© Michel Fingerhut 1996/7

Martine Aubry et Olivier Duhamel:
Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême-droite (A)
Éditions du Seuil (©) Octobre 1995. ISBN 2-02-029984-4
Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only


Introduction - A - B - C - D - E - F - G - H - I - J - L - M - N - O - P - R - S - T - U - V - X - Annexe 1 - Annexe 2

Agir

Pourquoi agir ? Parce qu'il y a urgence. La France a un parti d'extrême droite fort, des actes quotidiens de racisme se généralisent.

Nous devons réagir et agir, comme le font de nombreux organismes, qui se battent depuis longtemps contre le racisme, nous devons tenir notre cerveau et notre coeur en éveil, multiplier les répliques, forger de nouvelles pratiques civiques, et oser nous engager pour la démocratie puisqu'elle est désormais en danger.

Agir individuellement

Anne Tristan, auteur de la remarquable enquête Au Front (Gallimard, 1987), raconte par ailleurs l'anecdote du café : « Ce cliché banal d'un quotidien banal a été pris dans les quartiers nord de Marseille en 1987. Des militants de la section Front national de l'arrondissement achèvent une réunion au comptoir d'un bar. Un verre à la main, ils tonitruent une rengaine connue : "Si on ne réagit pas, on est foutu ! La France est défigurée ! Y a qu'une solution, les foutre à la mer !" Des yeux, ils cherchent à agripper les autres clients. Quelques regards les approuvent, se laissent entraîner. Les autres fuient, se détournent, s'en vont glisser le long des murs. Tout fiers à la sortie du café, les militants se séparent en se congratulant : "Vous avez vu, tous les Français sont pour nous, y en a pas un qui est contre nous..." » (Face au racisme, 1, La Découverte, 1991 ; « Points Essais », 1993, p. 49.)

Qui n'a pas été confronté ainsi au racisme ordinaire ? Qui n'est jamais resté silencieux ? Apprendre à réagir, à objecter, toujours, à un chauffeur de taxi graveleux qui cherche la complicité lepéniste, au vieux copain retraité qui ne peut pas s'empêcher de râler contre les étrangers, à un flic énervé et agressif qui opère irrespectueusement un contrôle d'identité sous nos yeux, à un immigré d'hier qui se plaint de l'immigré d'aujourd'hui, au cousin qui glisse la blague raciste, à l'électeur qui sollicite l'approbation, et, parfois, à soi-même.

Agir collectivement

Des associations prennent en charge, souvent très activement, la lutte antiraciste. Les principales d'entre elles sont l'objet d'une entrée du présent dictionnaire. Adhérer à celle(s) dont on se sentirait le plus proche est une oeuvre d'utilité civique.

Des syndicats, des partis politiques, surtout à gauche, parfois à droite, se mobilisent, au moins face à des événements chocs.

On peut les accompagner. On peut organiser des manifestations-riposte, dans l'urgence. Mais le temps est venu d'inventer de nombreuses formes d'action, parfois ludiques et spectaculaires, parfois discrètes mais concrètes. Le présent dictionnaire se veut un début. Faites-nous part de vos expériences, de vos idées. Des éditions ultérieures permettront de les répercuter. Pour que la lutte contre l'extrême droite progresse et gagne.

Voir Mouvement AGIR.

Aimer détester

Le plaisir de haïr : le vrai ressort du nazisme hier, du lepénisme aujourd'hui, de l'extrême droite toujours.

Voir Haine de l'autre.

