Pitch Bloch:
Ziklon B
Texte publié en appendice à « Un Eichmann de papier ».
in Les assassins de la mémoire Points Seuil, 1995 © La Découverte 1987
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Posez la question autour de vous. Je l'ai fait, y compris à un certain
nombre de Juifs, plus ou moins jeunes, ou même orphelins de
déportés. Pratiquement la moitié n'avait jamais entendu
parler du Zyklon B, d'autres se souvenaient de ce nom en rapport avec les
chambres à gaz (ils avaient vu Holocauste à la
télévision ou lu les articles du Monde), mais aucun ne
savait
précisément de quel genre de produit il s'agissait.
Alors, qu'ils cherchent dans le dictionnaire : ni Cyclon ni Zyklon ne figurent
dans le Petit Larousse illustré (édition de1979), le petit
Quillet-Flammarion (édition 1963), ou même le
Larousse en trois
volumes (édition 1965), ou l'Encyclopaedia universalis en
vingt volumes
(édition 1968-1975).
Cela rend évidemment plus facile la tâche de ceux qui voudraient
nier que les chambres à gaz aient existé dans les camps de
concentration nazis. Un Paul Rassinier peut monter en épingle des
« contradictions »: « un insecticide : aucun gaz
non plus
n'avait donc été prévu pour exterminer (!) » et
plus loin : « Le Cyclon B se présente sous forme de cailloux
bleus d'où le gaz se dégage... » ; ou bien : « Ce
célèbre gaz qu'on nous a, jusqu'ici, présenté
"en
pastilles d'où le gaz sortait au contact de l'air", "au
contact de la
vapeur d'eau", se présentait en réalité sous la forme d'un
"liquide en bonbonnes", d'un liquide très volatil[1] ».
Un Robert Faurisson peut ironiser sur « les cristaux d'un gaz[2]
», ou insister de façon répétée sur le fait
que le Zyklon B adhère aux surfaces, est difficile à ventiler,
etc.[3].
Cette note va essayer de donner quelques précisions en explicitant entre
autres les termes chimiques indispensables.
J'ai d'abord jugé nécessaire d'aller rechercher la
définition du Zyklon B dans un ouvrage classique de chimie industrielle,
édité en Allemagne en 1954[4].
« L'acide cyanhydrique (ou prussique) est un puissant poison du sang
pour tous les animaux supérieurs. La DL50 (dose
léthale [mortelle]
à 50 % des cas) pour l'homme se monte à 1 mg/kg de poids du
corps. En Allemagne la forme la plus courante d'application de l'acide
cyanhydrique est le Zyklon B, un mélange d'acide cyanhydrique liquide
avec des dérivés chlorés et bromés comme produits
de stimulation et la silice comme masse de support. » Suit un tableau
des principales propriétés de
quelques gaz et vapeurs utilisés comme insecticides, où l'on lit
:
« Blausäure - Formel HCN - Kp 25, 6 °C - Dichte (Luft=1) 0,93
», c'est-à-dire « Acide cyanhydrique - formule (chimique)
HCN - Point d'ébullition 25,6° centigrades - densité (air=1)
0,93. »
On voit donc que :
- L'acide cyanhydrique est un liquide très volatil, puisqu'il bout
à 25, 6°C sous pression atmosphérique et que sa «
tension de vapeur » est déjà de 360 mm de mercure à
7°C et de 658,7 mm de mercure à 21,9°C[5].
On peut se figurer les caractéristiques de l'acide cyanhydrique
à
partir d'un produit plus courant et moins toxique : par exemple, l'éther
ordinaire bout à 34, 6°C ; essayez d'en ouvrir un flacon sur une
table devant vous ; vous pourrez voir comment ce « liquide » se
transforme aisément en « gaz ». -
Mais l'acide cyanhydrique a un point d'ébullition plus
élevé que certains autres insecticides gazeux mentionnés
dans le même tableau ; ainsi l'anhydride sulfureux (SO2)
bout à
-10°C, le bromure de méthyl à 3, 6°C, ou l'oxyde
d'éthylène à 11, 6°C (R. Faurisson cite ce dernier
composé sous le nom de Cartox ; cf. Vérité...,
p. 310). On
comprend donc pourquoi la firme Degesch de Hambourg peut parler de «
ventilabilité de longue durée » pour le Zyklon B.
-
Enfin, l'acide cyanhydrique est utilisé en Allemagne sous une forme
« adsorbée » sur un
support solide (« Diatomit » qui est une sorte de terre
siliceuse). Et cela explique bien que de nombreux témoins aient pu
parler de « solides » utilisés dans les chambres à
« gaz ».
