© Michel Fingerhut 1996/7

Martine Aubry et Olivier Duhamel:
Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême-droite (P)
Éditions du Seuil (©) Octobre 1995. ISBN 2-02-029984-4
Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only


Introduction - A - B - C - D - E - F - G - H - I - J - L - M - N - O - P - R - S - T - U - V - X - Annexe 1 - Annexe 2

Paraître

« La rage de paraître », le sociologue Alain Ehrenberg explique ainsi le hooliganisme des jeunes d'extrême-droite autour des terrains de foot.

Voir Skinheads.

Pasqua

« Il y a sûrement au Front national quelques extrémistes, mais, sur l'essentiel, le Front national se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité. Seulement, il les exprime d'une manière un peu plus brutale, un peu plus bruyante » (Charles Pasqua, interview à Valeurs actuelles, 30 avril 1988). Où se trouve « l'essentiel » de Charles Pasqua ? Dans l'ultra-nationalisme ou dans l'ultra-électoralisme ?

Au-delà de cette déclaration fracassante, le seigneur des Hauts-de-Seine prétendit faire reculer le lepénisme par une politique anti-immigrés. Le ministre de l'Intérieur de la deuxième cohabitation fit ainsi le gros bras et multiplia lois qui se voulaient sécuritaires et déclarations qui se savaient tonitruantes. Résultat : le Front national grimpa un peu plus. La stratégie du mimétisme, choquante dans son principe, s'est révélée consternante dans ses résultats.

Voir Nationalité, Terrorisme.

Petits Blancs

« On n'est pas des déclassés, des sans-emploi, des ratés. On est des petits Blancs. Ni des ouvriers ni des bourgeois. On est ce qu'il y a de pire, en face de la cité d'Arabes. Celui qui est dans la cité d'Arabes est arabe, avec les autres. Nous on est en face, on a un pavillon, une cité un peu moins pourrie, et on ne veut pas qu'elle pourrisse comme celle d'à côté » (interview d'un leader skin par Wieviorka, La France raciste, op.cit., p. 318), autoportrait d'une saisissante lucidité.

Cet exemple, parmi d'autres, illustre le racisme populaire, le plus compréhensible, sans qu'il soit pour autant plus justifié. Dans une situation de crise, l'angoisse augmente. On craint pour soi, pour les siens. L'étranger devient une menace, d'autant plus qu'il est proche et pauvre. S'il sort de sa pauvreté, on lui reproche de prendre notre richesse. S'il y reste, on craint de descendre à son niveau. Ce racisme populaire ne se laisse pas aisément contredire. Il ne s'avoue pas. « Je ne suis pas raciste, mais quand même... » Il n'écoute pas. « Vous, vous vivez dans les beaux quartiers... »

Le rejet des intellectuels par les petits Blancs racistes accroît la difficulté du dialogue avec eux, elle ne l'invalide pas. Des tentatives aboutissent parfois. L'honnêteté permet d'avancer un peu dans la confrontation. Les lepénistes ordinaires reprochent toujours aux commentateurs critiques de ne pas vivre dans des quartiers populaires - objection qui mérite attention. Faut-il déménager à Clichy-sous-Bois pour reprendre la discussion ? Il semble plus simple d'admettre que l'intellectuel ou l'homme politique fait en effet partie des privilégiés (moins que d'autres, mais plus que lui), qu'il n'en est pas moins apte à connaître la situation de banlieues abîmées, et que, par ailleurs, la dénonciation de Hitler n'était pas réservée aux Berlinois des quartiers populaires, ni le refus de Pétain et Laval interdit aux germanopratins.

Où l'on en revient à l'idée que la question du racisme doit être sans cesse soulevée, non seulement parce qu'elle existe, mais aussi parce que nombre des lepénistes de base le nient et tiennent à cette négation. Quelque part, le racisme les gêne - du moins certains d'entre eux. Raison de plus pour établir exactement et inlassablement le caractère raciste des motivations, intentions, réactions et propositions du Front national.

Dans ce débat, rude mais nécessaire, avec les électeurs du Front national, trouvons la voie étroite entre le rejet brutal qui les fixerait à l'extrême-droite (du type « vous n'êtes que des nazis ») et la complaisance excessive qui les conforterait dans leur choix (du type « vos préoccupations sont légitimes »). Que peut-on faire pour que le petit Blanc ne vire pas à la chemise brune ?

D'abord, mener, toujours et partout, cette confrontation démocratique. Ensuite, éviter que son quartier pourrisse, réhabiliter aussi la cité d'à côté et arrêter la ghettoïsation. Dans un premier temps, la mixité des quartiers compliquera la tâche. À terme, elle portera ses fruits si elle s'accompagne d'une action politique, associative, militante.

