© Michel Fingerhut 1996/7

Pierre Vidal-Naquet:
Les assassins de la mémoire (8)
in Les assassins de la mémoire Points Seuil, 1995 © La Découverte 1987
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VIII. EN GUISE DE CONCLUSION


Pendant que je préparais ce mélancolique essai, mon ami François Gèze m'a fait connaître Cambalache, un tango du poète argentin Enrique Santos Discépolo. Il trouvait, et je trouve aussi, qu'il décrit bien ce monde qui est le nôtre, où poussent tout de même parfois quelques fleurs de vérité qui donnent espoir et dont j'essaie, du mieux que je peux, d'être un jardinier parmi tant d'autres, sans savoir comment le redresser. Le voici, dans la traduction qu'ont écrite pour moi Fanchita Gonzalez Battle et François Gèze. Et je leur dis merci.
CAMBALACHE

Que le monde fut et sera toujours une saleté,
Je le sais.
En mille cinq cent six,
Et en l'an deux mille aussi.
Qu'il y a toujours eu des voleurs,
Des truqueurs et des escroqués,
Des satisfaits et des déçus,
De la morale et des mensonges,
Mais que le XXe siècle soit un torrent
De méchanceté insolente,
Plus personne ne peut le nier.
Nous vivons dans un tourbillon écumeux,
Et dans la même boue
Tous manipulés.

Aujourd'hui, ça revient au même
D'être loyal ou traître,
Ignorant, savant, voleur,
Généreux ou escroc.
Tout est pareil, rien n'est mieux,
Un âne vaut un grand professeur.
Il n'y a ni sanction ni récompense,
L'immoralité nous a rattrapés.
Que l'on vive dans l'imposture
Ou que l'on coure après son ambition,
Peu importe que l'on soit curé,
Matelassier, roi de pique,
Tête de mule ou franc salaud.

Quel manque de respect,
Quelle injure à la raison,
N'importe qui est un seigneur,
N'importe qui est un voleur.
Mêlés à Stavisky
On trouve Don Bosco et la putain,
Don Chicho et Napoléon,
Carnera et San Martin,
Comme dans la vitrine irrespectueuse
Des vieux bazars,
Tout dans la vie s'est mélangé,
Et, blessé par un sabre déglingué,
Tu vois pleurer la Bible contre un chauffe-eau.

Vingtième siècle, vieux bazar Fiévreux et problématique.
Qui ne demande rien n'a rien
Et celui qui ne vole pas est un imbécile.
Vas-y donc, ne te gêne pas,
On se retrouvera tous en enfer.
Ne réfléchis plus, reste dans ton coin,
Nul ne veut savoir si tu es né honnête.
Tout est pareil: celui qui trime
Nuit et jour comme un b\oe uf,
Celui qui vit des filles,
Celui qui tue, celui qui guérit
Ou celui qui s'est mis hors-la-loi.
Enrique Santos Discépolo.

La vérité aura le dernier mot ? Comme on aimerait en être sûr...

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