Ali, Ibrahim

Lycéen de 17 ans, d'origine comorienne, tué dans la nuit du 22 février 1995 à Marseille d'une balle de 22 long rifle tirée dans le dos par des colleurs d'affiche de Jean-Marie Le Pen (Le Monde, 24 février 1995). Pour le chef du FN, « il s'agit d'un drame de l'autodéfense [...]. Je le considère comme une victime ainsi que ceux qui se trouvent impliqués dans cette affaire, victime de l'atmosphère qui règne dans ces banlieues ». Et il ajoute, sans vergogne : « Ce genre d'événement arrive toujours trois ou quatre jours avant que je ne sois appelé à m'exprimer sur un grand média » (AFP, 26 février 1995). Quelques jours plus tard, il va plus loin dans la défense des agresseurs : « ce sont des hommes modestes, ce sont des ouvriers », appelle à l'indulgence et proclame qu'il n'y a « aucune connotation raciste » dans ce drame. Incitation au racisme ici, absolution du racisme là, l'inspiration ne change pas.

Allemagne

La montée de l'extrême droite touche nombre de pays européens, même si elle prend dans chacun d'eux des formes spécifiques. La spécificité française tient à l'existence d'un grand parti politique d'extrême droite, exception partagée dans une certaine mesure avec l'Autriche (mais là, c'est un parti démocratique, le FPÖ, qui subit une évolution extrémiste sous la conduite d'un leader populiste, Jorg Haider).

Dans d'autres pays comme l'Allemagne, la montée du racisme et de l'extrémisme de droite se manifeste par la prolifération de groupuscules plus ou moins néo-nazis et par la multiplication des violences xénophobes, particulièrement à l'encontre des immigrés turcs. Les frustrations qui ont suivi la réunification ont aiguisé le problème. 77 organisations d'extrême droite étaient recensées à la fin de 1993, regroupant un peu plus de 40 000 personnes (plus les 20 000 adhérents des Republikaner). Les statistiques de l'Office fédéral pour la protection de la Constitution attestent que les violations de la loi par des extrémistes de droite tournaient autour du chiffre moyen de 1400 par an dans la seconde moitié des années quatre-vingt, pour s'élever à 4 000 en 1991, 7 000 en 1992, 8 000 en 1993. Environ 40% de ces actes délictueux relèvent de la propagande raciste, environ 20% impliquent une violence. La progression des actes de violence dépasse le mouvement général d'aggravation, puisqu'ils ont décuplé ces dix dernières années. Il s'agit pour la plupart d'actes xénophobes, marginalement d'actes antisémites (2% des cas).

Les incendies criminels se comptent chaque année par centaines et se soldent parfois par des morts. La société allemande réagit alors plus vigoureusement que la société française. Au lendemain d'un incendie volontairement meurtrier, plusieurs grandes entreprises d'outre-Rhin se sont regroupées pour acheter une page de publicité dans des magazines avec une croix en flamme et un appel à la vigilance.

La société réagit, l'État agit. La démocratie allemande n'hésite pas à se protéger. La Constitution prévoit l'interdiction des partis qui récusent l'ordre démocratique. En 1992, sept groupes néo-nazis ont été interdits : Nationalistische Front, Deutsche Alternative, Nationale Offensive, Deutscher Kameradschaftsbund Wilhelmshaven, Nationaler Block, Heimattreue Vereinigung Deutschlands, Freundeskreis Freiheit für Deutschland. D'autres mouvements d'extrême droite, plus prudents, subissent enquêtes et contrôles de l'Office fédéral pour la protection de la Constitution et risquent la dissolution par le tribunal constitutionnel de Karlsruhe. Les Republikaner, la Deutsche Volksunion ou les Nationaldemokraten (NPD) s'en tiennent alors à un racisme et un antisémitisme latents pas plus respectables mais moins contagieux. Les administrations judiciaires régionales et l'Office fédéral disposent de moyens importants et les mettent en oeuvre. En 1993, 23 318 procédures d'enquête pour délits extrémistes de droite et/ou xénophobes ont été engagées : deux fois plus que l'année précédente ; 21 384 prévenus ont été mis en cause ; 345 personnes ont été l'objet d'un mandat d'arrêt. Une nouvelle loi relative à la criminalité a été adoptée le 20 mai 1994, réprimant la diffusion de moyens de propagande ou de signes distinctifs d'organisations anticonstitutionnelles, ainsi que celle des signes distinctifs qui y ressemblent à s'y méprendre, simplifiant les poursuites pour l'incitation à la haine raciale, qualifiant de crime l'approbation, la dénégation ou la minimisation du génocide juif, et facilitant les contrôles postaux et l'écoute téléphonique des membres d'associations visant à commettre des délits extrémistes.