Peur

La peur en général, des peurs particulières alimentent la poussée de l'extrême-droite.

Parce que cette dernière sait les utiliser. Nombre de sections du Front national repèrent systématiquement dans la presse locale les noms des personnes cambriolées ou agressées et leur rendent ensuite visite en leur proposant soit d'adhérer au FN, soit de rejoindre des groupements plus anodins d'apparence (du type « association de défense contre les cambriolages »).

Parce que l'extrême-droite est trop souvent la seule à intervenir sur ce terrain. Parce que la gauche ne dispose pas encore d'un discours démocratique en matière de sécurité rattachant ses valeurs à des politiques concrètes.

À la peur s'ajoute la frustration. Prenons le cas des machinistes de la RATP, traditionnellement de gauche. Nombre d'entre eux se rapprochent maintenant du Front national, notamment parmi ceux qui circulent dans les quartiers les plus durs des banlieues. Ils n'en peuvent plus de se faire cracher dessus. Ils n'en peuvent plus de n'avoir aucun espoir de reconnaissance sociale. Leurs salaires n'augmentent guère, leurs qualifications ne sont pas reconnues, leurs carrières sont bloquées. Leur dignité est atteinte de tous les côtés. La frustration redouble alors la peur. L'extrême droite en fait son miel.

La lutte contre l'extrême-droite est une question idéologique. La lutte contre l'extrême-droite pose évidemment la question sociale.

Polygamie

Si des pratiques fondamentalement contradictoires peuvent coexister à travers le monde - mariage au sein d'une même famille, droit d'aînesse... -, on ne saurait les accepter sur un territoire donné lorsqu'elles portent atteinte à des fondements culturels essentiels et légitimes d'une société démocratique. Il en va ainsi de la polygamie, en contradiction forte avec la culture et le droit français, dans ce qu'ils ont de plus universel.

L'immigré qui souhaite vivre dans notre pays doit s'y intégrer et, par conséquent, modifier ses pratiques matrimoniales. La polygamie est inacceptable en France.

Ce n'est cependant pas la position prise par le Conseil d'État dans l'arrêt Montchou du 11 juillet 1980, qui a permis à la seconde épouse d'un étranger installé en France, marié avant son installation dans notre pays dans le respect des règles de son pays d'origine, de rester sur notre territoire.

Depuis longtemps pourtant, la France a banni la polygamie, notamment dans le domaine de la protection sociale. « Le Code de la Sécurité sociale fait référence en son article L.313-3 au conjoint de l'assuré. Une lettre ministérielle de 1957 avait indiqué que seule l'épouse, pour laquelle la première demande de prestation a été déposée, pouvait bénéficier des remboursements de soins de santé. La Cour de cassation, dans un arrêt du 1er mars 1973 (affaire Sefrouni Ben Amar contre directeur régional de la Sécurité sociale de Paris), a appliqué ce principe, aux motifs que "la loi française ne reconnaît qu'une épouse légitime et n'admet parmi les ayants droit de l'assuré social que cette épouse". La circulaire de la CNAM aujourd'hui en vigueur, en date du 16 août 1979, s'en tient à cette position » (Rapport du Haut Conseil à l'intégration, février 1991, annexe III).

La loi Pasqua du 24 août 1993 prend position, dans ses articles 9 et 10, en interdisant de délivrer la carte de résident à des ressortissants en état de polygamie, et de la renouveler à un étranger qui vit ainsi en France. À juste titre. Par ailleurs, l'article 30 exclut du regroupement familial une autre épouse lorsque l'époux polygame réside déjà en France avec une première épouse. Les enfants de cette épouse sont aussi exclus du regroupement familial, sauf si leur mère est décédée ou déchue des droits parentaux. À juste titre.

La réalité de la polygamie en France reste très limitée. Les hommes polygames sont extrêmement rares chez les originaires du Maghreb et de la Turquie. On les rencontre essentiellement chez les ressortissants de l'Afrique noire occidentale, mais ils vivent le plus souvent seuls et en foyer. D'autres habitent sur notre territoire avec une seule épouse. Ce sont principalement les Mandés, originaires pour la plupart du Mali et du Sénégal, qui vivent sur notre territoire avec plusieurs épouses. On estime à quelques milliers au maximum le nombre de cas, désormais dans l'illégalité.

