINNACKER et E. WEINGAERTNER, op. cit., p. 276.
  13. R. FAURISSON, Vérité..., p. 312.
  14. CaC2+H2O -> C2H2+Ca (OH)2 : voir par exemple G.CHAMPETIER, La Grande Industrie chimique organique, coll. « Que sais-je ? », no 436, PUF, 1950, p. 65.
  15. Jüdische Rundschau Maccabi, no 23, p. 5 (5 juin 1980).

(Sommaire)

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