La lutte contre l'extrémisme de droite transcende les clivages politiques. C'est un ministre de l'Intérieur conservateur, Manfred Kanther, qui déclare, le 27 mai 1994, à Königswinter, lors du 5ème Dialogue germano-juif : « L'extrémisme de droite est l'un des grands défis et des grands champs d'action des années quatre-vingt-dix. » C'est le ministre fédéral de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, qui déclare, le 26 avril 1994, à Zurich : « J'ai toutefois personnellement l'impression que l'Allemagne prend peu à peu conscience du fait que les incendiaires et les délinquants, jeunes pour la plupart, doivent certes être poursuivis et condamnés avec la plus grande conséquence, mais que les délits qu'ils commettent ne sont que l'expression visible d'une attitude intellectuelle radicale, dans l'ensemble beaucoup plus dangereuse, de parties désormais non négligeables de la population. »

Les Allemands dans leur ensemble apparaissent nettement moins xénophobes que les Français, alors qu'ils accueillent plus d'étrangers que nous (8,2% de leur population en 1990). 65% d'entre eux estiment que « les enfants d'étrangers nés ici devraient se voir attribuer automatiquement la nationalité allemande » (contre 27% : « pas automatiquement ») (enquête de l'Institut démoscopique d'Allensbach sur l'attitude face aux étrangers, 12 juin 1994). 63% des Allemands estiment que les étrangers devraient avoir eux aussi le droit de voter lors des élections communales (même source).

Ce travail en profondeur, de l'État, des partis démocratiques, de l'ensemble de la société, s'est traduit, en 1994, par un recul très net des partis politiques d'extrême droite. Les Republikaner, qui espéraient entrer au Bundestag (l'Assemblée nationale allemande), n'ont pas franchi le seuil des 5%, les nationaux-démocrates du NPD se sont groupuscularisés.

L'exemple allemand illustre ainsi l'utilité d'une lutte active contre l'extrême droite dont la France devrait s'inspirer.

Allocations familiales

Les allocations familiales sont la principale prestation versée par les caisses d'allocations familiales. Ces caisses sont également chargées de verser les prestations liées à la naissance et à la petite enfance, l'aide au logement et le RMI (revenu minimum d'insertion).

Les étrangers vivant en France en situation régulière ont droit aux allocations familiales pour leurs enfants à charge résidant en France. Ces derniers mots importent, car on dit souvent, et on croit parfois, que les étrangers perçoivent des allocations pour leurs enfants restés au pays d'origine : c'est un mensonge ou une erreur.

Au 31 décembre 1992, sur 8,2 millions d'allocataires des caisses d'allocations familiales qui perçoivent des prestations, y compris le RMI, 710 000 étaient de nationalité étrangère, soit 8,7%, chiffre à comparer à leur pourcentage dans la population active (6,4%).

Il est vrai que les allocataires étrangers perçoivent des allocations en moyenne plus importantes que les Français : 2 600 francs de prestations contre 1 740 francs. Cette différence s'explique par un nombre plus élevé d'enfants (44% d'étrangers ont au moins trois enfants à charge en France, contre 25% des Français), et par le niveau plus faible de leurs ressources. Au demeurant, globalement, les étrangers versent à la Sécurité sociale plus qu'ils n'en reçoivent.

Mais n'oublions pas que le versement de ces prestations réduit les inégalités sociales et constitue ainsi un facteur important d'intégration.