Préférence nationale

« Les Français d'abord » : la formule fait mouche. Quoi de plus simple ? À première vue, quoi de plus légitime ? Le coeur du programme de l'extrême-droite exploite un des sentiments les plus répandus, l'égoïsme. Dans sa version dure, il devient la haine de l'autre. Dans sa version douce, le souci de soi et des siens. À quoi sert la politique, si elle ne contribue pas à mon bien-être et à celui de mes enfants ? À quoi servent les politiques, s'ils ne travaillent pas dans ce sens ? Les cercles concentriques de l'égoïsme nationaliste traduisent très efficacement ces préoccupations : je préfère ma fille à ma cousine, ma cousine à ma voisine, ma voisine, etc. Version intellectualisée : préférence nationale d'abord, préférence européenne ensuite, rejet du mondialisme.

Cette première version de la préférence nationale, la plus présentable et la plus légitime, doit être démontée. Aux cousines et voisines de Le Pen, il faut opposer la prise en compte de l'autre, comme Montesquieu l'a si bien formulé [Voir Xénophobie]. L'égoïsme absolu est immoral et absurde. Immoral, car il dénie toute forme de solidarité. Le Sud peut mourir de faim, pourvu que le Nord s'empiffre. L'immigré peut crever la misère, pourvu que je m'enrichisse. Absurde, car il aboutit à une impasse. Expulser les étrangers d'une commune pour les envoyer dans la commune voisine, les délinquants d'un quartier pour les repousser dans l'autre, ne fait que déplacer le problème.

Il n'en reste pas moins que tout État admet, par définition et par nécessité pratique, une certaine forme de préférence nationale. Tout État se doit de protéger ses ressortissants. Certains droits sont très légitimement réservés aux nationaux, par exemple celui d'élire les dirigeants du pays. D'autres droits, au contraire, appartiennent à tous les hommes, pour cela seul qu'ils sont des hommes. On peut écraser un moustique, parce qu'il nous gêne, pas un être humain, même s'il nous force à ralentir. La difficulté consiste donc à définir quels droits sont universels, quels droits ne sont que nationaux. Et, parmi les droits sociaux, lesquels sont réservés aux résidents travaillant régulièrement en France, lesquels valent pour tous. Ainsi, un droit minimal à la préservation de la vie doit être reconnu pour tout être humain : si un immigré en situation irrégulière se fait renverser en traversant la rue, la plupart des gens (y compris certains électeurs du Front national) admettront qu'une ambulance le transporte aux urgences et qu'il y soit soigné. Mais le droit à la santé ne sera pas pour autant accordé à tous de la même manière : l'étranger irrégulièrement en France n'a pas accès à la Sécurité sociale et au remboursement des soins. En revanche, l'étranger travaillant régulièrement en France, payant ses impôts et ses cotisations sociales, a droit aux prestations sociales, exactement comme un Français dans la même situation y a droit à l'étranger. Ici se niche le premier désaccord entre démocrates et lepénistes sur les droits des étrangers. L'extrême-droite veut faire de la nationalité le critère décisif pour l'octroi de droits économiques et sociaux, alors que c'est la résidence régulière sur le territoire qui offre le critère légitime (et, d'ailleurs, légal).

La « préférence nationale » version douce ne saurait donc être acceptée dans l'étendue que le FN veut lui accorder. Mais, le plus souvent, l'extrême-droite va beaucoup plus loin et prône, derrière le vocable paisible de « préférence nationale », une discrimination raciste. Ne sont pas visés les étrangers en général, mais les Maghrébins en particulier. Ne sont pas visés les seuls Maghrébins étrangers, mais les personnes d'origine maghrébine, Français ou étrangers. Toutes les attaques contre « les Arabes », les dénonciations du métissage, les mises en cause des Beurs montrent que tel est le fond de l'idéologie du FN.

L'astuce du discours lepéniste consiste à glisser sans arrêt d'une version à une autre, à passer de la défense de la France et des Français au rejet des étrangers et des Maghrébins. Là où le racisme paie, le FN engrange. Là où le racisme choque, le FN dénie l'être et retourne la critique à ses adversaires, taxés d'être racistes anti-Français. Là où le racisme ne paie ni ne choque, le FN se promène utilement dans l'entre-deux.

Une des tâches des démocrates est de lui opposer un autre discours, ce qu'ils ne font pas toujours très efficacement. La dénonciation du racisme lepéniste paraît à la fois indispensable et insuffisante. Indispensable parce que telle est l'idéologie d'extrême-droite, parce qu'elle est inacceptable et parce qu'il se trouve une grande majorité de Français pour la refuser. Insuffisante, parce qu'il faut aussi offrir aux Français un discours positif et ne pas laisser à l'extrême-droite le monopole de la défense de la nation.

La difficulté tient à l'efficacité du simplisme national-raciste et à la complexité du projet démocratique en ces matières. Ils disent : « Les Français d'abord ! » Nous ne saurions répondre : « Les Français après ! » Nous devons dire que la France et les Français grandiront et se grandiront dans l'Europe, que la France et l'Europe contribueront au mieux-vivre de la planète, que la France et les Français, lorsqu'ils sont universels, servent leurs intérêts en servant le monde.

