© Michel Fingerhut 1996/7

Martine Aubry et Olivier Duhamel:
Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême-droite (I)
Éditions du Seuil (©) Octobre 1995. ISBN 2-02-029984-4
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Introduction - A - B - C - D - E - F - G - H - I - J - L - M - N - O - P - R - S - T - U - V - X - Annexe 1 - Annexe 2

Ignorance de l'autre

Évoquant la somme de Gunnar Myrdal sur le racisme antinoir aux États-Unis (An American Dilemma. The Negro Problem and Modern Democracy, Harper and Row, 1944), Michel Wieviorka insiste justement sur sa thèse, selon laquelle « le concept de Noir est social, et non biologique, et le racisme repose non pas sur la connaissance de l'Autre, mais, bien davantage, sur l'ignorance. Ignorance, chez Myrdal, ne signifie pas manque d'intérêt ou de curiosité. C'est plutôt une restriction, qui se traduit par des stéréotypes, des formules magiques, toujours lourdes d'émotion ; la connaissance est constamment distordue, orientée "dans le sens d'un abaissement du Noir et d'une élévation du Blanc". L'ignorance, c'est aussi la façon de désigner les Noirs de façon impersonnelle - "eux", "ils" -, ou de n'en parler que de manière négative - à propos de leurs crimes par exemple. À la limite, l'ignorance est de l'ordre de l'évitement ou de la négation du problème noir, ce qui fait qu'on imprime rarement le portrait d'un Noir dans la presse des États du Sud des États-Unis... » (L'Espace du racisme, Éd. du Seuil, 1991, p. 52).

Chacun reconnaîtra des stéréotypes analogues à l'encontre des Arabes dans la France d'aujourd'hui. La télévision française semble, au dire des spécialistes, très en retard dans la lutte contre les stéréotypes racistes. Cette bataille passe moins par des émissions ou reportages proprement politiques que par les séries populaires. On ne relève que de rares exceptions, par exemple La Famille Ramdam sur M6, produite par IMA, 6e gauche et Fruits et Légumes, deux sitcom (comédies de situation, fictions vidéo) produits par Cinétévé pour France3, et le magazine Saga-Cités, désormais national. Il est à espérer que ces exceptions n'en soient bientôt plus.

Immigration

Nos ancêtres viennent de toute l'Europe plus qu'ils ne sont Gaulois. La France elle-même est le produit d'une fusion, celle qui s'est opérée entre des envahisseurs - les « barbares », dont les Francs - et les autochtones déjà mâtinés d'invasions précédentes en provenance du sud. Cas exceptionnel symbolique : les vainqueurs francs ont adopté la langue latine et la religion chrétienne des vaincus, alors que d'ordinaire on assiste à l'inverse.

Mais la France, pays d'invasion à sa naissance, n'est pays d'immigration que depuis le début du XIXe siècle. Avant la Révolution française, la France était le pays le plus peuplé d'Europe et n'avait reçu que peu d'étrangers, souvent prestigieux, alors que beaucoup de ses ressortissants étaient partis s'installer à l'extérieur. Puis sont intervenues les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, la baisse du taux de fécondité, la révolution industrielle, qui ont nécessité la venue de travailleurs étrangers.

C'est ainsi qu'à la fin du siècle dernier un million d'étrangers vivaient sur notre territoire, soit 2,7% de la population.

Depuis, les besoins en travailleurs ont augmenté dans les périodes de forte croissance économique : reconstruction après les deux guerres mondiales, cycle de croissance pendant les « trente glorieuses »...

Qu'en est-il aujourd'hui, alors que l'on entend répéter que la France « accueille toute la misère du monde » ?

Il convient d'abord de s'entendre sur les mots. On utilise indifféremment les termes « immigré », « étranger », « population d'origine étrangère », alors qu'ils désignent des réalités différentes. L'étranger n'a pas la nationalité française. L'immigré est né à l'étranger, s'est installé en France où il a pu soit garder sa nationalité d'origine, soit acquérir la nationalité française. Ses enfants, nés sur le sol français, ont pu être français dès leur naissance (avant la loi Méhaignerie-Pasqua de 1993), ou pourront le devenir après une déclaration de volonté en ce sens (depuis cette même loi).