Antisémitisme

Pour éviter les condamnations judiciaires, l'antisémitisme du Front national devient implicite [Voir Racisme Symbolique]. Il le fut parfois moins. Ainsi de l'échange plusieurs fois rapporté entre Le Pen et la salle lors de la réunion tenue à la Mutualité par le FN, le 14 mars 1984 :

Le Pen : « Badinter ? »
La salle : « Juif ! »
Le Pen : « Lustiger ? »
La salle : « À mort les juifs ! »
Le Pen : « Madame Veil ? »
La salle : « Au four crématoire ! »

Que Le Pen soit antisémite ne fait donc aucun doute, et le présent dictionnaire en donnera, hélas, de multiples exemples. Il a d'ailleurs été condamné le 11 mai 1986 par le tribunal correctionnel d'Aubervilliers, à la demande de la LICRA, pour avoir déclaré à la fête « Bleu-blanc-rouge » du Front national, le 26 octobre 1985, au Bourget : « Je dédie votre accueil à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Yvan Levaï, à Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays. Ces gens-là sont la honte de leur profession. Monsieur Lustiger me pardonnera ce moment de colère, puisque même Jésus le connut lorsqu'il chassa les marchands du temple, ce que nous allons faire pour notre pays. »

Le tribunal constate : « L'invitation à exclure ces quatre personnes de France, outre qu'elle révèle l'intention de nuire, constitue une provocation à la discrimination » et ajoute : « L'antisémitisme n'est pas un problème juif, mais le problème de tous. Une attaque antisémite faite à un seul constitue en réalité une attaque et une menace pour tous et notamment pour une association qui s'illustre depuis plusieurs années dans la lutte contre l'antisémitisme. »

Le racisme de l'extrême droite, en France, en Autriche, en Allemagne, au Royaume-Uni, ailleurs, ne se réduit cependant pas à l'antisémitisme, lequel est une tendance lourde, structurelle, permanente de la pensée raciste. À la vieille obsession antijuive de ce courant s'est toujours ajouté, selon les époques, un racisme conjoncturel à l'égard de communautés particulières, boucs émissaires pour tous nos maux.

Voir Racisme, Rafle.

Appel à la vigilance

Le 13 juillet 1993, quarante intellectuels lançaient dans Le Monde un appel à la vigilance vis-à-vis de l'extrême droite. Cet appel mettait en garde contre les opérations de séduction lancées en direction de personnalités démocratiques et d'intellectuels de gauche, invités à dialoguer avec des personnes proches de l'extrême droite, au nom d'une pseudo-évolution de ces dernières et de la prétendue disparition des clivages idéologiques entre gauche et droite.

Il s'agissait d'une des premières initiatives pour ne pas traiter l'extrême droite comme les autres courants de pensée. Les signataires de cet appel s'engageaient à ne pas collaborer à des revues, ouvrages, émissions, colloques organisés par des personnes liées à l'extrême droite.

Un an plus tard, le 13 juillet 1994, Le Monde republiait ce texte, avec plus de mille cinq cents signataires, de France mais également de toute l'Europe, particulièrement d'Allemagne et d'Italie, où il avait eu un large écho. (Voir Jean-Marie Colombani, La gauche survivra-t-elle aux socialistes ?, Flammarion, 1994, p. 101-116.)

Arabes

Il existe, à l'évidence, un racisme antiarabe dans la population française. Pour le repérer, il faut poser crûment la question. Ce que fait l'institut de sondages CSA chaque année pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme. « Diriez-vous qu'en France, aujourd'hui, il y a trop ou pas trop de ... » Pour les Français, « il n'y a pas trop » d'Européens des pays méditerranéens (72%), de Juifs (66%), d'Asiatiques (61%), de Noirs (52% contre 35%). Mais « il y a trop » de musulmans (59% contre 30%), d'Arabes (62% contre 27%). Tels furent les chiffres de l'enquête de novembre 1994. Cela dit, si l'on compare les données de 1994 à celles de 1990, l'évolution est positive. Le nombre de Français estimant qu'il y a trop de Noirs est passé de 46% à 35%, trop d'Asiatiques de 40% à 27%, trop d'Arabes de 76% à 62%.