Présent

Voir Presse d'extrême-droite.

Presse

Le traitement de la délinquance dans la presse entretient souvent, même si c'est inconsciemment et involontairement, le racisme ordinaire. Des journalistes le savent, et recherchent quelques repères déontologiques ; d'autres l'ignorent, et mériteraient de s'en préoccuper.

Prenons une semaine au hasard, début juin 1995, dans un grand journal de la presse quotidienne régionale, choisi précisément parce qu'il n'est pas raciste et est de grande qualité, L'Est républicain. Répétons-le, ce quotidien fait partie des meilleurs, et n'a rien à voir avec d'autres, à Nice ou ailleurs. La démonstration qui suit n'en sera que plus importante, puisque nous sommes ici à mille lieues de toute intention raciste.

Suivons l'ordre chronologique et consultons les rubriques des faits divers. Que lit-on ?

Le 2 juin : « Quatre personnes d'origine maghrébine ont été placées en garde à vue. » D'origine maghrébine, pourquoi cette précision ? Personne n'écrit « d'origine bretonne », ou « d'origine corse », ou « basque », ou « anglaise ». Personne n'écrit plus « d'origine italienne », ou « d'origine polonaise ». Alors pourquoi « d'origine maghrébine » ? Et que sait-on de cette « origine » ? S'agit-il d'un naturalisé, auquel cas l'origine serait récente ? Ou du fils d'une personne d'Afrique du Nord ? Ou de son petit-fils ? Ou de son arrière-petit-fils ? En vérité, le rédacteur du papier l'ignore totalement. Il se fonde sur l'aspect physique, s'il dispose d'une photo ou d'un témoignage, ou, plus souvent, sur la consonance du prénom ou du patronyme. Autrement dit, il établit, sans le vouloir, une distinction selon l'apparence physique. Et comme il n'établit cette distinction qu'à propos de ceux qui ont l'air maghrébin, il opère en vérité une discrimination. Et la diffusion, quotidienne, inconsciente, insidieuse, de cette discrimination produit à son tour de la discrimination. De surcroît, elle aggrave le sentiment selon lequel les « Maghrébins » sont des délinquants. Ce petit dictionnaire refuse de donner dans la naïveté. Nous avons clairement dit que la délinquance était plus forte chez les étrangers, et tenté d'expliquer pourquoi. Mais entre une surcriminalité des étrangers, une surcriminalité aussi chez les Beurs, qui s'expliquent pour des raisons sociologiques, et l'idée que la plupart des délinquants sont des « Maghrébins » - et, plus grave encore, réciproquement -, convenons qu'il y a un abîme, et qu'au fond de cet abîme s'entasse le fumier qui nourrit l'extrême-droite. Que tout cela ne soit aucunement délibéré ne soulage que très relativement. Si nous ne prenons pas conscience de la multiplicité des ressorts du racisme et ne cherchons pas à les briser un à un, tout ira de mal en pis.

Reprenons notre lecture. 3 juin : « Un jeune Français d'origine tunisienne » a été jeté à l'eau au Havre [Voir Bouhoud Imed]. Ici, le problème se complique singulièrement. D'un côté, nous pourrions reprendre les observations qui précèdent : on n'écrit pas « un jeune d'origine alsacienne »... Mais, de l'autre, il s'agit maintenant d'une victime, et la personne est victime parce que « maghrébine ». Le dire participe de la lancinante distinction, ne pas le dire masque le caractère raciste du crime. Il nous semble que, pour sortir de ce dilemme, la solution consiste, s'agissant des victimes, à préciser leur origine maghrébine lorsque le crime a un caractère raciste, et à ne pas la mentionner dans l'hypothèse inverse.

Plus subtil, le 7 juin : à propos d'un racket, il est écrit que la victime est « un jeune Belfortain ». Son nom n'est pas précisé, tandis que le journal donne l'identité des délinquants, Akim et Nouredine Ben-quelquechose. Quelques lecteurs estimeront peut-être que nous chipotons, mais pourquoi cette distinction ? Et quels sont ses effets ? Akim et Nouredine peuvent être eux aussi belfortains, et alors il faut le dire, ou ne pas l'être, et alors il faut préciser où ils habitent. Encore un ruisselet dans le grand torrent xénophobe. Répétons-le, l'angélisme n'est pas de mise, et les « Maghrébins » délinquants sont aussi condamnables que tout être humain adulte.