Ces groupes ne se distinguent pas seulement par la nationalité, mais souvent aussi par leur niveau d'intégration. Il convient donc d'y voir clair pour appréhender le phénomène correctement. À la date du dernier recensement (1990), notre pays compte 3,6 millions d'étrangers (dont 700 000 sont nés en France), soit 6,4% de la population, c'est-à-dire moins qu'en 1930 (6,6% de la population). Les immigrés sont, quant à eux, 4,2 millions : 2,9 millions sont de nationalité étrangère, les autres ont acquis la nationalité française. Récapitulons : 3,6 millions d'étrangers, 2,9 millions ayant immigré en France, 700 000 y étant nés. 4,2 millions d'immigrés, dont 1,3 million sont devenus français.

Contrairement à ce que l'on entend dire, la France n'est pas une exception quant à la proportion des étrangers qui y vivent : elle arrive d'ailleurs en cinquième position en Europe occidentale, derrière le Luxembourg, la Suisse, la Belgique et l'Allemagne - mais l'origine des étrangers n'est évidemment pas la même en Suisse et en Allemagne.

« Ils sont de plus en plus nombreux », entend-on. Et pourtant ! Depuis 1974, date des premières restrictions à l'immigration, les flux n'ont cessé de se restreindre. Alors que près de 200 000 étrangers entraient chaque année de 1970 à 1974, ils ne sont plus que 80 000 à 110 000 depuis 1985, 94 000 en 1993, dernier chiffre connu.

Les motifs d'entrée ont varié dans le temps et permettent de mieux expliquer le phénomène de l'immigration : aujourd'hui, la moitié des entrées est due au regroupement familial, contre le quart entre 1948 et 1960, alors que la recherche d'un emploi ou d'un meilleur emploi ne représente plus que 20% aujourd'hui contre 50% entre 1945 et 1960, et ce à cause des restrictions à l'entrée. La situation difficile de beaucoup de pays dans le monde accroît par ailleurs le nombre d'entrées de réfugiés (10 000 en 1992).

La majeure partie des étrangers provient d'Afrique, notamment du Maghreb, puis d'Europe, dont le nombre est en forte croissance, particulièrement depuis la libre circulation effective des Espagnols et des Portugais, le 1er janvier 1992.

C'est un leurre que de faire croire que l'objectif d'une immigration zéro puisse être atteint. Il y a toujours eu, il y aura toujours des mouvements de population entre pays. Comment d'ailleurs prôner des échanges de plus en plus importants de produits, services, équipements et capitaux, et refuser le mouvement des hommes ?

Même si chacun s'accorde à considérer qu'en période de crise de l'emploi l'entrée des étrangers doit être limitée de manière stricte, l'immigration zéro ne peut exister. N'oublions pas, en effet, que chaque année on autorise l'entrée sur le territoire d'étrangers peu ou, au contraire, très qualifiés, dont notre économie a besoin et qu'elle ne trouve pas sur place.

Le regroupement familial et les demandeurs d'asile constituent par ailleurs les deux autres sources d'entrée. Il serait contraire à la dignité, à la tradition française et à nos textes constitutionnels fondamentaux de renoncer à l'une ou à l'autre de ces sources de nouveaux arrivants.

Immigration négative

« Le principe même de l'immigration zéro est une mauvaise chose car la situation actuelle n'est pas acceptable. Ce que nous préconisons, c'est l'immigration négative, c'est-à-dire le retour des immigrés dans leurs pays d'origine » (Bruno Mégret, « Un programme pour la VIe République », National Hebdo, 16 février 1995). Le FN prône ainsi :

  1. l'expulsion de tous les immigrés en situation irrégulière, ce qui est le programme commun de tous les partis, mais qui s'avère souvent difficile ;
  2. l'arrêt de toute immigration, ce qui est aberrant [Voir Immigration] ;
  3. l'expulsion d'immigrés en situation régulière, ce qui est illégal ;
  4. l'expulsion d'immigrés devenus français, ce qui est inconstitutionnel ;
  5. l'expulsion de Français de naissance, ce qui est le sommet du racisme.