La spécificité de l'hostilité aux Arabes est confirmée par les réponses à une question sur les sentiments personnels éprouvés à l'égard de différents groupes. Espagnols et Portugais suscitent beaucoup la sympathie (85%), de même que les Antillais (82%), les Noirs d'Afrique (71%), les Juifs (69%), les pieds-noirs (68%). Les sentiments sont beaucoup plus partagés à l'égard des jeunes Français d'origine maghrébine, les Beurs (sympathie 54%, antipathie 35%), des Tziganes (51%-36%) et, surtout, des Maghrébins (47%-42%).

Par-delà ces chiffres, tout montre que le racisme antiarabe se niche au coeur du succès de l'extrême droite. La plupart des lettres de lecteurs lepénistes l'expriment, des reportages l'attestent, comme celui de Libération à Chambon-Feugerolles, 30 avril 1995 : « Pour vivre, j'ai 3 500 francs par mois et 740 francs d'aide au logement. Comment se fait-il que les Arabes roulent en Mercedes ? » La relation entre l'effondrement du communisme et l'expansion du national-racisme se trouve là aussi. Dans le besoin d'un coupable à qui imputer sa propre misère.

Voir Racisme, Racistes.

Artistes

Après le choc des élections municipales du 18 juin 1995, la conquête de Toulon, Marignane, Orange et, indirectement, Nice, par le Front national, des artistes ont réagi. De différentes manières.

Partir. Patrick Bruel, chanteur, a déplacé ses concerts de Toulon à La Seyne et d'Orange à Vaison-la-Romaine. « Pour moi, ne pas aller ici ou là, c'est dire : je ne cautionne pas ce qui se passe chez vous, donc je suis avec vous » (Le Monde, 23 juin). Denis Roche, écrivain et photographe, a annulé son exposition à Nice. « Je dénonce la mainmise sur la ville d'un homme [...] qui n'a cessé de promouvoir les idées imbéciles par lesquelles ce parti des ténèbres s'est constamment signalé, à savoir la xénophobie, le racisme et l'antisémitisme » (AFP, 19 juin). Angelin Preljocaj, chorégraphe, a décidé de quitter Toulon. « Je ne peux pas cautionner tout cela, rester c'est accepter une banalisation du Front national » (Var-Matin, 21 juin).

Venir. D'autres ont choisi l'acte inverse, avec les mêmes intentions. Khaled, chanteur de raï : « J'ai déjà donné des concerts dans des villes où l'extrême droite avait essayé de m'intimider, je n'ai jamais cédé. Je jouerai quoi qu'il arrive. » Daniel Herrero, rugbyman, veut s'opposer sur place. « Je vais collaborer à une structure de réflexion et de contre-pouvoir. C'est le moment de s'installer » (Var-Matin, 21 juin). Barbara Hendricks ira chanter à Orange, Higelin aussi.

Réagir. Les médias ont insisté sur ces réactions différentes, en les opposant radicalement. La réalité est inverse. Ces deux manières de dire et faire sont profondément liées. Elles le sont par leur finalité, du moins chez ceux qui se sont exprimés. Tous veulent marquer leur opposition au Front national. Tous refusent la pseudo-« préférence nationale », c'est-à-dire la discrimination xénophobe (les étrangers peuvent cotiser comme les Français, mais ils ne doivent pas recevoir les prestations comme les Français) ou raciste (priorité aux non-Beurs). Tous estiment que les valeurs fondamentales de l'art et de la culture sont aux antipodes de ces considérations sur les origines ou la couleur de la peau. À partir de là, les uns veulent dire leur refus en annulant leur venue, les autres en la proclamant sur place. C'est affaire de choix personnel, et les deux attitudes ont leur justification et leur efficacité.

Le boycott individuel ou la protestation au coeur de la ville sont également liés en ce que le premier aide la seconde. Il a fallu l'annulation cinglante de Bruel pour provoquer le débat public. Grâce à elle, d'autres se sont posé des questions. Beaucoup cherchent des formes d'action. Les médias sont et seront plus attentifs aux différentes manifestations. Bref, des gens prennent en charge la résistance au Front national.