Le 8 juin, notre journal publie un article tout à fait neutre et sans commentaire ethnique, d'où il ressort que huit des dix dealers de la rue Saint-Nicolas à Nancy ont des noms maghrébins. Les dix noms sont donnés, sans commentaire. Il n'y a là rien à redire. Tout être humain et adulte doit être traité de la même manière dans les récits de faits divers.

Plus grave, et plus ridicule aussi, on lit, le 9 juin : « Un témoin aurait vu un individu, d'apparence européenne, s'enfuir à pied. » Vous avez bien lu : « d'apparence européenne ». C'est bien connu, un Irlandais ressemble à un Italien, et un Suédois à un Portugais. La litote devient ici franchement xénophobe (les Européens, par opposition à ceux qui ne le sont pas) et, à l'arrière-plan, raciste (le coupable, pour une fois, n'est pas « arabe »).

En revanche, et pour finir, dans la page « Société » du samedi 10 juin, est publié un long reportage, signé par Lionel Raux, sur les violences à Noisy-le-Grand après la mort, trois jours plus tôt, de Belkacem Belhabib lors de sa prise en chasse par la police. Les points de vue des différentes parties sont exposés équitablement, y compris le ras-le-bol d'un cafetier qui se plaint à juste titre d'avoir dû remplacer trois fois ses glaces depuis le début de l'année et de ne plus trouver de compagnies d'assurance.

Ce bref inventaire n'a évidemment pas pour objet de distribuer des bons et des mauvais points, et de se donner ainsi bonne conscience à peu de frais, mais - le lecteur honnête l'aura compris - de chercher à progresser dans la lucidité sur les conséquences des manières de traiter l'information, de débusquer les sources obscures du racisme ordinaire, de participer à une réflexion collective sur le rôle des médias en la matière. Les déviations les plus fâcheuses se rencontrent dans les articles les plus anodins, les brèves, les comptes rendus rapides, les textes non signés. Mais ces textes ont précisément plus de lecteurs que les autres et, partant, imposent davantage encore la vigilance médiatique.

(Voir, par ailleurs, Centre de formation professionnelle des journalistes et Fonds d'action sociale, « Les immigrés dans la presse quotidienne régionale », in Cahiers de l'Observatoire des pratiques et des métiers de la presse, n° 3, mars 1995.)

Presse d'extrême-droite

Minute
Diffusion d'environ 35000 exemplaires selon le contrôle OJD 1993.

Cet hebdomadaire (« L'hebdo qui en sait trop », pour reprendre le sous-titre), fondé en 1962 par Jean-François Devay et Jean Boizeau, fut pendant longtemps le principal diffuseur des idées du FN. Racisme, antisémitisme, antiparlementarisme, idéologie sécuritaire reviennent constamment, de manière obsessionnelle et fantasmatique. Aujourd'hui, le directeur de la publication est Patrice Boizeau, ancien directeur du Choc du mois, journal ouvertement pro-FN et antisémite, créé en décembre 1987. Le directeur de la rédaction est Jean-Claude Valla : ce dernier est membre fondateur du GRECE, très actif au sein de la nouvelle droite, créateur du club de scouts « Europe jeunesse » (l'idéologie du mouvement exalte la race, le sang, et de nombreux rites sont identiques aux cérémonies nazies) et fermement négationniste (« j'ai acquis depuis longtemps la certitude que les révisionnistes avaient raison », écrit-il en janvier 1991 dans la Revue d'histoire révisionniste).

Pierre Desproges disait : « Au lieu de vous emmerder à lire tout Sartre, achetez Minute : pour dix balles vous aurez à la fois La Nausée et Les Mains sales. » Riez et achetez Sartre, Les Mots, par exemple.

Présent
Tirage déclaré : 25000 exemplaires (chiffre à prendre avec précaution).

Le mensuel est devenu quotidien en janvier 1982. Le directeur de la publication est Jean Madiran : maurrassien, il est l'un des chefs de file du catholicisme intransigeant et a joué un rôle capital, avec François Brigneau et Romain Marie, dans la fondation du quotidien. L'intégrisme catholique distingue Présent des deux principales autres publications de l'extrême-droite (voir articles dans le numéro du 8 août, p. 1 et 3). Ce qui ne l'empêche pas de relayer les idées du FN, puisque la plupart de ses dirigeants y publient des articles. Il est d'ailleurs présenté par le FN, depuis 1988, comme une « publication amie », au même titre que National-Hebdo. On retrouve au comité de rédaction Alain Sanders, membre actif de Chrétienté-Solidarité, qui rêve de « reprendre les rues de nos cités [aux immigrés], nos quartiers et nos villes elles-mêmes à la fourchette à l'escargot » (Présent, n° 1770). L'ensemble du conseil éditorial appartient ou a appartenu à la mouvance lefébvriste.