Les principaux arguments « techniques » de
R. Faurisson à l'appui de sa thèse de l'inexistence des chambres
à gaz dans les camps de déportation sont[6] :
- on ne peut pas faire tenir 2 000 personnes dans un local de 210m2
(ou 236,78
m3 selon les documents) ;
- les équipes intervenaient sans masque à gaz ;
-
pour jeter le Zyklon B de l'extérieur, il aurait fallu que les SS
prient leurs futures victimes de bien vouloir ouvrir les fenêtres puis de
les refermer soigneusement ;
-
on ne pouvait pénétrer dans la chambre à gaz pour en
extraire les cadavres sans l'avoir préalablement aérée ou
ventilée ;
-
enfin, l'acide cyanhydrique étant inflammable et explosible, on ne
peut l'employer à proximité d'un four.
Or il se trouve qu'un des premiers documents écrits que j'ai eu
l'occasion de lire sur les chambres à gaz - c'était en Suisse en
1944 et, privilégié, j'y commençais mes études de
chimie - était une description assez précise du processus de
gazage et des précautions prises après gazage
(aération,
etc. ).
Je pense donc intéressant de la citer presque in extenso[7] :
« A fin février 1943, on inaugura à Birkenau le nouvel
établissement de gazage et son crématoire moderne, dont la
construction venait d'être terminée... [suit la description des
crématoires A et de la halle de préparation B].
« [...] De là, une porte et quelques marches conduisent
à
la chambre des gaz, étroite et très longue, située un peu
en contrebas. Les murs de cette chambre sont masqués de tentures donnant
l'illusion d'une immense salle de bains. Dans le toit plat s'ouvrent trois
fenêtres, qu'on peut fermer hermétiquement du dehors. Des rails
courent à travers la halle, menant à la chambre des fours.
« Voici le déroulement des "opérations " :
« Les malheureux sont amenés dans la halle B, on leur
déclare qu'ils doivent prendre un bain et se déshabiller dans ce
local. Pour les persuader qu'on les conduit vraiment au bain, deux hommes
vêtus de blanc leur remettent à chacun un linge de toilette et un
morceau de savon. Puis on les pousse dans la chambre des gaz C. 2 000 personnes
peuvent y rentrer, mais chacun ne dispose strictement que de la place pour se
tenir debout. Pour parvenir à parquer cette masse dans la salle, on tire
des coups de feu répétés afin d'obliger les gens qui y ont
déjà pénétré à se serrer. Quand tout
le monde est à l'intérieur, on verrouille la lourde porte. On
attend quelques minutes, probablement pour que la température dans la
chambre puisse atteindre un certain degré, puis des SS revêtus de
masques à gaz montent sur le toit, ouvrent les fenêtres et lancent
à l'intérieur le contenu de quelques boîtes de fer-blanc :
une préparation en forme de poudre. Les boîtes portent
l'inscription "Cyklon " (insecticide), elles sont fabriquées à
Hambourg. Il s'agit probablement d'un composé de cyanure, qui devient
gazeux à une certaine température. En trois minutes, tous les
occupants de la salle sont tués. Jusqu'à présent on n'a
jamais trouvé à l'ouverture de la chambre des gaz un seul corps
qui donnât un signe quelconque de vie, ce qui se produisait au contraire
fréquemment à Birkenwald, à cause des moyens primitifs
qu'on y employait. On ouvre donc la salle, on l'aère, et le
Sonderkommando commence à transporter les cadavres, sur des wagonnets
plats, vers les fours d'incinération, où ils sont
brûlés. »
Je ne dirai pas que je n'ai pas été « choqué
» a cette lecture, mais c'est sur le plan humain et non sur celui de la
vraisemblance technique. A le relire aujourd'hui, il me paraît, d'une
part, en concordance remarquable avec les caractéristiques du Zyklon B
évoquées plus haut, d'autre part, quasiment «
répondre » aux arguments de R. Faurisson :
les gens se serrent, les SS portent des masques à gaz, les
fenêtres sont situées sur le toit et on peut les fermer
hermétiquement du dehors, on aère la salle avant l'entrée
du Sonderkommando, et la chambre à gaz est séparée des
fours d'incinération puisqu'on utilise des wagonnets sur rails entre les
deux.
J'ajouterai que ce rapport de deux jeunes Juifs slovaques évadés
de Birkenau[8] a été
publié à Genève en 1944
; c'est dire qu'il n'est ni « tardif »,
ni «rédigé sous la surveillance de geôliers polonais
», ni « vague et bref », ni « miraculeusement
retrouvé » - comme R. Faurisson le dit de tous les
témoignages qu'on lui oppose[9] - et
qu'il me paraît au contraire
étonnamment précis et rédigé sans passion et par
des gens à qui, à cette époque, on aurait pu pardonner un
certain manque de sang-froid.