Quelle fut la réplique de M. Le Pen ? La mise en cause de Bruel le juif - attaque antisémite à la fois évidente et implicite, comme sait le faire le chef du Front national pour s'éviter les foudres des tribunaux. Ces dérapages immondes devraient au moins ouvrir les yeux de qui les garde fermés et proteste que le FN est un parti respectable. Il existe évidemment des électeurs du Front national qui ne sont pas racistes. Puissent-ils voir que leurs chefs le sont et ne plus se commettre avec eux, ne serait-ce qu'avec un bulletin de vote !

Tout en respectant un choix différent, le nôtre est celui du combat sur place : nous pensons que les actions y seront plus efficaces. Pour ne laisser aucun terrain libre à l'extrême droite. Pour retrouver l'engagement des gens les uns aux côtés des autres.

Voir Benguigui.

Assas

Dénomination usuelle d'une partie de la faculté de droit de Paris, devenue aujourd'hui l'université de Paris II, Assas a été longtemps un bastion de l'extrême droite étudiante, notamment à travers le GUD [Voir Front National Jeunes]. Une action de longue haleine des mouvements étudiants de gauche d'un côté, des professeurs démocrates de l'autre, et notamment du président de l'université Philippe Ardant, a conduit à la marginalisation progressive de l'extrême droite à Assas, et à l'exclusion, en 1995, de l'un des derniers groupes ayant recours à la violence et qui ne représentait plus qu'une infime minorité des 19 000 étudiants.

Assimilation

Voir Intégration.

Associations sportives

« Quand les 45 présidents des 45 associations sportives de Vitrolles se sont mobilisés, ils ont été suivis par leur base : ceux qui participent à la vie de la cité. Ils prenaient un risque, sachant que si Mégret passait, ils risquaient de perdre leur emploi. Entre les deux tours, il y a eu une mobilisation phénoménale » (Jean-Jacques Anglade, maire sortant réélu contre Mégret à Vitrolles, le 18 juin 1995, dans une interview à Ras-l'Front, n° 30). Vitrolles fut un cas parmi d'autres, plus spectaculaire, parce que plus médiatisé

Partout où la lutte contre l'extrême droite est prise en charge par la société, partout où des hommes et des femmes par ailleurs peu politisés interviennent, partout où des organisations diverses n'ayant aucune activité politique réagissent parce qu'elles prennent conscience que le refus du racisme et de la xénophobie n'est pas une affaire politique ordinaire, la démocratie progresse.

Audience

26% des Français se disent en accord avec les idées défendues par Le Pen (enquête SOFRES-Presse de province, 1er juillet 1995). L'approbation mesurée par thèmes s'élève à 28% pour « ses prises de position sur les immigrés », 36% sur « la sécurité et la justice », 41% sur « la défense des valeurs traditionnelles ». L'adhésion aux thèses xénophobes de Le Pen a plutôt fléchi par rapport au début des années quatre-vingt-dix, puisqu'elle s'élevait à 38% en octobre 1991 et 35% en 1993 et 1994. À l'inverse, l'adhésion à ses thèses sécuritaires augmente. Le parti d'extrême droite stagne ; lorsqu'il se mue en parti de droite extrême, il progresse.

Le FN et son chef suscitent approbation et sympathie au-delà de leur électorat. Le Pen a recueilli 15% des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle, le 23 avril 1995, mais sa cote de confiance s'élève à 17% (BVA-Paris-Match, juin 1995) ; sa cote d'avenir (pourcentage de ceux qui souhaitent qu'il joue un rôle important au cours des mois et des années à venir) à 21% (SOFRES-Figaro-Magazine, juin 1995) ; la bonne opinion à l'égard du Front national à 18% (même source). 30% des Français trouvent que Le Pen « joue un rôle utile dans la vie politique » (BVA-La Marche du siècle, février 1995), contre 55% « un rôle nuisible ».