National Hebdo
Tirage déclaré : 100000 exemplaires (chiffre à prendre avec précaution).

Fondé en mai 1984, cet hebdomadaire prend la suite des différents organes du FN. « Hebdomadaire d'informations nationales », selon le sous-titre adopté en 1991, National Hebdo n'a depuis cette date plus de liens officiels avec le FN, mais il est tenu par Jean-Claude Varanne, membre du bureau politique du parti de Le Pen. De plus, National Hebdo est le journal vendu sur les marchés, dans les rues, par les militants du Front. Cette indépendance artificielle de National Hebdo par rapport au FN permet au parti de ne pas être directement impliqué dans les dérapages et les polémiques de François Brigneau. En effet, ce dernier, qui tient la rubrique « Carnet de balles » (sic), est un ancien membre du Rassemblement national populaire de Marcel Déat, et fut milicien sous Vichy.

Comment s'opposer à cette presse nauséabonde ? En ne l'achetant pas, évidemment - sauf les associations antiracistes pour y déceler motifs à procès qui pourraient lui coûter cher. Mais aussi en organisant des collectifs qui prennent en charge la lecture attentive de ces torchons et l'analyse de ce qu'ils révèlent. Et, plus généralement, en luttant contre l'extrême-droite, afin que ces « journaux » aient de moins en moins d'acheteurs.

Prestations sociales

Que n'entend-on pas sur le coût des prestations sociales versées aux étrangers, qui seraient considérables par rapport à celles perçues par les Français ? Il faut donc rappeler la règle de base : toute personne résidant régulièrement sur le territoire français a droit aux prestations sociales. Ce principe découle de l'organisation même du financement de notre protection sociale : ceux qui cotisent ont tous les mêmes droits.

Les étrangers sont toutefois exclus de deux prestations sociales qui constituent des minima : l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (FNS).

S'il apparaît normal, notamment pour éviter les effets d'attraction, de ne pas accorder à la globalité des étrangers toutes les prestations d'aide sociale, il est en revanche légitime de leur laisser l'accès à celles qui sont liées à leur travail régulier dans notre pays.

Au sein de la population étrangère, les hommes sont surreprésentés ; les actifs aussi ; beaucoup sont arrivés trop tardivement pour bénéficier d'une retraite à taux plein ; la consommation médicale des étrangers est inférieure à celle des Français. Ainsi, même dans une conception comptable (et implicitement discriminatoire) du problème, les étrangers apportent à la Sécurité sociale plus qu'ils ne lui coûtent.

Procès

Voir Diffamation, Justice.

Propreté

Clean dirt (« saleté propre »), titre le grand journal britannique The Economist, le 24 juin 1995, après les succès municipaux du FN.

Bruno Mégret, lors de la campagne municipale à Vitrolles, distribuait aux électeurs un petit savon « pour faire la grande lessive ».

« Le racisme trouve une de ses sources et un motif de sa relance dans une opposition dont nous sous-estimons la portée : l'opposition du propre et de l'étranger, opposition qui, chez le raciste, se redouble dans celle du propre et du sale, du pur et de l'impur » (J.-B. Pontalis, « La société face au racisme », Le Genre humain, n° 11, op.cit., p. 20). L'obsession de la souillure a toujours habité l'extrême-droite.

Protection de la démocratie

En Espagne, la loi organique du 25 juin 1983 déclare illicites les associations promouvant la discrimination raciale ou y incitant. Au Portugal, la loi n° 64 de 1978 permet de dissoudre les organisations fascistes, en application de l'article 46 § 4 de la Constitution qui interdit les organisations fascistes et celles incitant à la haine raciale et à la xénophobie.

Face à la recrudescence du nationalisme, de la xénophobie et du racisme, de nombreux pays (Italie, Suède, Suisse, Belgique, Allemagne...) adoptent de nouvelles législations. Le temps est donc venu de quitter l'angélisme libertaire ou la complaisance ultra-libérale selon lesquels il serait interdit d'interdire.

Voir Discrimination, Interdire le FN ?

Provocation à la discrimination

Les articles 23 alinéa 1 et 24 alinéa 5 de la loi de 1881, modifiés par la loi du 1er juillet 1992, punissent quiconque aura « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence » le public, « à l'égard d'une personne ou d'un groupe à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », que cette provocation passe par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, ou par des écrits, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images..., placardés ou affichés, exposés au regard du public.

Ces provocations sont punissables d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 2000 à 300 000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement.