Voir Beurs.

Impuissance

Impuissance face au chômage, impuissance face au SIDA, impuissance face au sentiment d'insécurité, impuissance face au terrorisme : l'État et ceux qui le gouvernent paraissent souvent démunis. Le discours ultra-volontariste et simpliste du FN, multipliant les « y a qu'à », tranche facilement mais avantageusement. Tout ce qui renforce le sentiment de l'inefficacité des politiques censés gouverner nuit aux démocraties et contribue à la montée de l'extrême-droite. Cela vaut du point de vue de la politique intérieure aussi bien qu'internationale.

La Bosnie en a offert une tragique illustration. Le général Cot l'a dit avec franchise : « Le Conseil de Sécurité a constamment adopté des résolutions scandaleuses puisqu'il savait très bien qu'elles ne seraient pas applicables sur le terrain. Et aujourd'hui, avec un peu de recul, j'ai compris que pour ce qu'on appelle "la communauté internationale", il est nettement plus aisé de prendre fermement des décisions dont on sait à l'avance qu'elles ne seront jamais suivies d'effet, plutôt que de décider des actions qui pourraient être entreprises » (Le Nouvel Observateur, 20 juillet 1995).

De même, M. Mazowiecki, le rapporteur de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, a démissionné en juillet 1995 en dénonçant publiquement la lâcheté, la démission, l'impuissance des nations dites civilisées.

Les grandes démocraties occidentales, les institutions internationales, en particulier l'ONU, et le droit international dont ils se réclament ont montré leur impuissance et favorisé du même coup les pourfendeurs des droits de l'homme, leurs adversaires, les Serbes purificateurs.

Pour arrêter cette honte et enfin agir par des tirs ciblés sur les Serbes de Bosnie, on a attendu que ceux-ci capturent et humilient en mai les casques bleus, qu'ils attaquent en juillet les poches musulmanes de Zepa, Srébrénica, multipliant les crimes contre l'humanité, et qu'ils bombardent en août les populations civiles de Sarajevo.

Que de temps perdu, que de douleurs et de morts qui auraient pu être évitées, que de honte ! Autant d'éléments qui renforcent les doutes sur nos sociétés et sur leur capacité à faire face aux extrêmes qui les contestent.

Inégalités

« C'est de l'homme que j'ai à parler, et la question que j'examine m'apprend que je vais parler à des hommes, car on n'en propose point de semblables quand on craint d'honorer la vérité. Je défendrai donc avec confiance la cause de l'humanité devant les sages qui m'y invitent, et je ne serai pas mécontent de moi-même si je me rends digne de mon sujet et de mes juges.

» Je conçois dans l'espèce humaine deux sortes d'inégalités : l'une que j'appelle naturelle ou physique, parce qu'elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps, et des qualités de l'esprit, ou de l'âme ; l'autre qu'on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu'elle dépend d'une sorte de convention, et qu'elle est établie, ou du moins autorisée par le consentement des hommes.

» Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres, comme d'être plus riches, plus honorés, plus puissants qu'eux, ou même de s'en faire obéir.

» On ne peut pas demander quelle est la source de l'inégalité naturelle, parce que la réponse se trouverait énoncée dans la simple définition du mot. On peut encore moins chercher s'il n'y aurait point quelque liaison essentielle entre les deux inégalités ; car ce serait demander, en d'autres termes, si ceux qui commandent valent nécessairement mieux que ceux qui obéissent, et si la force du corps ou de l'esprit, la sagesse ou la vertu, se trouvent toujours dans les mêmes individus, en proportion de la puissance, ou de la richesse. Question peut-être bonne à agiter entre les esclaves entendus de leurs maîtres, mais qui ne convient pas à des hommes raisonnables et libres, qui cherchent la vérité.