Le nombre de ceux qui voient dans le FN un danger pour la démocratie diminue : ils étaient 73% en janvier 1994, 68% en juillet 1995 (enquêtes SOFRES). Ces chiffres attestent que la menace est loin d'être écartée.

Voir Haine de l'autre.

Avortement

Le Front national a évolué dans ses positions relatives à l'avortement. La première charte du FN ne s'y opposait pas. Le Pen et son mouvement évolueront assez rapidement, d'une part pour s'agréger des catholiques intégristes, d'autre part lorsque l'interruption volontaire de grossesse sera dépénalisée par le Parlement (loi Veil de 1975). L'antisémitisme s'ajoutera au traditionalisme. Dorénavant, Simone Veil sera dénommée « la tricoteuse de Giscard » et cette formule ignoble ne sera pas désavouée par Le Pen : « Elle souligne d'une manière pittoresque et piquante le rôle du ministre dans la loi libéralisant l'avortement », déclarera-t-il à L'Heure de vérité, le 13 février 1984.

Dans les années quatre-vingt, les liens entre le FN et les opposants violents à l'avortement s'intensifieront avec le développement des commandos anti-IVG. Des membres du FN participent au comité d'honneur de l'association « Laissez-les vivre » et de « SOS-Tout-Petits », créée et dirigée par le docteur Xavier Dor (frontiste proche de Le Pen), celui-là même que la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Paris relaxera d'une action de commando. Il est vrai que ladite chambre était présidée par un proche de l'extrême droite, fidèle des intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. L'avocat du Front national, Georges Wagner, membre du bureau politique du FN, aime à défendre les commandos anti-IVG ; de même que le cercle Renaissance, dirigé par Michel de Rostolan, conseiller régional frontiste en Ile-de-France.

La lutte anti-IVG occupe enfin une grande place dans Présent, organe officieux du FN. Bernard Antony, dit Romain Marie, député frontiste européen, s'y exprime souvent pour les catholiques intégristes des comités Chrétienté-Solidarité. On peut ainsi lire, en dernière page de Présent, des mises en cause du « génocide français ». Non seulement ils ne répugnent pas à ce détournement de la notion de génocide, mais des associations proches de l'extrême droite comme l'Union des nations de l'Europe chrétienne, à laquelle participe Martine Lehideux, vice-présidente du FN, sont allées jusqu'à organiser des pèlerinages à Auschwitz pour comparer la Shoah et le génocide de l'avortement. L'amalgame remplit une double fonction : dramatiser l'avortement, banaliser le nazisme. Il dépasse d'ailleurs l'IVG et s'attaque également à la pilule abortive RU 486, mise au point par le professeur Beaulieu et qualifiée de « Zyklon B moderne » (voir l'étude de Flametta Venner, Le Monde des débats, novembre 1994).

Le combat contre l'interruption volontaire de grossesse offre aussi un terrain de liaison entre l'extrême droite et la droite parlementaire, ou gouvernementale. Le secrétaire d'État aux Finances du gouvernement Juppé, M. Hervé Gaymard, est le gendre du professeur Jérôme Lejeune, fondateur de « Laissez-les vivre ». On n'est évidemment pas responsable de son beau-père, mais l'intéressé assume l'héritage, puisqu'il figure au comité d'honneur de l'Association des amis du professeur Lejeune. Son épouse, Mme Clara Lejeune-Gaymard, dirige le cabinet de Colette Codaccioni, ministre de la Solidarité entre les générations, selon l'appellation retenue. Cette dernière est l'auteur d'un rapport sur la famille prêchant le retour de la femme au foyer, qu'elle relie, abusivement, à des objectifs natalistes (les femmes allemandes travaillent nettement moins que les Françaises, mais font également moins d'enfants). Dans le Nord, ses positions traditionalistes sont connues, et elle contribua à faire fermer plusieurs centres de planning familial (voir l'enquête d'Élisabeth Schemla, Le Nouvel Observateur, 13 juillet 1995).

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