S'agissant de la provocation publique à la haine raciste, un arrêt de principe de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en date du 7 mars 1989, est intervenu, à l'initiative du MRAP, sur un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Il considère que « la publicité faite par une association "prête à s'opposer de toutes ses forces à l'installation massive de Maghrébins au pied de la Vierge de la Garde" est à l'évidence un moyen d'action de provocation ou d'incitation en vue d'imposer une discrimination raciale, voire même religieuse »..., « discrimination d'ailleurs réprimée par la loi du 11 juillet 1975 qui interdit le refus d'un bien ou d'un service pour motif racial ou fondé sur le sexe, l'origine ou la religion de l'ayant droit ».

Le même arrêt énonce : « La provocation à la haine, la violence ou la discrimination notamment pour des motifs racistes est réprimée lorsqu'elle a lieu soit à l'égard d'une personne, soit d'un groupe de personnes, et ne précise évidemment pas un seuil quantitatif au-delà duquel la provocation deviendrait licite. » Il récuse la justification du racisme par la liberté d'expression, laquelle « ne saurait en aucune manière autoriser la tenue de propos incriminés par la loi pénale parce que tendant à jeter le discrédit sur une minorité étrangère ».

Quelques exemples particulièrement manifestes de provocation à la haine raciste ont donné lieu à des arrêts significatifs de la Cour de cassation. Il en est ainsi de l'arrêt de la chambre criminelle du 12 avril 1976 qui a eu à qualifier les propos suivants :

« On voit depuis quelques années apparaître de véritables ghettos noirs dans la proche banlieue de Paris. On y voit des scènes incroyables. Des trottoirs jonchés de désoeuvrés qui dévisagent haineusement les rares intrus à la peau claire, un monde sordide [...]. Le gouvernement a décidé de réduire le problème du surpeuplement des Antilles françaises en déversant le surplus de population sur la métropole [...]. Tout le monde est content sauf le patron de bistrot qui ne peut plus ouvrir son caboulot sans le voir transformé en case de l'oncle Tom, ou le paisible habitant de grands ensembles qui sait qu'il existe des quartiers [...] qu'il est impossible de traverser la nuit sans risquer de se faire rançonner et violer de surcroît. Il n'est plus de semaines où des Arabes ne viennent se vautrer au pied des hôtels pour ameuter les journalistes et exposer leurs misères au bon peuple. Il suffit de se risquer dans les ghettos arabes de la capitale pour se rendre compte qu'il y a vraiment un monde fou qui traîne sur les trottoirs aux heures de travail. En voilà qui sont certainement indispensables à notre économie. Ce n'est pas en introduisant une armée de mercenaires pouilleux et sous-payés que l'on donnera aux Français la possibilité de constituer un marché aux dimensions d'une économie moderne. »

De tels propos tendent « à faire naître dans l'esprit des lecteurs des sentiments de haine envers les travailleurs immigrés et constituer des "appels à la discrimination raciale et même à la violence". Ces articles tombent sous le coup de la loi car ils ne concernent pas une simple catégorie sociale, celle des travailleurs immigrés, et parce que les auteurs ont systématiquement désigné des travailleurs immigrés noirs, arabes, antillais et réunionnais en des termes qui entrent dans les prévisions de l'article 24 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1881 ».

PSG

Le 31 mai 1995, lors de la dernière journée du championnat de France de football opposant, au Parc des Princes, le Paris-Saint-Germain au Havre, des banderoles racistes furent déployées dans la tribune Boulogne à l'encontre de Georges Weah, l'avant-centre libérien du PSG. « Weah, on a pas besoin de toi » était ainsi calligraphiée avec des S façon nazie et ornée de croix celtiques et autres signes d'extrême-droite. Le lendemain, le club porta enfin plainte contre X pour « provocation à la haine » et « exhibition dans une enceinte sportive d'insignes, signes ou symboles rappelant une idéologie raciste ou xénophobe ». Réaction salutaire, mais tardive.