» De quoi s'agit-il donc précisément dans ce Discours ? De marquer dans le progrès des choses, le moment où le Droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ; d'expliquer par quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée, au prix d'une félicité réelle » (Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1754).

La pensée raciste est essentiellement inégalitaire. Elle se résume ainsi :

  1. il existe des différences (les « Aryens » et les Juifs, les Blancs et les Noirs, les Français de souche et les Maghrébins, etc.) ;
  2. ces différences sont des inégalités ;
  3. les inégalités de fait justifient des inégalités en droit.

La pensée démocratique est essentiellement égalitaire. Elle se résume ainsi :

  1. il existe entre tous les hommes quelque chose de commun, leur humanité. Tous les hommes sont des hommes ;
  2. les différences de couleur, de religion, de sexe ne constituent pas des inégalités entre les groupes ainsi distingués. Ce qui peut les différencier ne les rend pas inégaux ;
  3. des inégalités de fait (physiques, intellectuelles, culturelles, économiques, sociales) ne justifient pas des inégalités en droit.

Innocents

Le vendredi 3 octobre 1980, au journal télévisé du soir, sur TF1, à la suite de l'attentat de la synagogue de la rue Copernic, Raymond Barre a exprimé « son indignation » et condamné « cet attentat qui voulait frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ». Lorsqu'un homme aussi civilisé que Raymond Barre distingue inconsciemment les israélites d'un côté, les Français innocents de l'autre, il révèle combien même les moins soupçonnables doivent redoubler d'attention dans le choix des mots.

Insécurité

Voir Délinquance.

Intégration

« Assimilation », « intégration », ces mots sont souvent pris l'un pour l'autre, alors qu'ils recouvrent des conceptions différentes du traitement des étrangers. Ils s'opposent l'un et l'autre évidemment à la ségrégation et à la discrimination, mais aussi au communautarisme à l'anglo-saxonne. Mais ils ne traitent pas l'étranger dans sa spécificité de la même manière.

L'assimilation implique la réduction, puis la suppression des différences linguistiques et culturelles, sociales et religieuses. Elle nie les particularismes liés aux racines de chaque homme. Nous préférons prôner l'intégration - qui est d'ailleurs la politique affichée par la France -, qui recouvre la possibilité donnée aux étrangers de bénéficier des droits des Français en matière d'éducation, de santé, de logement... et qui leur demande de respecter les valeurs essentielles du pays : reconnaissance de la laïcité, refus de la polygamie, tolérance...

Mais l'intégration reconnaît aussi le droit des étrangers à conserver des références culturelles propres, pourvu qu'elles ne soient pas en contradiction avec les fondements essentiels de notre société. Il est vain d'exiger des êtres humains qu'ils rompent brutalement et totalement avec toutes leurs traditions, avec ce qui participe de leur identité, sauf à obtenir un résultat contraire à celui escompté et à faire ainsi le lit des intégrismes. Ainsi, chacun a évidemment droit à l'exercice de ses pratiques religieuses, dès lors qu'elles ne relèvent que de la sphère privée et n'exercent aucune contrainte sur autrui.

L'intégration implique une volonté effective de la part de ceux à qui elle est offerte, mais aussi la conviction de la société qu'elle s'enrichira des différences. Ce que l'intégration a d'essentiel réside précisément dans cette acceptation par tous de valeurs communes. Elle s'inscrit très exactement dans la tradition universaliste de la France, qui affirme l'égalité des hommes et dénie l'existence de minorités inintégrables, comme c'est le cas aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.

Où en est l'intégration dans notre pays ? Quelques indices nous permettent d'apprécier ses progrès. Il en est ainsi de l'acquisition de la nationalité française. Que cela plaise ou non, l'aboutissement ultime de l'intégration, le symbole de sa réussite, est bien la nationalité. Et les tenants d'une préférence nationale authentique devraient se réjouir qu'un étranger préfère la France au point de vouloir devenir français.