Examinons maintenant d'un peu plus près d'autres affirmations «
scientifiques » de R. Faurisson. Je ne prendrai que deux exemples :
- A propos des cadavres transformés en savon pendant la
Première
Guerre mondiale, il écrit[10] :
« Cette légende absurde (interrogez là-dessus un
anatomiste, un chimiste, un spécialiste quelconque) a été
reprise, mais sans grand succès, à propos de la Seconde Guerre
mondiale. » Je ne débattrai pas ici de la vérité ou
de la fausseté de cette « légende[11] », mais je ne
vois vraiment pas son caractère « absurde », puisqu'on
prépare couramment des savons à partir de suifs de boeuf ou de
mouton, de saindoux de porc ou de graisse de cheval[12], alors pourquoi pas
d'autres animaux supérieurs ?
-
A propos de gaz se dégageant de sels cyanhydriques sous l'effet de
l'eau, il écrit[13] :
« Pour la première fois dans l'histoire de la chimie, du sel
additionné d'eau donnait ainsi un gaz. » Sans être «
historien de la chimie », je pense que pas mal de lecteurs savent, par
exemple, comment fonctionne (ou ont même eu l'occasion de voir) un banal
générateur d'acétylène où du carbure de
calcium (un « sel » et un solide) est décomposé par
l'eau pour donner de l'acétylène gazeux[14].
En conclusion, je voudrais malheureusement citer un fait qui s'est passé
tout récemment en Suisse[15] :
dans la nuit du l5 mai 1980, le cimetière juif Ob Friesenberg à
Zurich a eu de nombreuses tombes couvertes de croix gammées et
d'inscriptions dont l'une était justement : « Mehr Zyklon B
für Juden » (davantage de Zyklon B pour les Juifs). Son
auteur ne
devait pas encore avoir lu les écrits de R. Faurisson.
Pitch BLOCH
ingénieur chimiste
École polytechnique
fédérale de Zurich
docteur ès sciences
- Paul RASSINIER, Ulysse trahi par les siens, lere
édition, La
Librairie française, 1961 ; réédition La Vieille Taupe,
1980, p. 111, 155.
- Robert FAURISSON, « Le Problème des chambres
à gaz
», Défense de l'Occident, juin 1978, in Serge THION,
Vérité historique ou Vérité politique ?,
La Vieille
Taupe, 1980, p. 86.
- Ibid., p. 88 et aussi : articles dans Le
Monde du 29 décembre 1978
(in Vérité..., p. 104-105), du 16 janvier 1979 (p.
110-111), et
du 29 mars 1979 (p. l12), et interview à Storia Illustrata
d'août
1979 (p. 175-176 et notes p. 203-204).
- K. WINNACKER et E. WEINGAERTNER, Chemische
Technologie-Organische
Technologie II, Carl Hanser Verlag, Munich, 1954, p. 1005-1006.
- INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE
SÉCURiTÉ, « Acide
cyanhydrique », fiche toxicologique no 4 (éd.
révisée 04/69).
- R. FAURISSON, op. cit., p. 88, 104-105, 110-111,
112, 174-177 et notes p.
203-204, 319-321.
- L'Extermination de Juifs en Pologne V-X -
dépositions de
témoins oculaires, troisième partie, « Les camps
d'extermination »,
C.J.M., 1944, p. 59-60.
- Ils ont été identifiés depuis, il
s'agit de R. Vrba et
F. Wetzler, cf.
G. WELLERS, Mythomanie, p. 14-15 ; ce témoignage a
été
publié dans une autre traduction dans la brochure Auschwitz et
Birkenau,
Office français d'Édition, 1945, p. 17-18 [P.V.-N.].
- R. FAURISSON, Vérité..., p. 87, l10,
175, etc.
- Ibid., p. 202, n. l.
- Pour autant que je sache, il s'agit effectivement d'une
légende
[P.V.-N.].
- K. WINNACKER et E. WEINGAERTNER, op. cit., p. 276.
- R. FAURISSON, Vérité..., p. 312.
- CaC2+H2O ->
C2H2+Ca (OH)2 : voir par exemple
G.CHAMPETIER, La Grande
Industrie chimique organique, coll. « Que sais-je ? », no 436,
PUF, 1950, p. 65.
- Jüdische Rundschau Maccabi, no 23, p. 5 (5
juin 1980).
(Sommaire)
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