Les « supporters » du Kop Boulogne, en effet, n'en étaient pas, loin s'en faut, à leur « première » : CRS molestés lors de matchs au Parc, violences et dégradations lors de matchs en province... Beaucoup sont connus pour leur appartenance aux réseaux d'extrême-droite, la plupart ponctuent le match de bras tendus en avant à la manière du salut nazi... Or, le club a longtemps fermé les yeux, content de disposer de véritables supporters de l'équipe. Il faut bien observer comment se déroule un match au Parc des Princes pour comprendre ce processus de reconnaissance symbolique. En mai 1993, le PSG reçoit la Juventus de Turin en demi-finale de la Coupe des vainqueurs de coupe. Le speaker officiel du stade « chauffe » le public avant l'entrée des équipes sur le terrain. Il s'adresse à toutes les tribunes et finit, en hurlant encore plus fort, par la tribune Boulogne : « Amis de Boulogne, êtes-vous là ? Nous aurons besoin de vous ce soir. » Un immense drapeau aux couleurs du PSG, montant jusqu'en haut de la tribune, est ensuite offert par le club à ses « supporters » du Kop Boulogne. Lors de son entrée sur le terrain, l'équipe vient au pied de la tribune saluer de la main « son » public (elle ne fait ce geste que pour la tribune Boulogne et celle d'Auteuil). Comme tout grand club d'Europe, le PSG se doit d'avoir des supporters « chauds » et fidèles, acceptant ainsi (quoi qu'il en pense par ailleurs, car Michel Denisot n'est en rien raciste) de donner des gestes de reconnaissance symbolique à des individus racistes et fascisants de la tribune Boulogne. Le club n'a-t-il pas eu tort de fermer si longtemps les yeux sur les agissements racistes pour conserver son noyau dur de supporters assistant à tous les matchs ? Les Arabes et les Noirs n'osent plus mettre un pied dans cette tribune (alors que les places y sont les moins chères). À la sortie du stade, des gens de couleur se font agresser... Après la défaite du PSG face à la Juventus, les supporters du Kop Boulogne sont descendus de leur tribune en courant et ont jeté des bouteilles en verre sur les gens de couleur qui quittaient le stade... La responsabilité principale dans la complaisance à l'égard de ces hooligans incombe d'ailleurs à l'ancienne municipalité de Boulogne, qui n'a pas engagé les actions juridiques nécessaires, et protège ces fanatiques.

Les réponses fortes et efficaces à l'imbécillité raciste de supporters fanatiques ne vont pas de soi, mais il va de soi qu'un effort constant s'impose pour les chercher. Les dirigeants du club et de Canal+ ont prononcé des déclarations en ce sens. Le nouveau maire de Boulogne sera peut-être moins complaisant que son prédécesseur, mais cet exemple parmi d'autres illustre les méfaits de l'absence de vigilance. Les responsables du PSG en ont d'ailleurs pris conscience et ont judicieusement engagé une campagne d'affiches, sur le thème de la fraternité, du respect, de la solidarité, mettant en scène deux petits joueurs de foot, l'un noir, l'autre blanc, qui se donnent la main.

Le PSG n'est bien entendu pas le seul club concerné : à Lyon, les drapeaux du GUD flottent dans le virage nord, les Bad Gones, principal club de supporters de l'Olympique lyonnais, s'orthographient aussi avec un S de SS sans que les dirigeants s'en offusquent. Sur la plupart des terrains de France et d'Europe, des « vouh, vouh », censés symboliser des cris de singe, montent des tribunes lorsqu'un joueur noir de l'équipe adverse touche le ballon. La réponse doit être ici collective et concerner à la fois les joueurs, les dirigeants de club et de la Fédération et les médias. La télévision filme ces supporters racistes sans jamais les dénoncer et banalise la violence, réelle ou symbolique, dans les stades.

Après PSG-Juventus, où donc des bandes racistes avaient poursuivi les Noirs et les Arabes qui sortaient du stade, TF1 a parlé d'un match à haut risque terminé sans incident... Après le match PSG-Le Havre et le déploiement des banderoles racistes, le président de l'Union nationale des footballeurs professionnels, Jean-Jacques Amorfini, s'est déclaré « atterré qu'un match puisse se dérouler dans de telles conditions », regrettant « qu'aucun dirigeant de club ou de la fédé ou de télé ne soit intervenu pour empêcher le début de la rencontre avec de telles banderoles. Personne n'aurait rien dit si le match avait été annulé. Seulement, nous sommes le seul pays au monde à laisser passer un tel événement sans réagir immédiatement ». Cette forme courageuse et lucide de réaction reste malheureusement rare dans le monde du football. Face à la banalisation et à la « normalisation » du racisme dans les stades, une prise de conscience individuelle et collective des joueurs, des responsables de club et des dirigeants fédéraux est d'une absolue nécessité et doit avant tout se traduire, sur le terrain, par des actes forts contre les supporters racistes.

Certains sponsors du PSG ont longtemps réclamé une loi permettant d'interdire l'accès des stades aux personnes ayant des comportements racistes, comme cela existe en Grande-Bretagne. Ils ont été enfin écoutés. La loi du 6 décembre 1993 permet de prononcer des interdictions de stade et de contraindre les supporters fautifs concernés à se présenter au commissariat à l'heure des matchs. Elle prévoit également 100 000 francs d'amende et un an de prison pour « l'introduction, le port ou l'exhibition [...] d'insignes, signes ou symboles faisant référence à une idéologie raciste ou xénophobe ». Bref, la prise de conscience paie.

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