Or ils sont de plus en plus nombreux à demander la naturalisation, notamment parmi ceux qui résident depuis longtemps dans notre pays. La réforme du Code de la nationalité de 1993, qui impose dorénavant aux jeunes nés en France de parents étrangers de manifester leur volonté de devenir français entre 16 et 21 ans au lieu de l'être automatiquement, a été perçue comme une volonté d'exclusion par ces mêmes jeunes et par leurs familles.

Un autre indice positif de l'intégration nous est offert avec le nombre de mariages mixtes. En effet, depuis toujours, l'union des femmes et des hommes entre communautés constitue une mesure essentielle de l'intégration. Or il ne cesse d'augmenter [Voir Mariages mixtes].

L'amélioration des conditions de logement, la scolarisation, l'acquisition de la langue française confirment la réalité d'une intégration en marche.

À l'inverse, la situation induite par le chômage et le cantonnement des étrangers dans les quartiers en difficulté s'oppose au processus d'intégration, provoque la désocialisation de jeunes plongés dans l'échec scolaire et la délinquance et produit de la désespérance.

Une vraie politique d'intégration passe bien évidemment par l'amélioration des conditions de vie des gens, par la lutte contre le chômage, l'exclusion, l'insécurité. Les politiques sont globales et doivent s'appliquer indifféremment aux Français et aux étrangers. Cela n'empêche pas que certaines mesures spécifiques, justifiées, nécessaires, favorisent leurs destinataires, comme les aides à l'acquisition de la langue française, ou leur imposent des contraintes, comme le renoncement à des traditions contraires aux droits fondamentaux.

Intégrisme musulman

Les Français imaginent que l'intégrisme musulman prospère en France. 71% des personnes interrogées par le CSA pour l'enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l'homme estiment que « l'intégrisme est au sein des populations musulmanes en France un phénomène très répandu » (25%) ou « assez répandu » (46%).

Il n'en est pourtant rien. L'enquête SOFRES réalisée en novembre 1993 pour La Marche du siècle auprès de jeunes d'origine maghrébine révéla au contraire une très grande résistance à l'intégrisme. On ne trouvait que 5% d'entre eux qui se disaient musulmans intégristes, et 9% qui les soutenaient. Plus significatif encore que ces réponses abstraites, 73% des jeunes Beurs disent avoir déjà eu des relations amoureuses avec un ou une Française d'origine non maghrébine. 70% estiment envisageable un mariage mixte.

La xénophobie antiarabe sert l'intégrisme. La succession des fausses équations devient un lieu commun. Arabe = musulman = islamiste = intégriste = terroriste. Quadruple erreur - ou mensonge : tous les Arabes ne sont pas musulmans (et réciproquement), tous les musulmans ne sont pas islamistes, tous les islamistes ne sont pas intégristes, tous les intégristes ne sont pas terroristes.

Symétriquement, l'intégrisme islamiste sert le racisme, les intégrismes servent les racismes. Lourde erreur que de ne pas les condamner. Et les premiers à les dénoncer devraient être les premiers concernés, les imams de France qui disent se battre pour la tolérance.

Voir Terrorisme.

Interdictions

Michel Vauzelle, le nouveau maire socialiste d'Arles, a interdit l'université d'été du Front national, prévue dans sa ville début septembre 1995. Il a motivé sa décision par « un risque grave au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité publique dans une région particulièrement sensible à la montée du fascisme depuis les dernières élections municipales [...]. Arles républicaine, dont les enfants se sont illustrés dans la résistance contre le nazisme et qui s'est libérée elle-même, ne peut pas accueillir une manifestation du FN ».

Une telle décision n'a pas manqué d'être critiquée. Le Front national n'est pas un parti interdit. Il a donc le droit de se réunir. N'est-il pas antidémocratique de l'en empêcher ?

Sur le plan juridique, le maire a le pouvoir d'interdire une réunion pour risques sérieux de troubles à l'ordre public. Nous vivons dans un État de droit. La décision du maire peut être attaquée devant le tribunal administratif, qui juge.

Tentons d'aller plus avant dans la réflexion démocratique. Le Front national n'est pas un parti fasciste, au sens propre du terme. Il agit souvent par intimidation, voire avec violence, dans la tradition fasciste et ne tente pas de prendre le pouvoir par la force. Mais le Front national n'est pas pour autant un parti démocratique. Il défend un programme discriminatoire, contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et aux principes constitutionnels qui fondent notre société. Disons alors que ce n'est pas un vrai parti démocratique. Et apprenons à le traiter comme tel, c'est-à-dire autrement que les autres. Lorsque la loi permet aux maires de refuser de l'accueillir, encourageons-les à le faire.

Interdire le FN ?

« Si nous rendons inéligible Le Pen, c'est l'émeute dans la rue » (Pascal Clément, Le Monde, 18 mai 1990). « Vieille antienne reprise à chaque nouvelle flaque de sang, et dont les choristes savent bien l'inanité : on ne dissout pas une organisation recueillant 15% des suffrages » (Ras-l'Front, n° 30, juin 1995).

« Alors, faut-il interdire Le Pen ? À mon humble avis, ce devrait être fait depuis longtemps » (Bernard Langlois, Politis, 17 mai 1990). « N'est-il pas temps d'interdire le Front national ? » (Pascal Bruckner, Le Monde, 17 mai 1990). « Il faut avant tout dissoudre le Front national » (Alain Touraine, Le Nouvel Observateur, 24 mai 1990) - toutes ces prises de position interviennent peu après la profanation du cimetière juif de Carpentras.

Deux points de vue radicalement opposés. Comme disait André Malraux, les questions sont plus importantes que les réponses. L'erreur n'est pas d'avoir trop longtemps toléré le Front national, l'erreur est de n'avoir pas sérieusement posé la question de son interdiction ou, plus exactement, en premier lieu, la question abstraite de la limite du tolérable dans un État démocratique, du degré de liberté laissé aux ennemis de la liberté, de la ligne jaune (ou blanche, désormais) à ne pas franchir, des principes en vertu desquels un mouvement politique pourrait, devrait être interdit, des procédures selon lesquelles cette interdiction serait instruite puis, le cas échéant, prononcée.

D'autres pays ont su définir ainsi des règles de protection de l'ordre démocratique et les mettent en oeuvre, avec une certaine efficacité [Voir Allemagne]. La France aurait pu le faire. L'article 4 de la Constitution offre une base de départ, les conventions internationales et les lois antiracistes les premiers prolongements [Voir Discrimination]. Au Parlement de se remettre à l'ouvrage.

Si ce travail, intellectuel d'abord, constitutionnel ensuite, était enfin mené à bien, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire seraient mieux guidés dans leur mission de protection de la démocratie.

Invasion

En juin 1991, Jacques Chirac, dans la chaleur d'un meeting, évoque les odeurs. En septembre, Valéry Giscard d'Estaing, sur la trame glacée du Figaro-Magazine, franchit une étape supplémentaire, en évoquant l'« invasion » des immigrés. « Le type de problème auquel nous aurons à faire face se déplace de celui de l'immigration ["arrivée d'étrangers désireux de s'installer dans le pays"] vers celui de l'invasion ["action d'entrer, de se répandre soudainement"]. » L'invasion appelle à la guerre, pour se défendre face à l'envahisseur. Mais la droite démocratique s'égare et prépare des votes Le Pen sous prétexte de le concurrencer. La gauche croit qu'il suffit de dénoncer et apporte ainsi sa contribution involontaire.

Ne négligeons pas les effets des dérapages anti-immigrés de la part de responsables politiques à haute respectabilité. Ainsi l'antipathie à l'égard des Maghrébins, mesurée chaque année par le CSA pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme depuis 1989, n'a été qu'une seule fois plus élevée que la sympathie : en novembre 1991, aux lendemains des mises en garde giscardiennes sur l'invasion.

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